C'est bien beau tous ces super coureurs français, mais on gagne quand?
CYCLISME•La France a les plus belles courses, des jeunes coureurs talentueux, mais pas le palmarès qui va avec...N.C.
Bardet, Pinot, Démare, Bouhanni, Alaphillipe, Gallopin, Barguil… La France est tout de même un sacré beau pays de vélo. Rien qu’avec cette clique - qui pour ne rien gâcher est d’une insolente jeunesse (papy Gallopin a 28 ans, les autres entre 24 et 26) - elle peut gagner tous les terrains, plats ou accidentés, sur une course d’un jour ou à étapes. Attention, on dit bien qu’elle peut le faire. La nuance est importante. Parce qu’à bien y regarder, c’est un peu le drame des coureurs tricolores : on ne les voit jamais lever les bras. Enfin, pas du tout assez au vu de leur talent.
Oui, les Français gagnent des étapes sur les grands tours par-ci par-là et marchent sur la concurrence tous les ans sur le Circuit de la Sarthe. Mais vous voyez ce qu’on veut dire. Il n’y a qu’à voir l’événement représenté par la victoire d’Arnaud Démare sur Milan-San Remo l’année dernière. Un succès sur l’un des cinq « monuments », ça n’était plus arrivé depuis Jalabert sur le Tour de Lombardie en 1997. En gros, depuis 2011, la France gagne une course (sur les 27 au calendrier) du World Tour tous les deux ans. Si l’on regarde au niveau de l’Europe Tour (la catégorie en dessous, avec des épreuves comme Les 4 jours de Dunkerque, la Route du sud ou le Tour de Grande-Bretagne), on compte à peine 25 victoires françaises sur pas loin de 300 courses. Pas énorme.
Alors, comment on peut expliquer tout ça ? « On n’a pas le grand sprinteur qui peut nous changer le bilan d’une saison, attaque l’ancien coureur Sandy Casar. Aujourd’hui, 80 % des courses dans une saison se gagnent au sprint, et ce sont toujours les trois ou quatre même qui l’emportent. On a quand même Bouhanni, Coquard et Démare, mais ils sont un petit ton en dessous. Il leur manque encore la régularité des plus grands. »
La régularité… et l’équipe autour, surtout. C’est sûrement là le principal problème des Français, qu’ils soient spécialistes des arrivées massives ou ambitieux dans des courses à étapes. Avoir un très bon coureur, c’est bien, mais il en faut d’au moins aussi compétitifs à ses côtés pour l’accompagner. Le modèle Sky, quoi. « Les Français ne sont pas moins bons. La différence entre les principaux leaders est minime, aujourd’hui. Ça se joue à un ou deux coéquipiers très forts, estime Casar. Les Français, s’ils veulent beaucoup gagner, ils ne doivent pas rester en France. Malheureusement. »
Si on n’aura jamais Froome, Thomas, Poels et Kwiatkowski dans la même équipe en France, les choses évoluent tout de même. A l’intersaison, AG2R a recruté deux purs grimpeurs, le Suisse Mathias Frank et le Français Alexandre Geniez, rien que pour Bardet. « Il était temps d’apporter du dynamisme, épauler Romain sur les grandes épreuves et gagner des courses », avait justifié le directeur sportif Vincent Lavenu lors de la présentation de son équipe. On est bien d’accord.
Au-delà de la structure de l’équipe, la stratégie est également fondamentale. Autre ancien, Thierry Bourguignon a un avis très tranché sur la question. « Quand on va au Tour de France avec un leader, il faut axer toute l’équipe autour de lui. Et ça, on a du mal, explique-t-il. En France, on a tendance à vouloir jouer un peu le classement général, un peu le classement des grimpeurs, un peu les sprints. Non Parce qu’à vouloir tout faire, on ne fait rien de bon. »
aUn raisonnement qui marche aussi sur les classiques - même si les coureurs français ne sont pas « élevés » pour y briller. « Si t’as un mec qui a une chance, il faut tout mettre sur lui, reprend le consultant RMC. Si c’est un sprinteur, il faut l’accompagner jusqu’au bout et ne rien avoir d’autre en tête. Les équipes étrangères ont moins d’états d’âme je trouve. Elles ne jouent qu’une carte, mais à fond. »
Ce n’est pas non plus la garantie du succès, quel que soit le format de course. On se souvient que sur le dernier Tour, par exemple, la FDJ n’avait pas emmené Démare pour tout miser sur Pinot, et subi un retentissant échec au final (abandon du leader dès la 13e étape). « Ah, c’est sûr qu’il y a plus de risque de se planter. Si ton mec passe au travers, c’est mort. Mais il faut tenter ! C’est le seul moyen ».
Se remettre de ce sentiment «que la victoire n’était pas faite pour eux»
Aujourd’hui, les meilleurs coureurs français sont encore jeunes. On espère pouvoir reparler de tout ça dans trois ans et admirer le palmarès de nos poulains. « La France est en train de se relever, estime quand même Bourguignon. Une nouvelle génération arrive, pleine d’ambitions. Après le cataclysme Festina, les Français ont changé les choses un peu plus vite que les autres et ils ont eu ce sentiment général que la victoire n’était pas faite pour eux. On est en train de sortir de ça, avec de belles victoires comme Démare ou les récents podiums sur le Tour. Il y a une prise de conscience. »
En attendant, pour lancer la chasse dès cette saison, on mettrait bien une pièce sur Julian Alaphilippe, qui court chez les Belges de la Quick-Step. « Sprinteur-puncheur » qui prend goût à la haute montagne, gros caractère, il a tout pour nous faire lever du canapé. Faudra juste penser à prendre les victoires quand elles lui tendent les bras.