Coupe du monde 2018: Les quarante-huit heures qui changeront la France à jamais
FOOTBALL•Parce que le football est bien plus que le football...B.V.
C’est l’histoire de 23 millionnaires qui courent derrière un ballon. Pensez-y bien la prochaine fois que vous dégueulerez que ce n’est que du foot. Grâce à eux, la société française nage dans un bonheur collectif qu’elle n’a connu que trois fois depuis un siècle : après les deux guerres et en 98. Ce bonheur est le plus pur. Il est apolitique, il est sans attache, il est éphémère. Ce n’est que du foot, ne le rappelez pas, tout le monde le sait bien. C’est en cela qu’il est beau. Cela ne résoudra rien des problèmes que chacun peut vivre au quotidien - heureusement d’ailleurs. C’est un shoot de joie qui ne coûte rien et n’engage à rien. C’est une manière de crier sa fierté d’être français à ceux qui s’en ressentent le besoin, et ils étaient beaucoup hier sur la pelouse du stade Luzhniky de Moscou.
Ils le seront encore plus ce lundi après-midi sur les Champs-Elysées. Attendez-vous à une marée humaine, à des photos vertigineuses, à des émotions à faire chialer. Cet Arc-de-Triomphe qui s’illumine, ces feux d’artifice… Attendez-vous aussi à de nouvelles vidéos improbables de mecs qui se vautrent en essayant de sauter sur des colonnes, de demandes en mariages ratées, de gars le sexe à l’air accrochés à des poteaux. Nous y étions hier soir, et c’était d’une douceur infinie de sourire et parler à des inconnus. « Ce seront des souvenirs incroyables. » « « J’ai pas les mots pour décrire ce qu’on est en train de vivre. » « On reste jusqu’à ce mort s’ensuive ! » « La plus belle fête du monde ! »
« On a besoin de moments comme celui-là »
Cette fête, elle était partout en France : à Marseille, à Mâcon, à Lille, dans les DOM-TOM. Elle avait en elle cette spontanéité, cette insouciance retrouvée après trois années d’angoisses. Une image : la folie au Carillon, bar touché par les attentats au 13-Novembre. Le symbole est fort. « On a besoin de moments comme celui-là, on a besoin de se retrouver après les années qu’on vient de vivre, nous racontait mardi soir sur les Champs Catherine, 40 ans. La dernière fois que j’ai vu le peuple soudé comme ça, c’était dans des circonstances dramatiques, le jour de la marche du 11 janvier après les attentats de Charlie. Aujourd’hui, enfin, on peut sourire, partager, communier. Ça fait du bien ».
Alexis Lebrun, porte-parole de l’association de victimes Life for Paris et rescapé du Bataclan.
« « Tout ce qui se passe autour de l’équipe de France m’émeut beaucoup. Ces images de vie… C’est très marquant et c’est très bien pour ça. C’est le signe qu’il y a une petite guérison. Un moment comme celui-là permet de faire sauter les barrières. La population a le droit de reprendre le cours de sa vie, sa capacité de résilience va au-delà du foot. C’est un symbole de la société qui se soigne. 2015 devient de plus en plus lointaine. » »
Nous étions en Russie, aussi. Dans les entrailles d’un stade qui a vu nos 23 héros mettre un bordel pas possible à la conférence de presse de Didier Deschamps et dans leur vestiaire. C’était drôle. C’était beau. C’était bien. Ils ont l’air heureux, heureux de nous rendre heureux. Deschamps : « Pour la jeune génération, ceux qui ont 10, 15, 20 ans, d’avoir vécu ça, de vivre cet évènement avec nous, c’est fort ».
« Oh putain ça va être dans la tempête »
« On a écrit l’histoire, l’histoire, ouais, deuxième étoile ! Pour le peuple français, c’est pour vous ! Vive la France ! », balançait Blaise Matuidi. « On entre dans l’histoire. C’est un rêve de gosse qui se réalise. Il faut profiter ! », enchaînait Griezmann. En plein milieu d’une interview à TF1, Adil Rami voit au loin débarquer une bande de gamins adorables. « Oh putain ça va être dans la tempête, on est pas dans la merde ».
Bien sûr que c’est la tempête Adil, et encore, attends de voir les Champs. Tu vas voir ce que c’est, une vraie tempête. Hier soir, ils étaient champions du monde. Ce soir, nous le serons ensemble. « Les rassemblements massifs montrent les Français vouloir s’impliquer et s’identifier publiquement à cette équipe même sans avoir contribué à son succès, éclaire Andreea Ernst-Vintila, docteure en psychologie sociale. Cela s’appelle "se chauffer de reflets de gloire". C’est une question non seulement d’image publique, mais aussi de sentiment de pouvoir. Ceux qui ont envahi les villes en brandissant le drapeau tricolore ont basculé d’un niveau d’identification personnel au niveau national, mêlant joie et gratitude. »
En vieux sage, Didier Deschamps avait pour ses joueurs une phrase plein de bon sens après le match. « C’est un groupe lié à vie, leur vie ne sera plus la même. » La nôtre non plus Didier. Elle sera d’une étoile plus belle.