La Coupe du monde dans nos vies, épisode 11. Larissa Riquelme, Escobar et les Coréens dopés, ces légendes urbaines du Mondial (part 2)
FOOTBALL•20 Minutes revient sur les rumeurs et intox qui ont marqué les Coupes du monde...Mathilde Cousin et J.L.D
Nous sommes tous un peu la Coupe du monde. Qu’on adore ou qu’on déteste le foot, qu’on le suive régulièrement ou une fois tous les quatre ans, qu’on soit né un soir de juillet 1998 ou trente ans avant, nous avons tous une expérience singulière et collective liée à la Coupe du monde. Durant tout le Mondial en Russie, 20 Minutes vous propose de l’explorer chaque jour à travers des témoignages, des interviews, des anecdotes, des jeux, des reportages ou des portraits. Parce que la Coupe du monde, c’est bien plus que juste du foot.
>> Pour relire l'épisode d'hier: Comment le foot pour aider à soigner Alzheimer
Aujourd’hui, l’épisode N°11 : Ces légendes urbaines qui ont marqué l’histoire de la Coupe du monde (part 2)
Le plus drôle dans la confection de cet article, c’était sans doute de chercher toutes les conneries qui ont pu se dire ou s’écrire sur la Coupe du monde. Dimanche dernier, vous avez pu lire cinq premières légendes urbaines transmises de générations en générations sur le Mondial. Voici désormais notre deuxième sélection d’histoires invraisemblables passées au mixer du fact-checking. Régalez-vous.
La bombe Larissa Riquelme
Ahhhhh, Larissa. A chaque fois qu’on pense à toi, on a le souvenir ému de l’émoi que tu nous as procuré. Le temps d’une Coupe du monde toute pourrie, en 2010, tu as conquis l’espace, notre espace. On est tous tombés sous ton charme que l’on pensait aussi innocent que passionné… Et on s’est fait avoir.
Pour nous, tu étais Larissa la belle inconnue fan à en crever de son Paraguay, l’anecdote douce d’une Coupe du monde, la photo heureuse d’une fin d’adolescence. A l’époque, 20 Minutes avait fait de toi « La vraie star du Mondial » et racontait ainsi la genèse de ta légende :
« « Au départ, c’est une photo postée sur digg puis reprise par le site de news gawker qui va mettre le feu au buzz. Mais qui est cette supportrice paraguayenne avec son téléphone dans le décolleté ? se demande le 14 Juin Deadspin, le blog consacré au sport chez gawker ? » »
Larissa Riquelme, sa photo et son téléphone rangé entre les seins deviennent instantanément mythiques, le « buzz mondial » dans le sens très 2010 du terme. Et puis le charme s’effondre aussi vite que la hype est montée. La photo n’était pas prise par hasard, Larissa n’est pas la « girl next door », son téléphone n’était pas là par hasard.
Quelques jours après l’apparition sur tous les réseaux sociaux de la PHOTO de Larissa, on append qu’elle n’est pas juste une supportrice, c’est une supportrice-actrice-mannequin, qu’elle n’était pas par hasard mais pour une campagne de com’parfaitement orchestrée. La suite fait perdre à ce buzz toute son innocence, il devient rapidement libidinal tendance malsain. « 20 minutes » de l’époque, encore :
« Marca, le site de foot madrilène lui a consacré 3 parties de diaporama, La version espagnole du site yahoo-eurosport dédiée à la Coupe du monde également. Elle a aussi le droit aux honneurs de la visite d’une rédaction sportive. Même le moteur de recherche chinois sohu (partenaire pour les J.O. de 2008) y va de son petit diaporama à la gloire de la brune supportrice.
Apres Martine au stade, ce sont les aventures de Larissa d’Asunción que l’on suit, Larissa dépitée face à la squadra azzura, Larissa et son portable, Larissa et sa vuvuzela, Larissa et ses amis… »
La suite ?
- Larissa devient le running-gag de la Coupe du monde, mitraillée de photo à chaque match du Paraguay
- Larissa se transforme en femme-publicité, allant jusqu’à se tatouer la marque « Axe » sur le sein
- Larissa annonce qu’elle posera nue si le Paraguay gagne la Coupe du monde
- Larissa pose quand même nue malgré l’élimination en huitième de finale en guise de « cadeau pour tous les joueurs paraguayens, qui ont tout donné sur le terrain », et elle le fait dans un grand magazine national
- Larissa annonce (oh surprise !) qu’elle va tourner des publicités pour Nokia, qui est, figurez-vous, la marque du téléphone entre ses seins.
