La Coupe du monde dans nos vies, épisode 5. Kant et Kanté dans la même phrase, on vous explique comment parler foot dans vos copies du bac
ANNALES•On a appelé des profs pour vous mettre dans les meilleures conditions...Laure Cometti
L'essentiel
- Le bac, ça débute aujourd'hui par l'épreuve de philo.
- «20 Minutes» a appelé des profs pour placer le foot dans vos copies (et c'est sérieux).
Nous sommes tous un peu la Coupe du monde. Qu’on adore ou qu’on déteste le foot, qu’on le suive régulièrement ou une fois tous les quatre ans, qu’on soit né un soir de juillet 1998 ou trente ans avant, nous avons tous une expérience singulière et collective liée à la Coupe du monde. Durant tout le Mondial en Russie, 20 Minutes vous propose de l’explorer chaque jour à travers des témoignages, des interviews, des anecdotes, des jeux, des reportages ou des portraits. Parce que la Coupe du monde, c’est bien plus que juste du foot.
>> Pour relire l'épisode d'hier, sur les légendes urbaines de la Coupe du monde
>> Aujourd’hui : Comment caler du foot dans vos copies du bac
Si vous avez votre bac, il y a de fortes chances pour que le souvenir des épreuves soit intimement mêlé à Roland-Garros dans votre esprit. Même si vous n’aimiez pas particulièrement regarder Kuerten battre Agassi, une force invisible et irrésistible vous a probablement cloué à la télé et détourné de vos révisions. Et si vous n’avez pas eu de chance, vous êtes tombé une année de Coupe de Monde de foot, comme l’auteure de ces lignes en 2006.
Face à ma copie blanche, pendant l’épreuve de SVT, je repensais à cette soirée perdue à regarder les Bleus faire match nul contre la Suisse, tout en essayant de me remémorer le cours sur les roches volcaniques. Le dilemme fut pire pour mes copains au rattrapage, tiraillés entre réviser pour l’oral de repêchage et suivre les Bleus se hisser jusqu’à la finale pendant ces chaudes soirées de juillet.
En repensant à nos jeunes années, on a eu envie de partager un peu de notre sagesse avec vous, jeunes lecteurs. Samedi, la France a battu l’Australie en poule. Aujourd’hui, vous allez plancher pendant quatre heures sur la philo. Jeudi, vous allez sûrement laisser vos cahiers pour suivre France-Pérou alors que le lendemain vous enchaînerez maths puis LV2. Puisque mater un match avec un manuel ouvert sur son canapé n’a, a priori, jamais aidé personne à décrocher son bac, on s’est dit qu’on allait plutôt vous aider à injecter du foot dans vos révisions. On est donc allé faire plancher des profs sur le sujet. Voici nos tuyaux pour parler de ballon rond dans vos copies, en obtenant une mention. Ne nous remerciez pas, on est là pour ça.
>> Philosophie
L’avis du prof : « En philo au bac, il n’y a pas d’exemples honteux, ou dévalorisés par principe : il y a simplement des façons honteuses d’utiliser des exemples ». Vous voilà prévenus.
Ce qu’il ne faut pas faire : « Il faut à tout prix éviter le premier degré et les généralités niaises, en invoquant n’importe quelle star du foot pour montrer que "la détermination et la volonté peuvent tout" ou que "pour trouver le bonheur, il suffit de croire en ses rêves" ».
Le mot d’ordre : Envisager le foot non pas dans ses dimensions spectaculaires ou divertissantes, mais sociales, politiques, économiques, techniques, artistiques…
Oui mais concrètement ?
Comment montrer que vous maîtrisez le programme tout en parlant de foot dans votre disserte ? Peut-on caler Kant et Kanté dans la même phrase ? Réponse avec Pierre, prof de philo en Terminale, qui prend l’exemple de Neymar, mis à toutes les sauces.
