SPORTLes exilés fiscaux doivent-ils encore porter les couleurs de la France?

Les exilés fiscaux doivent-ils encore porter les couleurs de la France?

SPORTEn temps de crise, le sujet titille certains députés...
Romain Scotto

Romain Scotto

Un jour, la Suisse remportera la Coupe Davis. Avec ou sans Roger Federer et Stanislas Wawrinka, ses deux têtes de gondole. Dans un monde où les résidences fiscales détermineraient la nationalité des joueurs, le pays de l’emmental et des placements juteux pourrait rafler le Saladier chaque année. Ce monde-là, certains députés français l’imaginent depuis longtemps, vu le nombre d’exilés fiscaux présents au top 50 de l’ATP. Il y a un an et demi, treize d’entre eux avaient déposé une proposition de loi «visant à renforcer le lien à la nation des sportifs sélectionnés en équipe de France». En temps de crise, le sportif exilé est une cible facile. Passé le couplet sur la «qualité de vie», vient la question qui fâche et touche au porte-monnaie.

Même s’ils rechignent à en parler, Monfils, Simon, Tsonga ou Gasquet (tous résidents helvétiques) se sont déjà justifiés sur leur sujet. Dans Le Monde, Guy Forget a récemment enfilé sa robe d’avocat: «Les joueurs sont à l'étranger huit mois par an, ils gagnent donc l'essentiel de leurs revenus hors de France, et quand ils gagnent un million d'euros en France, ils en laissent 500.000 aux impôts. On veut leur faire un procès parce qu'ils n'ont envie de payer que 30% d'impôts en Suisse (…) alors qu'ils sont tout le temps à l'étranger.» Vrai. Mais pas suffisant pour les partisans du «rendez à la nation ce qu’elle vous a apporté».

«Juste de la jalousie!»

La plupart des tennismen, golfeurs ou pilotes automobiles concernés sont issus d’un système fédéral, ont parfois bénéficié de bourses, et paient aujourd’hui leurs impôts à l’étranger. Patrick Chamagne, l’entraîneur de Monfils et conseiller au sein du «bureau sport» de la banque Rothschild, monte très vite dans les tours quand le sujet est abordé. «La France, ils la remercient en jouant la Coupe Davis! En étant représentatifs. Quand Noah gagne Roland-Garros, on ne rappelle pas qu’il était installé en Suisse. On se rappelle du Français qui a gagné Roland-Garros. C’est un faux débat. C’est juste de la jalousie. Si les gens pouvaient faire pareil, ils le feraient.»

Pour lui, la fiscalité française, non adaptée à la carrière des sportifs, oblige les joueurs à s’exiler. «En France, un sportif qui a une carrière de dix ans est soumis à la même fiscalité que quelqu’un qui va travailler quarante ans dans une entreprise. C’est ridicule et aberrant. A 30 ans, quand ça s’arrête… Parlez-en à Henri Leconte», s’agace Chamagne. Patrice Barquez, l’agent des meilleurs golfeurs français (dont Thomas Levet), ne voit pas d’autre solution à proposer à ses clients pour soigner leurs finances. «C’est triste, mais c’est même devenu un argument de compétence pour certains agents. C’est un savoir-faire. Tu es un bon agent si tu amènes vite ton sportif autre part. En termes de rentabilité, tu vas faire un bon coup. C’est du marketing.»

Privés de Sécu et de retraite

L’agent estime à 500.000 euros le salaire annuel moyen pour quitter la France. Dans ce cas, les «déserteurs» renoncent aussi à quelques avantages sociaux, dont leur couverture maladie. «Je n'ai pas de Sécu, une IRM à Paris, je la paie. Et en plus, je me fais insulter», clamait récemment Tsonga dans L’Equipe, par ailleurs obligé de payer des impôts sur ses gains à Roland-Garros et Bercy, les deux gros tournois organisé sur le sol français. Parfaitement acclimaté à son nouveau pays, il pourrait même y rester une fois sa carrière terminée, comme Monfils, son voisin à Gingins, dans le canton de Vaud. Chamagne: «Moi je vois Gaël, il a sa maison en Suisse, il y habite et dès qu’il perd en tournoi, il y revient. Il joue le jeu à fond.» Ce qui ne l’empêche pas encore de défendre le drapeau français aux Jeux ou en Coupe Davis.