France - Maroc : « Un plaisir de souffrir »… Les Bleus ringardisent les prophètes du beau jeu
FOOTBALL•Qualifiée pour la finale de la Coupe du monde après sa victoire sur le Maroc, l’équipe de France avance dans ce Mondial sans proposer un jeu flamboyant mais en remettant à l’honneur la souffrance et la solidaritéAymeric Le Gall
L'essentiel
- L’équipe de France a battu le Maroc (2-0), mercredi, au stade Al-Bayt d’Al-Khor et affrontera l’Argentine en finale de la Coupe du monde, dimanche prochain.
- Dominés par le Maroc, comme ils l’avaient été par l’Angleterre au tour précédent, les hommes de Deschamps ont souffert pour arracher leur qualif en finale.
- Frappés de malchance et obligés de s’adapter aux circonstances depuis le début du Mondial, les Français font fi de tout ça et tracent leur route vers la troisième étoile.
De notre envoyé spécial à Al-Khor,
Oseront-ils encore la ramener après la performance de l’équipe de France, victorieuse d’une magnifique équipe du Maroc, mercredi, en demi-finale de la Coupe du monde, dans la douleur, la sueur et le combat ? On veut évidemment parler ici de tous ceux qui, comme Thibaut Courtois un soir de seum 2018, avaient remis en cause la légitimité des Bleus en Russie à se hisser jusqu’aux portes de la finale (et à la gagner) sous prétexte qu’elle n’entrait pas dans les canons de beauté que veulent nous imposer les chantres de l’esthétisme footballistique.
Pas assez joueuse, pas assez de possession, pas assez ceci, pas assez cela. Mais à l’arrivée, comme c’est toujours le cas, n’en déplaise à Luis Enrique qui persiste et signe à dire depuis son canapé qu’aucune équipe du dernier carré n’était supérieure à la sienne, c’est bien les vainqueurs qui écrivent l’histoire. Ce sont eux qui ont raison contre le reste du monde. S’ils ne le sont pas encore, vainqueurs, car se dresse devant eux un petit homme argentin lancé dans l’immense quête de sa vie, les Bleus se sont offerts à la sueur de leur front le droit d’avoir une nouvelle fois raison.
Après 95 minutes d’une bataille exceptionnelle, les hommes de Didier Deschamps ont fait ce qu’ils savent faire le mieux depuis leur arrivée au Qatar : s’adapter aux coups du sort – deux nouveaux joueurs sur le carreau mercredi, Rabiot et Upamecano – courber l’échine, faire corps ensemble et fondre sur l’adversaire dans les rares moments où la porte s’entrouvre à peine. C’est finalement le perdant du soir, Walid Regragui, qui a le mieux résumé ce qui fait le sel de ces Bleus 2022 : « Félicitations à l’équipe de France, qui est capable de gagner avec peu de choses. » Ne vous y trompez pas, dans la bouche du sélectionneur marocain – qu’on saluera au passage à la fois pour sa performance avec son groupe et pour ses conférences de presse extraordinaires – c’est un magnifique compliment.
On vit ensemble, on souffre ensemble
A la veille de la demi-finale, déjà, lors d’un point presse qui restera dans les mémoires, le natif de Corbeil-Essonnes avait remis l’église au milieu du village en attrapant par le colbac les ayatollahs de la possession de balle. « Il y a un sélectionneur en face de moi qui est le meilleur au monde et il a compris ça depuis longtemps. En 2018, la France m’a fait rêver de par la façon dont elle a joué. Ils ont tout compris et ils ont explosé tout le monde. Et là encore, contre l’Angleterre, ils n’ont pas eu 40 occasions et ils ont tout explosé. C’est la meilleure équipe. »
Car pour aller loin dans une Coupe du monde, il n’est nul besoin d’avoir l’équivalent de deux équipes types, comme le Brésil, ni d’avoir le ballon 95 % du temps, comme l’Espagne du streamer Enrique. Ça peut aider, bien sûr, mais il faut surtout un mental en acier trempé, une dose de réalisme létal et la conviction de vouloir aller à la guerre pour ses petits copains. Ce qu’ont fait les Bleus mercredi, à l’image d’un Antoine Griezmann une nouvelle fois au-dessus des nuages dans l’engagement et le don de soi. On pourrait résumer ça ainsi : on vit ensemble, on souffre ensemble.
S’il n’est pas facile de lui extorquer plus de deux phrases exploitables en zone mixte après les matchs, le garçon n’étant naturellement pas à l’aise face aux médias, le premier buteur de la soirée Théo Hernandez a pourtant réussi à tout dire de l’état d’esprit de cette équipe en peu de mots : « Pour moi, c’est un plaisir de souffrir dans ce genre de match. » Plus à l’aise avec le verbe, Jules Koundé ne disait pas autre chose quand on lui a demandé ce qui faisait la force des Bleus lors de ce Mondial. « La solidarité, a-t-il répondu du tac au tac. On est une équipe qui sait souffrir. Dans tous les matchs on a eu des périodes où on était moins bien, mais on n’a jamais baissé les bras. On a continué à être très intenses et à se battre pour le copain. C’est une des clés de notre réussite. »
Un dernier effort avant la quille
Si les Bleus ont peiné à garder le ballon et à mettre en difficulté les Lions de l’Atlas, ils ont tous – sauf Mbappé, bien entendu, qui a un mot d’excuse de son professeur – répondu présents dans l’engagement physique, et ce même quand le bateau tanguait, comme ce fut le cas au retour des vestiaires quand les vagues marocaines ont déferlé sur les buts d’un Hugo Lloris à nouveau décisif.
« Il y avait une grosse intensité, le Maroc nous a posé des problèmes. Ils ont été très bons, ils ont fait un super match et ont su répondre au défi physique », se félicitait encore Koundé en zone mixte. Mention spéciale à Ibrahima Konaté, titularisé en lieu et place du grand malade du soir, Dayot Upamecano, qui a impressionné par la justesse de ses interventions et sa capacité à se mettre à la hauteur de l’événement, ce dont on ne doutait pas après ses deux matchs face à l’Australie et la Tunisie. Interrogé dans les travées du stade Al-Bayt d’Al-Khor sur l’état de fatigue des garçons dans le vestiaire à la fin du match, Aurélien Tchouaméni ne cachait pas que ce combat avait un prix, celui de la fraîcheur physique.
« Franchement ouais, on était K.-O. à la fin, souriait-il, rincé mais heureux. On a beaucoup couru, la compétition a été longue. Ça fait pas mal de matchs qu’on enchaîne avec beaucoup d’intensité parce que c’est ce que réclame cette compétition. L’enchaînement Angleterre + Maroc nous a fait du mal mais avec le staff qu’on a, on sait qu’on va bien récupérer. » Allez les gars, il ne vous reste plus qu’un dernier effort, certainement le plus gros de tous, mais le jeu en vaut assurément la chandelle. Une troisième étoile sur le maillot, ça vaut toutes les souffrances du monde, non ?