Biathlon : « Entre le stade et l'hôtel, on ne pourra rien faire », Siegfried Mazet raconte la bulle IBU
INTERVIEW•L’entraîneur français de tir de l’équipe de Norvège fait le point sur la bulle sanitaire dans laquelle vient de plonger le biathlon avant la reprise, samediPropos recueillis par William Pereira
L'essentiel
- La Coupe du monde de biathlon reprend à huis clos, samedi.
- Les biathlètes et les staffs seront soumis à une bulle sanitaire stricte.
- Siegfried Mazet, l’entraîneur français de l’équipe de Norvège, explique à 20 Minutes comment cette bulle se matérialisera.
Pas de Martin Fourcade ni de public pour la reprise du biathlon, samedi à Kontiolahti (Finlande). Les skieurs-snipers ouvreront les hostilités sur un individuel de 20 bornes dans un environnement dystopique, contexte sanitaire oblige. Pour s’adapter à la pandémie, l’IBU a refaçonné son calendrier en supprimant les étapes d’Ostersund, du Grand-Bornand et de Ruhpolding afin de limiter les changements de zone géographique, et en allongeant les étapes de la Coupe du monde. La première, en Finlande, se fera donc en deux temps : trois jours de course ce week-end, puis une petite pause jusqu’à la suite et fin du périple scandinave (3-6 décembre).
Entre les courses et les entraînements, la vie dans la bulle organisée par l’IBU en accord avec la réglementation finlandaise, sera d’une infinie tristesse. Des zones de différentes couleurs au sein des installations devront permettre aux coureurs et membres de staff de rester à l’abri du « danger » extérieur afin d’éviter toute contamination. L’entraîneur français de tirde l’équipe de Norvège, Siegfried Mazet, nous plonge à l’avance dans l’IBUlle.
Comment elle se présente, cette bulle biathlon ?
Sous la forme d’une quarantaine. On a eu une réunion samedi après-midi avec l’IBU, tous les coachs et tous les membres du staff qui seront présents. Ils nous ont clairement dit qu’entre le stade et l’hôtel, on ne pourra rien faire. Si on a besoin d’acheter quelque chose d’autre à l’extérieur, il y aura un service de conciergerie. Ils mettent en place des choses pour qu’on ait à croiser un minimum de monde voire personne de l’extérieur. Et si on doit sortir de cette bulle on devra refaire des tests Covid à notre charge. Là on a subi un test hier [interview réalisée mardi] j’arrive demain [mercredi] et je refais un test jeudi et encore un test cinq jours plus tard. J’ai regardé, on a un plan, on devrait être testés tous les quatre jours.
C’est un cadre assez pesant, même si on imagine que vous êtes heureux de reprendre la compétition…
Oui, c’est sûr que ça sera plus compliqué que d’habitude, mais après il faut que ça ait lieu. Et si c’est le prix à payer pour que la Coupe du monde ait lieu dans de bonnes conditions, je pense qu’on est tous prêts à ça. On est tous prêts à faire que le business tourne avec les contraintes qui y sont associées. Après on ne dépend pas que de l’IBU mais aussi des restrictions propres à chaque pays. L’exemple du ski [alpin] suédois la semaine dernière [à Levi, également en Finlande] : il y a eu un coach positif, les autorités de santé finlandaise ont demandé que toute l’équipe suédoise soit mise en quarantaine, donc ça veut dire que tous les athlètes suédois n’ont pas pu concourir.
Consécutivement à ça, on a eu cette réunion avec l’IBU qui je pense a vraiment peur qu’il y ait un cas et que ça sorte une équipe de l’échiquier avec toutes les conséquences qui y sont évidemment associées, c’est-à-dire le classement nations pour la saison d’après avec les quotas par nation pour les athlètes, etc. C’est pour ça qu’on a une grosse pression de la part de l’IBU sur notre responsabilité à l’égard du coronavirus.
En fonction des mesures en vigueur selon les pays, c’est donc un système qui ressemble à ce qu’on a vu en cyclisme, s’il y a X cas, toute l’équipe en pâtit ?
