RUGFOOTComment le foot et le rugby sont devenus inconciliables

Comment le foot et le rugby sont devenus inconciliables

RUGFOOTL'éternel débat entre foot et rugby...
Antoine Maes

Antoine Maes

Vous connaissez la légende : un jour de novembre 1823, William Webb Ellis, alors étudiant au collège de Rugby, attrape un ballon à la main en pleine partie de football. A l’époque, ce sport-là n’a pas grand-chose à voir avec ce qu’il est aujourd’hui, mais qu’importe, il vient d’inventer le rugby, même si la réalité historique est sans doute bien plus complexe. Les deux disciplines vont donc se construire petit à petit, et surtout chacune de leur côté. Joris Vincent, maître de conférences à l’université de Lille 2, et historien du rugby, raconte comment foot et rugby sont depuis le début inconciliables.

>> Sport d’aristo contre sport du peuple

« Dans la logique de Thomas Arnold, le proviseur du collège de Rugby, le but de la pratique des sports athlétiques, c’est d’éduquer l’aristocratie. Il considère que le peuple n’a pas les ressources morales ou physiques pour les pratiquer : il y a déjà une discrimination sociale. Au départ, on joue au football-rugby, un jeu qui utilise les mains et les pieds. Et il va y avoir une distinction sur la possibilité d’avoir des techniques plus ou moins violentes pour récupérer le ballon. Entre un jeu beaucoup moins brutal, qui va être le football. Et un autre, le rugby, qui autorise des techniques de diminution physique de l’adversaire. Derrière cette distinction corporelle, il y a aussi un idéal de l’homme. Pourquoi on va autoriser au rugby des techniques agressives ? Parce qu’on considère que ceux qui le pratiquent vont avoir le sens moral, l’éducation, pour maîtriser ces formes d’affrontements. Alors que le foot va rester accessible aux classes populaires, parce qu’elles n’ont pas l’éducation ou la morale pour maîtriser cela, donc on va aménager les règles de manière à ce que ce soit plus culturellement et physiquement acceptable ».



>> Sport pro contre sport amateur

« Comme les classes populaires vont pratiquer le foot, elles vont devoir le faire sur leur temps libre. Le problème c’est qu’au 19e siècle en Angleterre, le temps libre n’existe pas. Il n’y a pas de loisir. Ils vont être dédommagés du temps passé à pratiquer le foot, ce qu’on appelle le « passing-time ». C’est le professionnalisme ! Vers 1850, 1860, il y a la scission entre le Football Rugby et le Foot Association. Il y a les partisans du professionnalisme, qui vont se séparer de l’International Rugby Football Board. Et ça, c’est contraire à la morale victorienne des partisans du sport athlétique. Qui considère que le sport doit être pratiqué dans un idéal utopique, et pas pour gagner de l’argent. C’est la beauté du geste. C’est là-dessus que se cristallisent les deux grandes oppositions permanentes du 20e siècle. »

>> Sport de voyou contre de sport de gentleman

« C’est une phrase de Jean Lacouture [historien du rugby], qui est romancée. Elle correspond à la réalité française, pas anglo-saxonne. En Angleterre, au départ, c’est un sport de gentleman pratiqué par des gentlemen. Lacouture dit ça pour légitimer la démocratisation du sport en France dans l’entre-deux-guerres. Parce qu’à la grande tristesse des Anglo-saxons, c’est un jeu très violent. Et pour légitimer cette violence, on va dire « mais ce n’est pas grave, parce que globalement les gens qui y jouent ce sont des gentlemen ». Je suis rugbyman moi-même, mais il y a un déni permanent dans l’histoire : un déni de la violence et du non-respect des valeurs. Dans l’entre-deux-guerres, il y a eu des morts dans le rugby ! ».

>> Sport pour tous contre sport pour quelques-uns

« Les rugbymen sont-ils envieux des footballeurs ? De manière spontanée, j’aurais tendance à répondre "non". Le foot véhicule de telles images, liées aux malversations, au manque de fair-play… que les rugbymen, n’ont pas la fierté de vouloir s’identifier à cet argent qui serait la raison de tous les maux du foot. Ce qui est spectaculaire, c’est d’écouter le Moscato Show, et les passes d’armes avec Di Meco. On voit bien que Moscato, il entend, mais à aucun moment il ne dira le football c’est bien. Celui qui a grandi dans la culture rugbystique, il n’a pas envie de s’identifier à d’autres modèles sportifs. Si vous lisez entre les lignes des dirigeants rugbystiques, on a encore une volonté de cultiver cet entre soi. Des gens, comme Lapasset sont pour la mondialisation du jeu, mais sur le plan français, à part des chefs d’entreprise comme Lorenzetti, il n’y a pas vraiment d’envie d’ouvrir leur milieu, parce qu’ils ont peur de perdre le pouvoir. Le rugby est un micropouvoir dans les localités, dans les régions. »