« Sur l’art et la technique, on peut montrer que si tous les footballeurs ont de la " technique ", seuls quelques-uns ont de l’originalité, de l’inventivité, de la créativité. Neymar est de ceux-là (et c’est pourquoi il est plus connu, plus admiré, plus scruté : il réinvente le métier à chaque geste). C’est la distinction entre l’artisan et l’artiste : l’un reproduit (parfaitement peut-être), l’autre crée (avec immanquablement des ratés, du « déchet ») : Kant dit que le génie « donne ses règles à l’art », c’est-à-dire met au jour des façons de faire que personne n’avait aperçues. Certes, il parle des Beaux-Arts, mais l’exemple peut être transposé sans trop de dommage au domaine du sport, puisqu’il y a un « savoir-faire » qu’il s’agit de dépasser (et cela changera des éternelles références scolaires, et rarement maîtrisées, à Picasso ou Mozart). D’ailleurs les gestes radicalement nouveaux sont baptisés du nom de leur auteur, comme certaines œuvres (la « Panenka », la « Madjer »…).
Si on parle du travail, le cas Neymar fournit une d’exception au principe du salariat tel que décrit par Marx : le salaire, c’est le temps de vie vendu à un autre pour obtenir la maigre paie qui permet de subsister jusqu’au mois prochain… et retourner travailler ! Le salariat, c’est l’exploitation du travailleur par le capitaliste, qui gagne de l’argent en réalisant une plus-value sur le travail effectué, c’est-à-dire en sous-payant le travail.
Le joueur de foot moderne, une fois sorti du goulet d’étranglement des niveaux de sélection, devient un salarié surpayé, au sein de clubs qui bien souvent ne font pas de bénéfices… C’est une drôle d’anomalie, mais c’est ainsi : Neymar gagne en un mois de quoi bien vivre jusqu’à la fin de ses jours. Insuffisant pour donner tort à Marx (du moins en quelques lignes), mais intéressant pour nuancer la réduction du travail salarié à l’aliénation.
La conscience est notre faculté d’attention au réel. Elle se dilate plus ou moins (lors d’une dissertation de philo, on est plus ou moins concentré, on réfléchit intensément ou rêvasser). Mais plus un geste devient habituel, plus la conscience s’efface au profit des automatismes, selon Bergson. Quand j’apprends à faire du vélo, je suis attentif à tous mes gestes ; puis cela devient mécanique, et je n’y pense plus. Dans tout sport, il y a donc une quête d’efficacité qui passe par l’apprentissage d’automatismes, donc la réduction au maximum de la réflexion, du choix, de la conscience. Quand je dois tirer un penalty, je ne dois pas réfléchir, sinon je risque de douter, d’hésiter, et je multiplie mes chances de rater. La conscience parasite le geste, l’esprit joue contre le corps, le vivant résiste au robot. Pourtant, le sportif de haut niveau doit devenir une machine (Cristiano Ronaldo s’impose peut-être ici ?) ? Au risque de se déshumaniser ? »
(Ce coup-franc, c'est pas humain).
Histoire-géo
L’avis du prof : « S’il y a du foot dans la copie, je le valoriserai ! Mais ça dépend des correcteurs »
Ce qu’il ne faut pas faire : Des erreurs géographiques. Si vous êtes passionné de foot, que ça vous serve au moins à savoir placer l’Argentine sur une carte.
Le mot d’ordre : « Ne recrachez pas votre cours bêtement. »
Oui mais concrètement ?
Le foot peut facilement servir à illustrer pas mal de phénomènes de la mondialisation ou de géopolitique, selon Jules, prof d’Histoire-géo en Terminale.
