Antonin Guigonnat: «On a l'impression de pouvoir faire vivre le biathlon français sans Martin»
BIATHLON•Antonin Guigonnat est l'un des hommes en forme du biathlon françaisPropos recueillis par William Pereira
L'essentiel
- Antonin Guigonnat réalise la meilleure saison de sa carrière.
- Il aborde les Mondiaux d'Ostersund à la 7e place mondiale.
- Le biathlète évoque avec nous sa saison et la vie sans Fourcade.
Idée reçue : Antonin Guigonnat est la dernière pépite du biathlon français, le p’tit jeune, la relève. Réalité : le Haut-Savoyard fêtera ses 28 ans le 27 juillet, mais personne ne semble être au courant. « Pourtant, je me laisse pousser la barbe ! »
Septième au classement général de la Coupe du monde, Guigo s’émancipe enfin au plus haut niveau et aborde les Mondiaux d’Ostersund dans le costume d’outsider à la médaille en individuel. Même s'il sera finalement laissé au repos pour l'individuelle de mercredi. Son éclosion fulgurante depuis son podium au Grand-Bornand fin 2017 contraste avec la lenteur avec laquelle il s’est invité dans le top 10 mondial. Aujourd’hui, il savoure. Pour 20 Minutes, il revient sur ses premiers podiums et cette saison un peu bizarre où le meilleur biathlète bleu n’est pas Martin Fourcade.
A 28 ans, tu exploses vraiment enfin… Comment tu juges ta saison ?
J’ai rapidement eu des coups d’éclat en début de saison, j’ai été deuxième, troisième au général. Ça m’a un peu déconcentré et sorti de certaines courses comme des poursuites ou des mass-starts. C’était un peu perturbant d’être aux avant-postes, même si on finit par se prêter au jeu. Les podiums sont arrivés quand finalement je me suis remis à penser à la course, à mes sensations et mon ski plutôt qu’au résultat.
L’un des éléments marquants cette année, c’est la présence de quatre Français dans le top 10 mondial. Tout le monde est surpris. Vous aussi ?
On a une équipe dense, on est costauds. Martin et Simon Desthieux ont des très bons résultats depuis plusieurs saisons, donc ça nous permettait, à tous les autres de nous jauger. Là on a rapidement senti qu’on réussissait à suivre. Avec le changement d’entraîneur Vincent Vittoz, il y a plus de travail sur le ski de fond, moins de marge. Là où Stéphane Bouthiaux nous disait de relâcher un peu pour nous préserver, avec Vincent on continue un peu plus.
Pour revenir à la question ce n’est pas vraiment une surprise collectivement. Mais individuellement, c’est plus une surprise d’être capable de suivre Martin, Simon et QFM. J’aurais pu penser qu’on se place tous les quatre dans les 20, mais pas forcément dans les 10.
Ça se répercute sur l’ambiance dans le groupe ?
C’est clair que c’est plus facile de se réjouir pour les autres quand on fait des résultats soi-même. L’équipe a une continuité. Si on regarde bien, les quatre devant sont ceux qui s’étaient détachés pour aller aux JO 2018 et aussi les quatre qui composent le relais français. Donc moi, même si je suis derrière, forcément je suis content. C’est très satisfaisant quand tout nous réussit et qu’on est bien placés, contrairement aux moments où les uns réussissent et toi tu ne rentres pas tes tirs et c’est frustrant.
Comment toi et l’équipe vivez le fait d’être au niveau de Martin Fourcade ? C’est complètement nouveau…
C’est assez particulier, l’homogénéité du niveau et la proximité avec Martin. Avec QFM et Simon, on a commencé à se placer sur le podium, quasiment à la hauteur de Martin mais un petit cran en dessous vu qu’il finissait souvent 2e. C’était intéressant de voir que nous, on était satisfaits de nos résultats, on s’éclatait, alors que lui n’était pas content du tout. Ça en dit long.
Son choix de faire l’impasse sur la tournée américaine ça nous a un peu plus mis en lumière auprès du public et surtout des journalistes. En début de saison quand je fais ma deuxième place, les médias ne parlaient quasiment que de Martin ! Avec les récents résultats de QFM, de Simon, les gens commencent à nous faire confiance.
Evidemment avec les Mondiaux il y aura je pense plus d’attente sur Martin, mais on a commencé à faire plus parler du collectif français, de notre collectif fort, donc la pression sera peut-être partagée. Et tant mieux si on peut aider Martin en absorbant un peu de pression.
Tu n’as pas un peu peur que le biathlon français perde son projecteur quand Martin raccrochera ?
Ce qui fait que le biathlon est devenu populaire en France, c’est bien sûr Martin Fourcade, mais le fait qu’il soit diffusé sur la TNT en clair a aussi aidé. Donc tant qu’on garde ça… Et le fait qu’il y ait des résultats, que Quentin a prouvé que la France pouvait gagner même sans Martin, ça nous rend plus sûrs de nous, au contraire.
Martin a réussi à faire vivre le biathlon français tout seul. L’idée pour vous, c’est de le faire en tant que groupe ?
Il y a de ça. Pour le public, c’est plus intéressant d’avoir plusieurs gens qui peuvent gagner parce que le spectateur sait que la France peut obtenir la victoire mais il ne sait pas qui gagnera. Donc il y a une forme de suspense supplémentaire. Quand il y en a un seul qui a ses chances, si pour x ou y raison il ne gagne pas ou est indisponible, on se désintéresse.
On espère vraiment montrer aux Mondiaux qu’on est une nation forte du biathlon, peut-être la meilleure collectivement. En ce moment j’entends beaucoup parler de « feuilleton biathlon » en France par rapport à nos performances. C’est positif, on tient le public en haleine.
Le fait que Martin ait fait l’impasse sur la tournée américaine, qu’il ne soit pas là, que sa fin de carrière approche, ça vous projette dans ce que sera le biathlon sans lui ?
Martin aurait pu arrêter sa carrière, mais il a décidé de continuer et de se faire plaisir et on est très heureux de l’avoir avec nous. On sait aussi que le moment où il arrêtera approche, et le fait qu’il a fait l’impasse ou qu’il est moins l’ogre, le monstre des années précédentes, ça nous a un peu donné un aperçu de ce qu’on peut faire sans lui.
On a l’impression de pouvoir faire vivre le biathlon français sans lui. Après, le nouveau Martin Fourcade… Contrairement à ce que beaucoup de personnes pensent comme je suis arrivé sur le tard, je n’ai que trois ans de moins que Martin… j’ai 28 ans, Simon aussi, Quentin en a 26. On n’est pas si jeunes. On me demande souvent « Antonin, alors il arrive quand le nouveau Martin ? » Il ne sera pas là tout de suite, je vous le dis. Le prochain Martin n’est pas encore né.