Amaury Leveaux: «Démontrer à tout le monde que je ne suis pas fini»
INTERVIEW•Le nageur français médaillé d'argent aux championnats d'Europe de Szczecin entend revenir au plus haut niveau...Propos recueillis par Romain Scotto
En Pologne, le week-end dernier, sa médaille d’argent sur 50m papillon a sauvé l’honneur d’une équipe de France en mal de podiums aux championnats d’Europe en petit bassin. Privé des derniers Mondiaux de Shanghai, et sans partenaires aujourd'hui, le nageur du Lagardère Paris Racing entend prouver qu’il a toujours sa place au plus haut niveau, à trois mois des championnats de France, qualificatifs pour les JO de Londres. Avant de s’envoler le 26 décembre pour un stage à la Réunion, Amaury Leveaux s’est confié autour d’un chocolat chaud, au cours d’un entretien où il est question de «revanche», d’«entraînements» et de «McDo».
Etes-vous surpris par votre bonne forme et cette médaille d’argent aux championnats d’Europe?
Non. J’étais super content puisque ma dernière médaille remontait à décembre 2009. C’était celle de champion d’Europe à Istanbul, ce n’est pas pourri quand même. J’ai eu une médaille à Budapest, mais c’était en relais et je n’ai nagé que le matin. A Szczecin, j’étais là pour être le plus performant possible et démontrer à tout le monde que je ne suis pas fini. On entendait partout «Leveaux est fini, Leveaux machin». Ben non.
Quelle est la valeur de cette médaille?
On dit qu’il n’y avait personne mais ça nageait quand même vite. On entend dire que Leveaux a fait une médaille dans une compétition de second plan mais t’as juste envie de dire «non». Moi j’avais énormément de pression. Si on écoutait les médias, on allait là-bas avec une équipe de France B et on ne s’attendait pas à des médailles. Moi j’essaie de revenir. Si je n’avais pas fait de médaille, on aurait dit: «Il n’y a pas de haut niveau et Leveaux ne fait pas de médaille. Donc il est nul.» Le pire, c’est la sensation que j’ai eue… On va vers le podium et quand je suis les officiels, je me dis «enfin». Je n’avais plus l’habitude. Je ne vais pas dire que je n’aime pas les paillettes et être reconnu dans la rue, mais avoir la médaille… La médaille, c’est une addiction.
Pourquoi ne vous êtes vous pas exprimé après la médaille?
Plusieurs fois, je parlais aux médias et je passais pour un con. Aux derniers championnats d’Europe, ça m’a saoulé. Comme personne n’est venu, j’ai dit: «Si vous voulez des informations, ce sera sur Twitter.» Là-bas, il n’y avait que les médias étrangers. Aucun média français. Ce n’est pas un coup de gueule, loin de là. Ils ont fait leur choix, ils assument.
Qu’avez-vous appris pendant votre absence aux championnats du monde de Shanghai?
Shanghai m’a appris beaucoup de choses. Il paraît que là-bas, tout le monde parlait de moi. Donc quand t’es là, tu fais chier tout le monde. Et si tu n’es pas là, tout le monde parle de toi. Ça m’a fait rire. Je me suis rendu compte qu’on est dans une bulle, vachement protégés. Quand tu en sors, tu te rends compte que tu es dans la vraie vie. Quand tu vois des nageurs dont on ne parlait pas avant et qui sont exposés aujourd’hui parce qu’ils sont avec tel ou tel nageur, ça fait rire. Alors qu’avant, tout le monde était avec moi, me tapait dans le dos. Et dès qu’Amaury n’est plus dans la lumière, en fait il ne faut pas être vu avec lui. Tu vois qui sont tes amis et qui ne le sont pas. J’ai bien vu pendant les championnats du monde combien de messages j’ai reçus.
Combien?
Deux. Et encore il n’y avait qu’un nageur, Hugues (Duboscq). Ça fait mal quand même.
Ressentez-vous un goût de revanche?
Oui un petit peu. C’est pour dire: «Je suis là, ne m’oubliez pas quand même.» Je m’entraîne. La méthode Lucas, elle marche.
Avec lui, vous avez enfin trouvé le bon équilibre?
Ma non-qualification aux championnats du monde, pour moi, c’était un drame. C’était le décès d’Amaury Leveaux. Puis c’est passé. Pendant les trois premiers jours des Mondiaux, je n’ai pas dormi. Ça fait mal aux fesses. Je n’ai peut-être pas fait tout ce qu’il fallait pour être au top avec Philippe Lucas, l’année dernière. Mais c’est le meilleur dans son boulot. On est en phase maintenant même si ça clashe énormément. On a deux énormes caractères. On est aussi fiers. Lui, il va jeter les chronos, moi je vais péter un câble, sortir de l’eau. Ça a dû arriver deux-trois fois depuis septembre.
Avec lui, l’entraînement est-il vraiment plus dur?
Oui. Par rapport à ce que Philippe propose, on se voile la face dans les autres clubs. Ce n’est pas une légende. On s’entraîne deux fois par jour, avec une heure de muscu avant l’entraînement du soir. Il te met série sur série. Je nage 14km par semaine. Ça me convient. Lui, il dit juste à l’athlète qu’il est le meilleur. Puis tu sens la forme venir. C’est une relation entraîneur-entrainé. Quand tu es à la piscine, c’est pour bosser et rien d’autre. Mais ce n’est pas un bourreau. Il recherche plus tes limites psychologiques que physiques. Après, en compétition, tu es une machine dans la tête.
Le nouveau Amaury Leveaux est-il plus rigoureux?
Pas plus rigoureux, mais je sais mettre la priorité sur certaines choses. On dit que je sors, mais cette année, je suis sorti trois fois. Et encore, une fois, c’était pour aider des potes à rentrer dans un club parce que je suis connu. Je suis resté vingt minutes, je suis sorti. L’été dernier, j’ai fait la fête, oui. J’avais envie de me lâcher. Je ne mange plus de bonbons, ça a mal été interprété cette histoire. C’est comme le McDo. Je ne fais plus tout ça. J’aimerais bien qu’on me suive 60 jours, 60 nuits, jusqu’aux championnats de France pour voir mon train de vie. Les gens se feraient une idée de qui je suis vraiment. Je me lève à 5h ou 5h30, j’arrive à la piscine à 6h. Et je nage jusqu’à 8h30. Je rentre chez moi, je tweete, je déjeune, je fais une sieste, puis entraînement muscu et dans l’eau jusqu’à 19h, 20h.
Jusqu’où vous projetez vous? Pensez-vous déjà aux JO?
Celui qui dit qu’il est déjà en préparation olympique est prétentieux. Avant je l’étais. Mais maintenant, je prends chaque échéance comme elle vient. C’est sur les championnats de France qu’il faut être le meilleur. Sur 100m, j’ai la caisse. Tout le monde dit que je n’ai pas de talent, mais si. La preuve.