L'achat de course, une vieille tradition cycliste?
CYCLISME•Les petits arrangements entre coureurs ne dateraient pas de l'affaire Vinokourov-Kolobnev. Pour s'assurer la victoire, certains n'auraient pas hésité à sortir le portefeuille…Alexandre Pedro
«Vino, c'est la classe, Vino c’est beaucoup de travail.» En avril 2010, Alexandre Vinokourov justifie à la troisième personne sa victoire à Liège-Bastogne-Liège huit mois après un retour de suspension pour dopage. Cette semaine, l’Illustré propose une autre grille de lecture. En s’appuyant sur un échange de mails entre les deux coureurs, cet hebdomadaire suisse assure que le Kazakh aurait proposé 100.000 euros à son compagnon d’échappée, le Russe Alexandre Kolobnev, pour s’assurer la victoire.
Quand Roussel accusait Virenque
Avérées ou non, ces révélations alimentent les légendes pas toujours urbaines autour de courses achetées ou vendues. Mais comme pour le dopage avant 1998 et l’affaire Festina, les langues peinent à se délier. Ancien directeur sportif de… Festina, Bruno Roussel a brisé cette loi du silence en révélant de quelle façon Richard Virenque aurait proposé 15.000 euros pour que Ian Ulrich ne lui dispute pas le sprint lors de l’arrivée à Courchevel sur le Tour de France 1997. Virenque a lui toujours assuré «ne pas être au courant».
A défaut de preuves ou d’aveux de la part des intéressés, ces arrangements ne sortent pas du peloton. Et ceux qui osent évoquer le sujet assurent ne pas être concernés. «Il y en a qui l’ont fait, mais moi jamais», jurait en juillet dernier Bernard Hinault au magazine Pédale. «Cela a existé et ça existe toujours», concède Thierry Bourguignon.
«Tu veux vendre Paris-Roubaix? Mais tu le vends combien?»
Pour l’ancien coureur, cette pratique fait partie des petits arrangements et renvois d’ascenseurs en vigueur dans une micro-société comme le peloton cycliste. «C’est devenu plus rare, mais une arrivée d’étape du Tour de France peut toujours se vendre si un coureur a plus intérêt à gagner que l’autre et est prêt à mettre le prix», révèle Bourguignon. Cette tolérance amène de l’eau au moulin de Bruno Roussel quand il évoquait ces «us et coutumes qui se reproduisent depuis des décennies et font qu’il y a une banalisation qui déculpabilise l’individu».
Plus qu’une question d’éthique ou de morale, tout serait une question d’intérêt. Avant les révélations de l’Illustré, Cyrille Guimard assurait à Pédales qu’il était devenu impossible en 2011 d’acheter une classique. «Il y a 30 ou 40 ans, une époque où le salaire max était à 10.000 francs, tu vendais une course 50.000, bon ok. Aujourd’hui, c’est ridicule, prétend l’ancien directeur sportif de Bernard Hinault et Laurent Fignon. Tu veux vendre Paris-Roubaix? Mais tu le vends combien? Un million? Parce qu’aujourd’hui, tu gagnes Paris-Roubaix, tu vas passer à un million de gains. Pas sur un an, sur deux ou trois.» L’affaire Vinokourov-Kolobnev pourrait démontrer le contraire. Et pour 100.000 euros seulement.