CYCLISMETour de France: «La différence entre Froome et moi, c'est que j'avais beaucoup gagné avant», selon Stephen Roche

Tour de France: «La différence entre Froome et moi, c'est que j'avais beaucoup gagné avant», selon Stephen Roche

CYCLISMEL'irlandais a gagné le Giro 1987 contre les consignes de son équipe, et porte un regard amusé sur la situation chez les Sky...
Propos recueillis par Antoine Maes

Propos recueillis par Antoine Maes

C’est une histoire vieille de vingt-cinq ans, dont on se souvient davantage que de ses grandes victoires. Sur le Giro 1987, Stephen Roche est censé jouer le rôle de l’équipier modèle chez la Carrera pour aider le leader désigné de l’équipe, l’Italien Alberto Visentini. L’Irlandais prend le large dans une descente, récupère le maillot rose à son coéquipier pour ne plus le lâcher. La suite: une ambiance délétère dans son équipe, qui roule derrière lui, et les crachats des tifosi sur le bord de la route. En 2012, Christopher Froome, 2e du général derrière son leader Bradley Wiggins ronge son frein et ne veut pas attaquer son leader. Entretien «trahison» avec l’Irlandais, pendu à son téléphone malgré sa sortie quotidienne à vélo.

Quand vous avez vu Christopher Froome accélérer la semaine passée, vous avez eu un flashback de votre Tour d’Italie 1987?

Quand je l’ai vu accélérer, et je ne dis pas attaquer, c’est vrai que ça a soulevé un peu la même polémique. En Italie, ils disaient que j’avais attaqué. Moi je disais que je n’avais pas freiné en descente... Je suis parti, alors que Froome n’est pas parti. Et c’est à cause de l’oreillette.

Sans celle-ci, il s’en va?

Je pense que oui. On lui a dit de s’arrêter. Moi je ne pense pas que je me serais arrêté. Je l’aurais peut-être enlevée avant le col, pour ne pas être en porte-à-faux. Une fois qu’on te dit que tu dois t’arrêter, tu dois le faire. Mais si tu n’as pas d’oreillette, il n’y a rien à dire. Mais il n’attaquera pas mercredi ou jeudi, parce que c’est un gentleman.

«Froome n’a pas encore fait ses dents»

Qu’est-ce qui fait la différence entre le Stephen Roche de 1987 qui va contre les consignes de son équipe et le Christopher Froome de 2012 qui les respecte?

La différence c’est que moi j’avais déjà gagné beaucoup avant. Le Paris-Nice, le Tour de Romandie... J’avais quand même une certaine stature. Froome a fait un très bon Tour d’Espagne l’an passé, mais il n’a pas de palmarès. Et donc son équipe ne lui est pas redevable. Il n’a rien rendu à son équipe, à part travailler pour Wiggins, ce qui est déjà pas mal. Il n’a pas encore fait ses dents. Mais ça vient en mangeant.

Vous étiez mal vu par le peloton et le public après votre «trahison» lors de l’étape de la Sappada?

Il faut être en paix avec soi-même. Et je l’étais. Lorsque Visentini prend le maillot rose au contre-la-montre quelques jours plus tôt, les journalistes lui demandent si je vais travailler pour lui, et surtout s’il va me rendre la monnaie en travaillant pour moi sur le Tour de France. Et Visentini dit clairement, "Nan, nan, nan, moi je ne vais pas au Tour de France: je vais à la plage". Pour moi, c’était clair.

Cette image de «traître» vous a-t-elle longtemps collé à la peau?

Non… Les gens ont vu que j’étais le plus fort. Et puis Visentini a beaucoup parlé. Moi je ne disais rien. Ça m’a sauvé aussi. Moi je roulais. Malgré la pression du public de l’équipe, j’ai réussi quand même à bien me débrouiller. Ce que les gens n’aiment pas, c’est ceux qui parlent et qui ne font rien.

La tactique est plus claire chez Sky qu’elle ne l’était chez Carrera?

C’était clair, mais un équipier qui ne rend pas la monnaie, il faut quand même revoir le mode d’emploi! Là où c’était flagrant, c’est qu’un jour je tombe à la Vuelta, et puis lui il passe à côté, il me voit par terre et il continue. Un équipier loyal aurait dû m’attendre, parce que j’avais le maillot. Ça, plus ça, plus ça… au bout d’un moment, je n’avais quand même pas beaucoup de sentiments pour lui.

Vous avez souffert du comportement des supporters italiens?

Sur le Giro, c’était vraiment pas possible… Mais après je quitte l’Italie, je gagne le Tour de France, le championnat du monde, et les tifosi ont dit: "finalement, il n’avait pas que la gueule". Et puis j’ai eu une audience privée avec le pape, donc j’ai quand même été pardonné! En fait, j’étais un leader qui assumait son statut. C’est vrai que j’aurais peut-être pas dû. Le problème, c’est qu’il a fait rouler toute l’équipe derrière moi, et qu’il a envoyé le directeur sportif pour me dire "dis à Roche qu’il arrête". Là ça ne m’a pas plu.

«Ecoute, si t’as des couilles il faut le montrer»

C’était comment le diner à l’hôtel le soir de cette étape?

Très compliqué. Je ne suis jamais allé sur un champ de bataille après la bataille, mais ça doit être pareil. Je suis arrivé à table, et les mecs ils disaient "fallait pas faire ça Stefano…". Et donc je suis allé manger dans ma chambre. Ça a été comme ça pendant huit jours. Ensuite ils ont fait les calculs. «Si Visentini ne gagne pas, on ne gagne rien. Mais si Roche gagne et n’est pas avec nous on ne gagne rien non plus. Donc ce serait peut-être pas mal de rouler avec Stephen».

La légende raconte que c’est votre mécanicien de l’époque, Patrick Valcke, qui vous a convaincu de jouer votre carte…

Valcke était dans la voiture du directeur sportif, et celui-ci vient me dire: "Stephen faut arrêter". Je regarde Patrick, et je lui dis "qu’est ce que t’en penses?". Et il me répond: "Ecoute, si t’as des couilles il faut le montrer". J’ai tombé les dents, et puis en avant.

Aujourd’hui, malgré cet épisode, vous pouvez passer vos vacances en Italie?

Sans problème! Je suis toujours très copain avec le patron de la Carrera. Il va même donner une grande fête le 15 septembre pour célébrer les 25 ans de ma victoire. Roberto est invité. J’espère qu’il va venir. C’est un évènement sportif, pas la fin du monde. Au fond de lui-même, il connaît bien la vérité.