Je suppose qu’ils essayeront quand même de voir au cas par cas. Mais en fait l’IBU va prendre ses responsabilités pour l’organisation. Pour ce qui est du reste, elle doit quand même se soumettre aux règlements du pays dans lequel on est. La Finlande tolère que l’IBU puisse organiser cette coupe du monde avec un comité d’organisation mais en contrepartie, s’il y a des cas, il faut se soumettre aux règles du pays. En revanche dans le cas où le pays laisserait l’autorité à l’IBU, effectivement s’il y a plus de trois cas, peut-être qu’ils mettront l’équipe en quarantaine mais pas au premier cas comme ça peut l’être actuellement en Finlande.
Vous êtes-vous préparés psychologiquement à vivre une saison pénible ?
On l’est parce qu’on a dû s’entraîner dans ces conditions. Moi particulièrement en restant en France et en travaillant en Norvège, à chaque fois que je me suis retrouvé en Norvège cette année j’ai dû avoir au moins cinq jours de quarantaine avec un test à mon premier jour et un second cinq jours plus tard ce qui me permettait après d’être libéré. A chaque fois on a été soumis à ça. On a pu s’entraîner une fois en Italie cette année au mois d’octobre. Quand les athlètes sont revenus, pareil, ils ont été soumis à des tests. On a déjà pris la mesure de ce que ça allait être. On s’y prépare parce qu’on sait que les conditions vont être encore plus restrictives, qu’on va être dans un seul hôtel accueillant les athlètes de cinq ou six pays ensemble. Donc il faudra s’organiser au moment des repas, etc. Il y aura un protocole qu’il faudra strictement respecter. L’IBU nous a prévenus, si elle juge qu’une ou deux personnes ne respectent pas les règles en vigueur elles se font retirer l’accréditation et seront mises hors-jeu. C’est clair. On est prêt pour ça.
Concrètement, ça a changé quoi d’autre dans votre préparation ?
Dans deux ans, les Jeux sont dans la région de Pékin en altitude, donc nous dans notre programmation dans l’optique de ces JO, on avait décidé de faire trois fois trois semaines en altitude pour voir déjà dans cette saison pré-olympique comment les corps allaient réagir, et ça on n’a pas pu le faire. C’est le seul problème. Après au lieu de s’entraîner en altitude, on s’est entraînés normalement. Si on fait une mauvaise saison je ne mettrai pas ça sur le dos du Covid, ça serait trop facile. On a fait nos 100 jours de stage comme prévu sauf qu’au lieu de les faire à 1.800 m on les a faits à 1.000 m, c’est tout.
Vous vous en accommodez presque…
Pour moi ça a été un choc des cultures quand je suis arrivé en Norvège parce que ce qu’on s’applique aujourd’hui en France, c’était presque la norme en Norvège dès mon arrivée. C’est-à-dire qu’il y avait beaucoup de précautions, de distanciation hors crise sanitaire. En Norvège, ils se font très peu d’accolades, ils ne se font pas la bise. Il y a toujours une certaine distance et c’était encore plus vrai dans le sport. Ils ont toujours eu peur d’être malade, peur d’avoir un truc, même si pour moi c’est un peu excessif. Un Norvégien quand il éternue pour rire, ils ne se disent pas à tes souhaits mais « flying ticket home ». C’est évocateur. C’est beaucoup de précautions. Les gels hydroalcooliques, pareil.
Notre kiné, notre docteur en avaient toujours et ils en mettaient à table déjà avant tout ça. Ces gestes barrière étaient déjà dans notre façon de fonctionner. Les choses qui ont changé, finalement, c’est qu’au lieu d’être par deux à l’hôtel, les gars sont juste un par chambre, c’est la seule restriction qu’on s’est imposée. Ça, et le fait de s’habituer à ne plus prendre n’importe quel tapis au tir. A l’entraînement, chacun avait un poste attitré et le gardait toute la journée et personne n’avait le droit d’en changer. C’était les deux seules nouveautés notables.