A tel point d’ailleurs que beaucoup ont supputé que toute cette histoire n’était qu’un coup de comm’orchestré par la marque américaine. Jamais ça ne sera prouvé. Peu importe. On nous a bien eu.
Les Coréens du Sud étaient-ils dopés en 2002 ?
Cette légende démarre au début des années 2000, lorsqu’à quelques mois d’écart, plusieurs des joueurs que le coach Guus Hiddink a eu sous ses ordres avec les Pays-Bas sont contrôlés positifs à la Nandrolone, avant qu’il ne fasse de la Corée du Sud une machine de guerre capable de courir vite, longtemps et beaucoup lors de son Mondial, en 2002. La question est venue de manière brute, frontale après des prolongations totalement improbables d’endurance lors de la victoire face à l’Espagne, en quarts de finale. « Votre fraîcheur est-elle liée au dopage ? », demande un journaliste en conférence de presse au sélectionneur Hiddink.
« Je n’ai jamais entendu parler de ça. Si vous faites des accusations, il faut avoir des preuves. Je ne veux pas trop réagir car les garçons ont travaillé très dur. De toute façon, on ne peut pas améliorer la vitesse des joueurs grâce à une médication. »
Maurice Greene pourrait dire le contraire mais passons. Le doc de l’équipe ajoute que depuis trois mois avant la compétition à raison de trois par jours, on administrait aux joueurs des pilules faites à base de carpes et de mulets (ce sont des poissons), d’herbes médicinales et de Ginseng cuit à la vapeur. Bon…
Six ans plus tard, Hiddink refait le même coup avec la Russie, demi-finaliste surprise de l’Euro. Ca commence à faire beaucoup, à tel point que le journaliste allemand Thomas Kistner publie en 2016 Shot, un livre dans lequel il met directement Hiddink. Il y analyse notamment les performances de la Russie, à l’Euro 2008 : « Alors qu’ils n’avaient eu que trois jours de repos après leurs derniers matchs, les Russes ont couru en quart de finale (victoire 3-1 contre les Pays-Bas) 143,7 km. Leurs adversaires en ont couru deux de moins avec 5 jours de récupération. La Russie a placé trois joueurs parmi les 5 qui ont le plus couru de la compétition, 5 dans les 10. Et l’on parle de joueurs comme Arshavin qui n’ont jamais montré de pareilles aptitudes avant ou après cette compétition. »
Dans une interview donnée au site metroniews.nl, Kistner explique ses soupçons : « C’est quand même incroyable la façon dont Hiddink a réussi à faire d’équipes insipides et sans la moindre des monstres de physique ? La Corée du Sud n’avait jamais performé à aucune Coupe du Monde, soudain en 2002, elle arrive jusqu’en demi-finale. L’endurance des joueurs était remarquable, il fallait leur tirer dessus pour les arrêter. »
Sauf qu’il n’a aucune preuve tangible. « Le livre n’a pas pour but de montrer du doigt, mais de poser des questions, coupe-t-il. Je suis journaliste, pas un procureur ayant besoin d’apporter des preuves. Le lecteur devra en tirer ses propres conclusions. Il est de toute façon difficile de prouver que les sportifs se dopent. » Le livre ne fera réagir que Raymond Verheijen, le physio qui accompagnait Hiddink à chacune de ces campagnes. « C’est le plus grand des compliments qu’on puisse me faire », en rigole-t-il. Considéré comme le véritable génie derrière les succès d’Hiddink, Verheijen est devenu une sorte de gourou de la préparation physique dans le monde du football.
C’est con, personne n’a pensé à lui pour cette Coupe du monde. Y avait pourtant une demi-finale surprise à aller chercher.
Escobar tué pour son but contre son camp
Bon, vu la gravité du sujet, on ne va pas se la jouer pseudo-suspense. Oui, le défenseur colombien Andrés Escobar a été assassiné pour avoir inscrit un but contre son camp lors du mondial 1994. Présenté comme l’équipe-frisson de cette Coupe du monde, et un outsider possible, la Colombie sortira piteusement au premier tour. Escobar inscrira un CSC d’un tacle malheureux lors du deuxième match (déjà décisif suite à la défaite contre la Roumanie 3-1 lors de la première rencontre), ouvrant le score pour les Etats-Unis d’un tacle malheureux. Défaite 2-1, fin du rêve colombien.
