La Coupe du monde dans nos vies, épisode 15. «Les défaites anglaises, ma madeleine de Proust», l'histoire d'un Français amoureux des Three Lions
FOOTBALL•Depuis l'Euro 1996, Mathieu n'a d'yeux que pour la sélection anglaise de football...William Pereira
Nous sommes tous un peu la Coupe du monde. Qu’on adore ou qu’on déteste le foot, qu’on le suive régulièrement ou une fois tous les quatre ans, qu’on soit né un soir de juillet 1998 ou trente ans avant, nous avons tous une expérience singulière et collective liée à la Coupe du monde. Durant tout le Mondial en Russie, 20 Minutes vous propose de l’explorer chaque jour à travers des témoignages, des interviews, des anecdotes, des jeux, des reportages ou des portraits. Parce que la Coupe du monde, c’est bien plus que juste du foot.
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Aujourd’hui, l’épisode . L'histoire de Mathieu, ce Français amoureux de la sélection anglaise depuis plus de 20 ans
Si vous suivez un peu le football, vous savez peut-être que le chroniqueur Daniel Riolo déteste par-dessus tout les supporters français d’équipes étrangères. Une ineptie, un manque de culture foot, dit-il. Partant de ce postulat il s’était payé, fin des années 2000, un pauvre auditeur d’un talk-show d’RMC coupable d’avoir utilisé le pronom « on » pour parler de Chelsea. Plus récemment, il en a soumis un autre – pro-Manchester City – à un interrogatoire improvisé pour mieux l’accuser d’hérésie sur fond de croisade footballistique.
Heureusement pour Daniel, Mathieu n’a jamais pris son téléphone pour composer le 3216 : son cas l’aurait ulcéré. Mathieu a la trentaine et est français. Il devrait, en toute logique, vibrer et souffrir pour les Bleus. Mais c’est bien paré d’un maillot de la sélection anglaise que le jeune homme se présente à nous dans les rues escarpées de Montmartre. Les Three Lions, c’est son dada. Préférant l’ensoleillement d’une terrasse à l’ombre du bar, le café au thé, le protagoniste de notre histoire n’a pourtant pas grand-chose de British. Et l’assume entièrement : « je n’ai pas vraiment d’attache particulière avec l’Angleterre ou sa culture, non ».
Plus cocasse encore, ce fan de rugby, sport qu’il pratique en qualité d’ailier, ne peut en revanche pas piffrer le XV de la rose. L’équipe de foot, oui, celle de rugby, non. Nous voilà perdus. Cela valait bien quelques explications :
« « Au rugby je les trouve tricheurs et mauvais joueurs. Au foot, je les trouve vicieux mais dans le bon sens du terme. J’aimais bien la roublardise d’un Paul Gascoigne, qui jouait avec les limites des règles. Des mecs qui ne soient pas des monstres de puissance comme CR7 mais qui jouent avec d’autres qualités, en gros. » »
Et il les aime d’amour, ces Anglais du football. Viscéralement. « Pendant Angleterre-Tunisie [2-1], j’ai senti de la souffrance. Tu sens qu'il est à fond pour eux », témoigne son pote Aymeric, aux nouvelles par texto tout au long de la rencontre. « Mais il n’y a rien de mieux qu’un but à la 94e », se marre Mathieu, dont on devine qu’il a célébré le pion salvateur d’Harry Kane devant sa télé avec autant de ferveur que le sélectionneur Gareth Southgate sur son banc. Heureux, mais un peu seul. « Le problème de soutenir l’Angleterre en étant français c’est que tu es tout seul dans la défaite et dans la victoire. Même si bon, la victoire, je connais pas trop », se marre-t-il.
