Ce qui a changé dans le Tour de France (2/5): Quand les bordures nous font kiffer les étapes de plat
CYCLISME•Les coups de vents provoquent parfois des faits de course qui éliminent des leaders…B.V.
C’est la loi de tous les mois de juillet des années impaires. Sans foot et sans JO, notre été va se résumer au Tour de France, et puisqu’il faut remercier le ciel d’avoir inventé les congés payés et la plus belle course du monde en même temps, 20 Minutes a décidé de mettre le grand plateau pour faire monter la sauce avant le grand départ d’Allemagne. Chaque jour d’ici samedi, la rédaction s’arrêtera en détail sur une nouvelle façon de courir dans le peloton en 2017.
Aujourd’hui >> Quand les bordures permettent de créer des écarts
Ce devait être un après-midi classique du mois de juillet. Un réveil moite devant Village Départ, une salade grecque avec beaucoup d’olives, la bonne sieste bide à l’air bercé par une lénifiante étape de plaine du Tour de France avant d’être réveillé par les hurlements de Thierry Adam à l’approche du sprint final. Sauf qu’après seulement 56 des 173 bornes entre Tours et Saint-Amand-Montrond, l’équipe Omega-Pharma réalise l’un des plus beaux coups de force collectif de l’histoire et fait rentrer cette 13e étape du Tour 2013 dans la légende.
Ce coup de force, ça s’appelle une bordure. Pour résumer, avant d’entrer dans le détail, il s’agit de profiter du vent pour créer des cassures dans le peloton et lâcher des coureurs. Ce jour-là, sur une étape plate comme un cookie, le spectacle est fou et les dégâts considérables : dans un premier groupe attardé, Quintana, Froome, Evans ou Peraud perdent 1’09 sur Alberto Contador. Dans un deuxième, où figurent les 2/3 du peloton, l’un des favoris Alberto Valverde termine à la bourre de 10 minutes. Tour perdu.
Puisque les arrivées de sommet n’intéressent plus les leaders et que tout est cadenassé, la bordure est devenue une belle arme de substitution pour faire la course et éliminer du monde. On dit « devenue » car si les bordures ont toujours existé, la moindre rafale de vent fait désormais flipper tout le peloton. « Les organisateurs cherchent à les provoquer en mettant des parcours appropriés qui sont exposés, explique le coureur de la FDJ William Bonnet. Le niveau général des leaders du Tour est tellement resserré, ils se tiennent à peu de chose, alors pour essayer de gagner du temps, les équipes tentent des trucs en essayant de créer des bordures. »
Cf Chris Froome par exemple, qui a gagné du temps sur Nairo Quintana lors d’une bordure surprise à 12 kilomètres de l’arrivée à Montpellier en 2016.
aOK MAIS ALORS C’EST QUOI EXACTEMENT FAIRE UNE BORDURE ? Voici un petit tuto histoire de comprendre le truc. On vous a ajouté un schéma avec légende pour bien comprendre.
Les conditions : Des routes exposées sans abri (maisons, arbres) comme en rase campagne ou en bord de mer. Un vent de côté ou de 3/4 face. (1)
La phase de l’éventail : La tête de peloton se met à accélérer brusquement et forme un éventail face au vent (2) en roulant à fond. Les coureurs dans cet éventail sont protégés et remontent à l’abri du vent (sur le schéma par la droite) pour prendre le relais et tenir un rythme de fou. (3)
La file indienne, la bordure et la cassure : Parce qu’il est bloqué par le bord de la route ou parce qu’il est intelligemment retardé par un bloqueur (4) un coureur va mettre le reste du peloton en file indienne. Il est alors dans la bordure et n’est plus protégé du vent et va bientôt décrocher du groupe de tête (5). La cassure est faite (6).