A son retour au pays, Andrés Escobar (aucun lien avec le narcotraficant, on préfère préciser) reçoit de nombreuses menaces de mort, mais ne s’en inquiète pas outre-mesure. « Dans le football, au contraire des combats de bêtes sauvages, la mort n’existe pas. Personne ne meurt, personne ne se fait tuer. Il n’y a que du plaisir », dira-t-il. Si seulement… Un mois après l’échec de la Coupe du monde, il se fait assassiner le 2 juillet 1994. L’homicide a lieu sur un parking d’un bar de Medellín. Son meurtrier, Humberto Muñoz Castro, homme de main de groupe de narcotraficant lui tire 12 coups de feu en criant à chaque balle tirée : « Gol !!! ».
De nombreuses rumeurs évoquent l’action des syndicats narcotrafiquants qui avaient parié d’importantes sommes d’argents sur la qualification de la Colombie, mais aucun procès n’a réussi à le prouver facilement. Reste la vérité crue : Andrés Escobar, mort pour un but.
Et si la Coupe du Monde de 1958 avait été manipulée par la CIA ?
C’est la surprenante théorie qu’ont découvert les Suédois en 2002. Cette année-là, Conspiration 58, présenté comme un documentaire, est diffusé à la télévision suédoise. Le documentaire veut prouver que la Coupe du monde de 1958 ne se serait pas déroulée en Suède, mais aurait été tournée aux Etats-Unis. La CIA et la FIFA auraient manipulé la compétition, remportée le Brésil.
Le documentaire prétend s’appuyer sur le travail d’un historien, qui aurait noté plusieurs détails suspects, comme des bâtiments en arrière-plan ou l’ombre des joueurs. Des anciens footballeurs témoignent également.
En réalité, il s’agit d’une intox. Pour le réalisateur, Conspiration 58 « est à la fois un documentaire sur la Coupe du monde de 1958 et un film important sur la vérité, la dénégation et l’importance de porter un regard critique. » Johan Löfstedt a eu l’idée de ce faux documentaire en regardant une émission sur les négationnistes, explique le site FourFourTwo. « Je voulais montrer aux gens qu’il ne faut pas croire tout ce que l’on voit à la télévision ou lit sur internet, ajoute le réalisateur. Tout le monde devrait être un spectateur critique. »
Les Argentins ont-ils drogué un joueur brésilien lors d’un match en 1990 ?
En lisant la question, vous vous dites sûrement « Non, mais ça va trop loin ces rumeurs, c’est n’importe quoi. » Sauf qu’il semblerait bien que cette légende soit vraie ! En 1990, les deux rivaux sud-américains se retrouvent en huitième de finale de la Coupe du monde 1990. L’Argentine s’impose 1-0 dans un match assez moche. Pour la petite histoire, c’est d’ailleurs de ce match que parle la fameuse chanson Brasil decime que se siente.
aMais l’intérêt n’est pas là. Le milieu de terrain brésilien Branco accuse après coup l’Argentine de l’avoir intoxiqué par une bouteille d’eau droguée, ce qui expliquerait sa prestation médiocre, étant notamment fautif sur le marquage de Caniggia, seul buteur.
Mauvais perdant ? Pas si sûr, car les langues se délient petit à petit. Cela commence par Bilardo, sélectionneur argentin de l’époque. Interrogé par le magazine Veintitres au sujet de cette rumeur, il répondra : « Je ne sais pas, je ne sais pas. Mais je ne dis pas que cela ne s’est pas passé… » De quoi faire scandale au Brésil ! Surtout que Maradona himself sous-entendra bel et bien que la bouteille contenait un somnifère dans une émission argentine en 2005.
Le principal intéressé, Branco, reviendra lui aussi sur la polémique. « L’eau avait un goût bizarre, j’ai eu des hallucinations, ma tête tournait. J’ai eu beaucoup de mal à jouer normalement par la suite. » Il dira même que Ruggeri, joueur argentin qui lui donna la bouteille, lui aurait avoué en privé dès 1992 que l’eau était droguée et devait circuler entre tous les joueurs brésiliens. Si comme l’eau de ce match, cette histoire restera sans doute toujours un peu trouble, tout semble donc indiqué que Branco fut drogué ce jour-là.
>> Demain: Une interview patriotisme avec Marcel Desailly