Ce qui a changé dans le Tour de France (1/5): Mais pourquoi les arrivées au sommet ne servent plus à rien?
CYCLISME•Les grandes étapes en altitude débouchent le plus souvent sur une neutralisation de la course chez les favoris…J.L.
C’est la loi de tous les mois de juillet des années impaires. Sans foot et sans JO, notre été va se résumer au Tour de France, et puisqu’il faut remercier le ciel d’avoir inventé les congés payés et la plus belle course du monde en même temps, 20 minutes a décidé de mettre le grand plateau pour faire monter la sauce avant le grand départ d’Allemagne. Chaque jour d’ici samedi, la rédaction s’arrêtera en détail sur une nouvelle façon de courir dans le peloton en 2017.
Aujourd’hui >> Pourquoi les étapes en altitude font de moins en moins de différences
« Mais bordel, ils attendent quoi pour décrocher la caravane et en poser une bonne ? » Combien de fois on s’est fait cette réflexion devant le Giro le mois dernier. Au moins dix fois à chaque étape de montagne avec arrivée au sommet, au doigt mouillé. Il faut dire que c’était toujours le même scénario. Cinq ou six types de niveau à peu près équivalent qui se suivent (Dumoulin, Quintana, Nibali, Pinot, Zakarin, Pozzovivo), un plus naïf que les autres qui tente une accélération et prend dix mètres, puis tout le groupe qui revient au train sans forcer, et ainsi de suite.
Un exemple au hasard : la montée vers Piancavallo lors de la 19e étape.
Dumoulin, en difficulté depuis le début de la journée, se fait distancer dès le pied du col. Là, on se dit que le Néerlandais va prendre ses trois minutes réglementaires. Même pas, il passe son temps à naviguer à 200 mètres derrière le groupe de tête pour perdre à peine plus d'une minute au final. Dans la même montée, Pinot, de loin le plus en forme en fin de Giro, place une attaque à trois bornes de l’arrivée. Les caméras de la Rai oublient le Français, les pointages sont à la ramasse, et on a envie de croire au gros coup. Au final le leader de la FDJ coupera la ligne… avec 12 secondes d’avance sur les favoris. Autant dire que dalle.
aPour être sûr de trouver une récurrence dans ce nivellement des forces quand la route s’élève, on s’est refait l’intégralité du Tour de France 2016 en s’amusant à compter comment Christophe Froome avait creusé l’écart sur son rival le plus sérieux ces dernières années, ce bon Nairo Quintana. Ce n’est pas à la seconde près, mais c’est instructif.
- Ecart total entre les deux sur les Champs = 4’21
- Froome attaque dans la descente vers Luchon > 13 secondes et les bonifs (25 secondes en tout)
- Froome prend la 2e place du sprint à Montpellier à la surprise générale > 10 secondes de bonifs (35 secondes en tout)
- Froome, à l’attaque puis handicapé par une chute provoquée par une moto, est reclassé au Ventoux avec l’avance qu’il avait avant sa chute > 55 secondes en tout
- Froome explose le Colombien en contre-la-montre > 3 minutes en tout
- Froome suit Porte dans le col de Forclaz et lâche tout le monde > 28 secondes (3’30 en tout)
- Froome remporte le dernier contre-la-montre > 4’35 en tout
- Quintana lui reprend dix secondes sur la dernière arrivée au sommet >> 4’21 à Paris
Le bilan : Large vainqueur au général, Froome n’a pris que 38 secondes à Quintana dans tous les cols escaladés par le peloton du Tour en 2016. En fait, il faut remonter….à la première étape pyrénéenne de l’édition 2015 pour voir le meilleur grimpeur du monde créer une différence en montage. C’est la fameuse attaque de la Pierre Saint-Martin, qui suffira pratiquement au Britannique pour passer trois semaines au chaud.
a
On a demandé son sentiment à David Moncoutié, qui a connu les heures plus ou moins glorieuses des envolées tranchantes en altitude au début des années 2000. L’ancien grimpeur de la Cofidis n’a pas tardé à trouver des explications logiques.
Les coureurs se dopent moins, dont ils sont plus proches les uns des autres
« On constate depuis quelques années maintenant que les meilleurs ont un niveau de plus en plus homogène, surtout sur les courses de trois semaines, où la fatigue touche tout le monde de la même façon. Aujourd’hui, on peut avoir des coureurs qui craquent mentalement sur la fin, mais chacun essaie de préserver sa position et personne n’a les jambes pour créer de gros écarts. C’est bon pour le suspense et pour la crédibilité du vélo »
Les leaders sont plus intelligents dans leur effort
« L’arrivée des watts a changé beaucoup de choses. Les meilleurs grimpeurs ont l’habitude de s’entraîner à certains seuils, et une fois en course, ils savent gérer leur effort pour ne pas exploser bêtement et prendre un éclat. Sur le Giro, un gars comme Dumoulin a parfois évité de suivre certaines attaques pour ne pas se mettre dans le rouge, et a fait ses montées dans son coin comme un coureur de contre-la-montre »
Les équipes sont plus complètes et peuvent pallier les défaillances
« Les leaders se retrouvent rarement abandonnés même en très haute montage, il y a toujours un coéquipier de niveau presque équivalent pas loin pour filer un coup de main. Cela limite les initiatives individuelles mais cela permet d’imaginer des organisations tactiques surprenantes sur des terrains où on ne s’attend pas à ce qu’il se passe des choses pour le général, dans les descentes, ou les étapes ventées, par exemple »
David Moncoutié nous offre une transition toute faite. Si l’observateur moyen que nous sommes a repéré que les grandes étapes mythiques accouchaient le plus souvent d’une souris lépreuse, les organisateurs ont un œil sur le problème depuis longtemps. « Le but est de diluer les difficultés, de sortir des sentiers battus, expliquait en 2014 Thierry Gouvenou, le grand ordonnateur du parcours du Tour. Il faut éviter d’avoir des points bien connus à l’avance où tout va se jouer, comme lorsqu’il y a quatre arrivées au sommet. Car nous devons nous adapter à la nouvelle façon de courir des équipes, très scientifique, très contrôlée. Nous, on veut casser ça ».
Prenons la cuvée 2017. Seulement trois arrivées au sommet à la fin d’étapes « classiques ». Par exemple la bataille attendue (ou pas) en haut de l’Izoard lors de la 18e étape
Des alternatives séduisantes sur le papier, comme le dessin d’un parcours casse-pattes entre Saint-Girons et Foix, cent bornes de montée-descente avec passage par le mur de Péguere et ses pourcentages à 18 %.
« En termes de kilomètres, on n’a jamais connu un format aussi ramassé sur le Tour depuis la disparition des demi-étapes, raconte Christian Prudhomme, le patron de l’épreuve. En Ariège, le contraste sera total avec le menu de la veille mais le terrain tout aussi propice aux initiatives que j’espère audacieuses ».
Comme un avant-goût du souhait le plus profond de son n°2 Thierry Gouvenou. « Le but ultime – mais l’osera-t-on un jour ? –, c’est de dessiner un Tour de France sans arrivée au sommet dans les grands massifs. Proposer des étapes où le général peut se jouer dans les massifs intermédiaires, avec de courtes arrivées au sommet, comme La Planche des Belles Filles, et des étapes classiques mais sans arrivée en haut des cols dans les Alpes et les Pyrénées. » Et sans contre-la-montre non plus, tant qu’à faire, ça ne pourra pas faire de mal aux coureurs français. Mais c’est un autre débat.