Biathlon: « J'aime beaucoup Pinot et Nibali »... Emilien Jacquelin, le biathlète au panache de cycliste
BIATHLON•Révélation de la fin d'année 2019, Emilien Jacquelin court avec panache, non sans rappeler les cyclistes qu'il aime tantWilliam Pereira
L'essentiel
- Emilien Jacquelin est la dernière révélation du biathlon français.
- Avec deux podiums, il a été l'un des meilleurs Français de la fin d'année 2019.
- Jacquelin se distngue par un certain panache, héritage de sa passion pour le vélo.
Mise à jour : A l'occasion de son titre de champion du monde à Antholz, nous donnons un deuxième vie à ce portrait d'Emilien Jacquelin, écrit au coeur de l'hiver.
Le 14 décembre dernier, sur la poursuite d’Hochfilzen, Emilien Jacquelin a réalisé son rêve. Pas tant en grattant ce premier podium en Coupe du monde que par la manière dont il est allé chercher la troisième place, en lâchant Fak et Desthieux dans la dernière ascension à la manière d’un cycliste. « Dans la montée, nous dit-il, dans ma tête je pense aux heures passées à regarder le Tour de France », apogée des vacances de son enfance passées chez les grands-parents en Vendée, où la chaleur estivale l’obligeait, lui et ses frères, à rester cloîtré entre quatre murs.
Clément, frangin et carabinier du benjamin, raconte : « On regardait le Tour tous ensemble. Mais pour vous dire à quel point il aime le vélo, je peux vous dire qu’Emilien connaît par cœur la cassette du Tour 1998. Il l’a regardée je ne sais combien de fois ! » Chez les Jacquelin, le vélo est chose sacrée. Le père pédalait, le grand-père a failli faire carrière chez les pros et l’arrière-grand-père était pistard. Emilien s’y est aussi essayé sans succès en club avant de se concentrer sur le biathlon. Clément, toujours : « il était convoqué pour des sélections en vélo mais à chaque fois il tombait malade et ne pouvait pas y aller. Il dit souvent que le vélo n’a pas voulu de lui, mais il est clair qu’il avait les capacités pour en faire. »
S’il avait fait cycliste, il aurait probablement aimé s’envoler dans les cols alpestres comme ce drôle de bonhomme qui s’imposait à chaque visionnage de la fameuse VHS de 98.
« « Bon, il a fini par se faire rattraper par le dopage mais j’aimais la manière de courir de Marco Pantani, son panache. Aujourd’hui, j’aime beaucoup Thibaut Pinot ou Vincenzo Nibali, par leur manière de courir à l’ancienne, moins dans le calcul. Je me disais que quel que soit le sport dans lequel je courrais, c’est comme ça que je le ferais. A l’attaque. » »
Six secondes pour cinq balles, Lucky Luke Jacquelin
On comprend mieux les débuts du bonhomme sur le circuit mondial : roi des premiers temps intermédiaires, il avait tendance à disparaître des radars après le premier tour de boucle. Vincent Vittoz, coach de l’équipe de France de biathlon, commente : « Il avait tendance à partir très vite parce qu’il a une masse musculaire qui lui permet de le faire. Mais sur la durée il faiblissait. » L’intéressé l’explique autant par une envie de faire le spectacle qu’un besoin physiologique et psychologique de rentrer dans rapidement dans ses courses. Pour son tir, c’est pareil. Analyse du frère Jacquelin : « Il n’y a que six secondes entre sa première et la dernière balle. Il a seulement un petit temps de préparation avant, il se conditionne, il crée ce lien avec la cible. Mais après ça part très vite ». Parfois trop, comme souvent sur ses derniers tirs debout sur les sprints.
« « On a eu une discussion après le sprint du Grand-Bornand. Je lui ai dit, à propos de son tir debout, qu’en le voyant arriver sur le pas de tir, on a l’impression qu’il a un énorme regain d’énergie qu’il doit canaliser soit en laissant son talent s’exprimer pleinement, comme il sait le faire. Ou alors, il doit revenir à quelque chose de plus méthodologique. Mais quand il est dans l’entre-deux, ça ne marche pas. » »
Sauf que le calcul, très peu pour les coureurs d’instinct. Notre Thibaut Pinot sur skis a beau avoir pris conscience de l’importance de gérer ses forces, il ne sera probablement jamais Martin Fourcade dans son approche de la course. Il n’en a de toute façon pas le mental. Le sien est instable comme bien souvent chez les esthètes du sport. Vincent Vittoz : « Emilien est excessif dans les deux sens. Quand tout va bien, il peut être très enjoué et influer positivement sur le groupe. Mais parfois il se met à douter pour peu de choses. »
« Le panache, c’est bien mais ça va trois minutes »
Clément dira qu’il est « très influençable » par les éléments extérieurs, qu’il s’en nourrit, en bien ou en mal, prenant pour exemple le premier top 5 en carrière à Antholz (2018) du frangin, animé par la douleur d’avoir perdu son grand-père la veille du sprint, paradoxalement le format de course qu’il affectionne le moins. « Il aime bien les courses où il y a de la confrontation, détaille le carabinier. Comme la poursuite et la mass-start », propices à des attaques et autres scénarios spectaculaires lui permettant de se rêver sur ses skis au-devant de la course sur les cimes du Tour.
S’il aime s’enflammer sur la neige, Emilien Jacquelin reste lucide hors piste. « Les objectifs n’ont pas évolué. Deux podiums en relais et deux en indiv’, si on peut continuer sur cette lancée, c’est très bien. » Vincent Vittoz a de plus grands projets pour son poulain, lequel a, dit-il, franchi un gros cap physiquement à l’intersaison 2019. « Il a tout pour réussir une grande carrière, des podiums, des médailles, des podiums du général. Il a un tir moderne porté vers l’attaque, vers la vitesse. Son grand challenge sera de gagner en régularité pour aspirer à viser haut sur le classement général. Quand on voit l’évolution qu’il a depuis deux ans, on constate qu’il a compris que le panache, c’est bien mais ça va trois minutes. » Après tout, même les plus audacieux n’attaquent pas toujours. Pas même Nibali ou Pinot.