Nicolas Escudé: «Avec Marion Bartoli nous n'avons pas les mêmes valeurs»
INTERVIEW•Le capitaine de Fed Cup se désole de voir la numéro 1 française contourner les règles de sélection pour disputer les Jeux de Londres...Propos recueillis par Romain Scotto
A Londres, la France pourrait bien se priver d’une chance de médaille pour une triste histoire d’incompatibilité entre Marion Bartoli et le mode de fonctionnement de l’équipe de France. A 27 ans, la Française n’a plus joué en Fed cup depuis 2004 car son père et coach, Walter, n’y a pas sa place. Or les conditions de sélection sont claires: n’iront à Londres que les joueuses classées parmi les 56 premières mondiales, qui ont participé à la Fed Cup sur au moins deux rencontres, dont une l'année des Jeux. Pour obtenir un ticket, la numéro 1 française (9e mondiale) menace de se tourner vers le TAS, ce qui désole son capitaine, Nicolas Escudé, déjà tourné vers la prochaine rencontre de Fed Cup, en février face à la Slovaquie…
Alors que la saison redémarre en janvier, préparez-vous déjà la prochaine campagne de Fed Cup?
Je suis dans le sud où je suis allé voir mes joueuses qui sont toutes réunies avec leur entraîneur. C’est un stage où on regroupe les joueuses avec leur staff. C’est le moment de rencontrer tout le monde, l’encadrement, pour échanger, faire un point de l’année écoulée. Et préparer l’année à venir. Il y avait toutes les Françaises.
Même Marion Bartoli?
Sauf Marion Bartoli... Elle fait le choix de ne pas venir à ce genre de stages. Sa préparation hivernale est conditionnée différemment niveau agenda.
Avez-vous prévu de la rencontrer aussi prochainement?
Ah mais je la rencontre presque à chaque fois que je suis en déplacement sur les tournois. Je la vois régulièrement sur les Grands Chelem. Avant la rencontre contre la Slovaquie, il y aura l’Australian Open où je vais superviser les troupes.
Etes-vous surpris par sa volonté de contourner les règles imposées par la fédération internationale et de se tourner ver le TAS pour participer aux JO?
J’ai vu ça. Pour elle, les Jeux olympiques sont un objectif, mais en raison des critères de sélection mis en place par l’ITF, elle ne va malheureusement pas pouvoir y aller. Mais ça, ça ne date pas d’hier, elle sait depuis un petit moment qu’il va y avoir un problème. On y est. Je trouve ça dommage et pas correct. Aller aux Jeux olympiques pour représenter son pays alors qu’elle ne veut même pas entendre parler d’une compétition comme la Fed Cup… c’est une sorte de double discours. Et puis, si les Jeux olympiques étaient à Buenos Aires sur terre battue, je ne suis pas sûr qu’on entendrait parler de Marion Bartoli.
Elle se plaint aussi d’être la seule joueuse du top 10 qui n’a pas le droit d’être accompagnée de son propre coach en Fed Cup…
S’il y avait d’autres Françaises dans le top 10, elle ne serait plus la seule. D’autre part, les critères de cette équipe sont clairs. Contrairement aux autres fédérations, on a une chance inouïe en France puisque ce sont les joueuses qui choisissent leur capitaine. Les autres joueuses du top 10 se retrouvent à défendre les couleurs de leur pays avec un capitaine qu’elles n’ont pas choisi. Voilà, je n’ai rien inventé. Avant moi, avec George Goven, Guy Forget, Yannick Noah, ça a toujours fonctionné comme ça et elle est la seule à qui cela ne convient pas malheureusement.
Avez-vous déjà envisagé une solution spéciale pour elle?
Sa volonté est que son père soit là du début à la fin du stage. Qu’il s’occupe d’elle, agence sa semaine de préparation en fonction de ce qu’ils ont l’habitude de faire, avec des horaires… C’est pas jouable sur des rencontres comme ça, en terme logistique, on n’a qu’un seul court disponible. Il y a des dîners officiels. Et puis c’est un état d’esprit et une vie de groupe. Si c’est venir en Fed Cup pour faire bien auprès du grand public, avoir une reconnaissance, gagner éventuellement un peu d’argent et la gagner que pour sa pomme, ce n’est pas comme ça que ça marche.
Comprenez-vous qu’elle ne puisse pas passer trois jours sans son père?
Par la force des choses, oui. Les filles sont réunies le dimanche avant la rencontre, on part le dimanche soir ou le lundi en fonction. Trois jours seuls. A un moment donné, il faut arrêter. Après, j’ai un total respect pour ce qu’ils font. Ils ont des résultats, ça fonctionne, chapeau. Mais leur mode de fonctionnement est totalement incompatible avec un mode de fonctionnement de groupe. Ils en sont totalement conscients. Aujourd’hui, il n’y a aucun accord passé entre nous. Il n’en est pas question. Il n’y a rien de chez rien. En sachant que les modes de sélection, c’est l’ITF (la fédération internationale) qui les a imposés.
Si par miracle, elle acceptait de jouer contre la Slovaquie en février, pourriez-vous infléchir votre position?
Non, elle ne pourrait pas aller aux Jeux olympiques. Que la France perde ou gagne, elle ne pourra pas y aller parce que le critère de sélection était aussi de jouer une rencontre en 2011. Les Bartoli dans leur ensemble, père, mère, fille, sont au courant de ça depuis un bon moment. Ils le savent et ont fait leur choix en connaissance de cause. Si je trouve ça mesquin de contourner le truc? Oui, bien sûr.
Imaginez-vous que le TAS lui donne gain de cause?
Non, je ne pense pas. Vu le cheminement des événements, les discussions et les échanges de courriers qu’il y a eu, je ne vois pas comment la fédération internationale pourrait allouer une wild-card à Marion. Ce n’est pas possible.
Ce rendez-vous manqué restera-t-il le grand échec de votre mandat?
Echec… oui et non. En tant que sélectionneur, je me dois d’avoir les meilleures joueuses et composer la meilleure équipe possible. Avec Marion, donc. J’en suis conscient, les autres joueuses aussi. Mais moi, j’ai un groupe de filles à gérer, un staff. Si le groupe ne fonctionne pas bien, ça ne passera pas. Ne pas avoir intégré Marion dans cette équipe, oui c’est un échec, mais on n’a pas les mêmes valeurs.
Il y a aussi un poste chez les garçons qui se libère dans un an… Vous intéresse-t-il toujours?
Bien sûr. Je ne m’en suis jamais caché. La Coupe Davis, c’est une compétition que je connais bien. Que j’ai gagnée. Aujourd’hui, ce n’est pas d’’actualité parce que je suis en poste avec les filles. Mais je me pencherai là-dessus plus tard. Il faudra discuter avec les joueurs parce que ce sont eux qui choisissent leur capitaine. Je veux leur exposer ma façon de voir, mon projet, mes valeurs, ce en quoi je crois. Pour l’instant, je n’en ai parlé avec aucun.