Tomber amoureux de la sélection anglaise n’était pas vraiment le bon plan pour empiler les titres, c’est vrai (une Coupe du monde en 1966, puis plus rien, et encore, il ne l'a même pas vécue). Mais bon, en amour, on ne choisit pas. « Ca a commencé en 1996 avec l’Euro, j’avais 9 ans. J’étais complètement fou de cette équipe d’Angleterre. Je crois que ça commence vraiment avec Angleterre-Espagne, un match remporté aux tirs au but [fait suffisamment rare pour être souligné] », se souvient-t-il. L’équipe est particulièrement sexy, il faut bien l’avouer. Sans compter qu’en parallèle, la France est en pleine reconstruction après le fiasco Kostadinov.
« Il y avait Alan Shearer, Gascoigne et puis Seaman et son maillot flashy… une sacrée équipe ». Du cool, des couleurs et un petit complexe d’Œdipe en filigrane, aussi. « En 98 j’étais pour eux pour emmerder mon père, en fait. Je pensais pas que ma passion pour les Three lions irait aussi loin. » Vouloir chambrer le paternel est rarement une bonne idée et la sentence sera cruelle. L’Angleterre du prodige Michael Owen – dont les posters ornent alors la chambre de l’enfant – sortira défaite du plus beau match de la Coupe du monde 1998 contre l’Argentine en huitièmes de finale… aux tirs au but. « C’était la première fois que je chialais devant un match de foot ».
S’il avait choisi le bon camp, il aurait repoussé ce moment au 12 juillet et troqué les larmes de chagrin contre des larmes de joie. La suite, on la connaît. Une histoire de lose infinie pour la sélection anglaise. « Les défaites de l’Angleterre c’est un peu ma madeleine de Proust », nous dit Mathieu avant d’énumérer les échecs marquants de sa vie de supporter. Alerte spoiler: il n'est ici question ni de Zidane en 2006, ni de Knysna, ni d'Eder.
Euro 2000 (élimination dès la phase de poules) : « Je me souviens d’Angleterre-Roumanie avec les Roumains tous teints en blond [anachronisme, ils s’étaient teints en 1998]. Je m’étais couché à 2-1 pour l’Angleterre et en me réveillant je vois que la Roumanie a gagné 3-2. Le cauchemar. »
Euro 2004 et Coupe du monde 2006 (élimination aux tirs au but par le Portugal) : « S’il y a bien une équipe sur laquelle je ne veux pas voir l’Angleterre tomber, c’est le Portugal ». Le traumatisme des pénos est réel.
Coupe du monde 2010 (élimination en 8es par l’Allemagne): « Le pire du pire c’est le but refusé à Lampard en 2010… Un vrai scandale, je l’ai très mal vécu. Je me souviens en plus que mon ex m’avait sorti le combo ‘c’est que du foot’ et ‘c’est pas la France qui joue’, ça m’avait rendu vert. Ça a peut-être joué dans le fait qu’on se soit séparé d’ailleurs (rires). Je suis persuadé que sans ce but refusé ils auraient fait une très bonne coupe du monde 2010. »
Euro 2016 (élimination en 8es par l’Islande) : « La défaite de l’Islande m’a immédiatement renvoyé à celle de 1998 contre l’Argentine. J’étais énervé, je me suis coupé de tout, je suis parti me coucher en me disant ‘ on m’y reprendra plus’ et finalement deux ans plus tard j’ai de l’espoir pour cette Coupe du monde. »
De l'espoir, des buts et du jeu
Les premiers résultats des ouailles de Gareth Southgate semblent justifier les espoirs de Mathieu. Un succès à l’arrache contre la Tunisie (2-1), une dérouillée infligée aux bizuts panaméens (6-1) avec en prime, Harry Kane meilleur buteur à l’issue de la phase de groupes… Ajoutons à cela la récente finale en Ligue des champions de Liverpool et voilà que le parfum de la victoire fait son retour au nord de la Manche. « Là, non seulement on a de bons joueurs mais aussi un entraîneur anglais. Les Eriksson, Capello, tout ça, ils ont pas la culture anglaise. Southgate est passé par Manchester United, je le sens bien. J’ai l’impression qu’on veut produire du jeu, qu’on est plus techniques, moins kick and rush. Si je m’enflamme, je peux comparer cette équipe à celle de 98. » L’Angleterre, pas la France.