Si vous n’y êtes toujours pas, on vous invite à regarder cette vidéo (en anglais) parfaitement réalisée.
aVoilà pour le principe. Pour rentrer dans le détail, on a posé à William Bonnet tout un paquet de questions. Pourquoi à lui ? Parce qu’il est sans doute le coureur français qui « lit » le mieux les bordures. Il était en tout cas dans le coup lors des deux plus célèbres de l’histoire récente, Saint-Amond-Montrond donc, mais aussi celle des championnats du monde au Qatar l’hiver passé. On vous invite d’ailleurs grandement à regarder comment ça s’est passé en dessous, c’est l’exemple parfait de la bordure qui change une course.
Qui est capable de créer des bordures ?
« Ce sont des gros moteurs, des équipes de spécialistes, de coureurs de classiques comme la Quick Step, qui n’ont en général pas de coureurs pour le général et peuvent dynamiter la course. D’une manière globale, les Belges savent faire, c’est une pratique tellement habituelle que pour eux c’est naturel. Les coureurs qui visent le général sont souvent entourés de grimpeurs qui ne sont pas forcément habitués aux bordures et n’ont avec eux que deux ou trois rouleurs. Ils peuvent donc se faire piéger. Ce n’est pas eux qui vont mettre en place les bordures. »
Comment prévoir une bordure ?
« Tout le monde sait à quel moment de la course ça va se passer. On a tous Google Earth et il y a des entraîneurs qui vont faire le tracé avant nous pour nous dire en avance qu’à cet endroit-là, la route est exposée ou que le vent est placé de telle ou telle manière. Aux Mondiaux au Qatar, on savait qu’il y a deux passages difficiles au km 70 et 72, et les Belges avaient annoncé qu’ils tenteraient là. Et ils l’ont fait. »
Pourquoi alors ne peut-on pas se préparer et se « défendre » ?
« Dans ce cas-là, on était 200 coureurs au départ et tous plutôt spécialistes de la chose. C’est donc extrêmement aléatoire : tout le monde sait le point où il faut être présent à l’avant du peloton et il y a beaucoup de tension, ça frotte. 5 kilomètres avant, ça s’excite. Tu remontes ton équipe d’un côté du peloton, un autre va remonter la sienne d’un autre. Il faut sentir le moment où il faut être remonté et être présent à l’avant car à un moment, ça va casser naturellement. Quand tu vois qu’une équipe se met en place, qu’ils vont peut-être tenter quelque chose où qu’il y a un changement de direction, il faut faire l’effort au bon moment. Il faut sentir la course, avoir les jambes et être toujours vigilant. »
Peut-on revenir quand on est « borduré » ?
« S’il n’y a pas de temps mort, c’est très compliqué de revenir dès qu’une bordure commence à se monter. Quand le groupe de tête roule à 60 km/h, celui qui suit, peut s’organiser et rouler à 65 pour revenir. Pour un homme esseulé, il faut arriver à se dégager du peloton et aller justement du côté d’où vient le vent pour faire l’effort dans le vent et recoller avec les jambes. Aux Mondiaux, Sagan était mal placé mais il était tellement fort qu’il a réussi à sortir de derrière. »
Et pour conclure, on a analysé le parcours du prochain Tour de France pour détecter les principales chances de bordure. On a ciblé trois étapes, commentées par le directeur du Tour Christian Prudhomme sur le site officiel de l’épreuve :
- La 7e entre Troyes et Nuit-Saint-Georges, dont « la boucle finale de 40 kilomètres pourrait confronter le peloton à des vents latéraux que certaines équipes savent parfaitement exploiter ». Risque de bordure : moyen.
- La 16e entre Le Puy-en-Velay et Romans-sur-Isère, où « les arrivées dans la vallée du Rhône s’achèvent le plus souvent par des sprints massifs… à moins que le vent ne vienne s’en mêler ». Risque de bordure : haut.
- La 19e entre Embrun et Salon-de-Provence, où il faut « faire attention à ne pas trop se laisser bercer par l’ambiance détendue des villages provençaux, des champs de lavande et des oliviers du Lubéron ». Risque de bordure : faible.
>> Demain : Le vice a-t-il disparu dans le vélo ?