« On peut placer le foot dans une compo sur l’émergence de la Chine. Par exemple, quatre entreprises chinoises figurent parmi les sponsors officiels du Mondial 2018 : ça montre qu’il y a un déplacement de l’économie mondiale vers l’Asie. Toujours sur la puissance économique de la Chine, on peut décrire l’explosion des dépenses chinoises dans le football. Ainsi l’Argentin Carlos Tevez a quitté Boca Juniors, racheté en 2017 par le club Shanghai Shenhua où un salaire annuel de 38 millions d’euros lui était promis. En 2016, les clubs de foot chinois ont dépensé plus de 470 millions d’euros en transferts, alors que le pays, classé 82e mondial par la FIFA, n’a pas une culture très ancienne du foot. Cela illustre l’occidentalisation de l’empire du milieu. »
Passons à l’Histoire : « En 2001, le premier match France-Algérie de l’histoire du foot a tourné au fiasco, au Stade de France. Ce match amical, et politique, a commencé avec une Marseillaise sifflée par une partie du public. La rencontre a été interrompue à la 76e minute car le terrain a été envahi par des centaines de jeunes spectateurs, dont beaucoup de Français d’origine algérienne, alors que les Bleus menaient 4 à 1. Depuis, les deux équipes ne se sont plus affrontées. Ça peut servir d’accroche pour une disserte sur la colonisation, en montrant que les relations ne sont pas apaisées entre la France et son ancienne colonie et que la guerre d’Algérie est un passé qui ne passe pas, pour reprendre la formule d’un historien ».
Sciences économiques et sociales (SES)
L’avis du prof : « En éco et socio, on peut parler de foot et surtout des flux financiers et humains qu’il génère »
Ce qu’il ne faut pas faire : « Croire que le correcteur s’y connaît en foot ! Mieux vaut bien expliquer vos exemples, sans tartiner une page entière. Soyez précis et concis »
Le mot d’ordre : « Relisez Bourdieu ! (non, c’est une blague) »
Oui mais concrètement ?
D’abord, vous pouvez réviser la théorie de l’innovation de ce bon Schumpeter décryptée à travers la stratégie de l’AS Monaco par vos serviteurs par ici.
Alex, prof de SES, « qui s’y connaît pas vraiment en foot », nous a aussi filé quelques tuyaux. En 2016 à Liverpool, des milliers de supporters ont quitté le stade à la 77e minute du match contre Sunderland, pour protester contre le prix des billets, jugé trop élevé. Cette “grève” des supporters est intéressante car les fans sont en général prêts à payer plus pour assister aux matches de leur équipe, ou au concert de leur idole. On parle alors de demande inélastique au prix : le prix n’a pas d’effet repoussoir sur l’acheteur. Une entreprise, qui recherche le profit, devrait donc en théorie augmenter le prix de ses billets. Mais les stades et les clubs ne sont pas vraiment des entreprises comme les autres : ils ont besoin de s’assurer d’un public nombreux et “chaud”. Or le prix des billets a un impact sur la sociologie des spectateurs, et sur la fidélité des supporters. La question a déjà été étudiée par pas mal d’économistes, si ça peut vous rassurer au moment de glisser cet exemple dans vos copies.
Autre question d’éco footballistique : organiser le Mondial a-t-il un impact sur la croissance du pays organisateur ? Les économistes sont là pour doucher votre enthousiasme : la réponse est non. Si quelques secteurs vont bénéficier d’un pic d’activité pendant une compète (tourisme, paris sportifs, restauration…), elle n’a pas d’effet macroéconomique. Vous pouvez citer les données de l’Insee, qui montrent qu’après la victoire des Bleus en 98, le moral des ménages a eu un petit coup de pouce. Mais cela n’a pas eu d’impact sur la consommation des ménages, le PIB ou la courbe du chômage. Si les organisateurs dépensent des milliards pour accueillir de telles compétitions, c’est avant tout pour le rayonnement international qu’elles garantissent (n’est-ce pas Vladimir ?).
Etant donné la nature des épreuves de LV1, LV2 et de maths, on vous conseille de laisser le foot en dehors de vos copies. Mais notre tuto devrait vous permettre d’assurer dans les autres matières et d’obtenir les félicitations du jury.