Alpinisme : L'étonnante trajectoire d'Hélias Millerioux, de Paris à l'ouverture d'une voie sur le Nuptse
HORS TERRAIN•L’alpiniste de 36 ans est à l’affiche du documentaire « Nuptse : l’inaccessible absolu » dans le cadre du festival Montagne en scène. Il y est question de son ascension inédite, en trois temps, d’un sommet de 7.742 m au Népal, avec frayeur à la cléJérémy Laugier
L'essentiel
- Une semaine sur deux, dans sa rubrique « Hors terrain », 20 Minutes explore de nouveaux espaces d’expression du sport, inattendus, insolites, astucieux ou en plein essor.
- Cette semaine, nous vous proposons l’histoire d’Hélias Millerioux, alpiniste de 36 ans ayant réussi une incroyable (et inédite) ascension au Nuptse (Népal) en 2017, avec Frédéric Degoulet et Benjamin Guigonnet.
- Grâce au documentaire Nuptse : l’inaccessible absolu, sorti cet été, on découvre à quel point les trois amis se sont accrochés pendant trois ans à leur rêve d’atteindre ce sommet du Nuptse (7.742 m).
A quoi tient la réussite d’une ascension en très haute altitude ? A quelques centimètres près parfois, à en croire le passionnant documentaire Nuptse : l’inaccessible absolu d’Hugo Clouzeau. Sorti cet été et en tournée pendant encore deux mois dans le cadre du festival Montagne en scène (voir l’encadré ci-dessous), celui-ci suit l’aventure de quatre alpinistes français, Hélias Millerioux, Frédéric Degoulet, Benjamin Guigonnet et Robin Revest, déterminés à partir de 2015 à ouvrir une voie extrêmement difficile dans la face sud du sommet ouest du Nuptse (7.742 m) au Népal.
« Ce qui m’anime, c’est la beauté de la montagne, sa hauteur, la grandeur de la face et l’esthétisme de la ligne, explique Hélias Millerioux. Sur le Nuptse, tout ça était réuni. » Mais ce sommet situé au sud-ouest de l’Everest se mérite, comme en atteste les différentes expéditions de ces quatre guides de haute montagne, devenus en 2014 le « gang des moustaches » lors d’un précédent défi partagé au Siula Chico (6.265m au Pérou). « En 2015, on a défriché la ligne et on s’est rendu compte que c’était grimpable, mais les risques de chutes de pierres étaient bien trop importants vu la chaleur sur place à ce moment-là », résume Hélias Millerioux.
« Notre vie est mise entre parenthèses pendant deux mois »
Le quatuor est donc de retour sur place en 2016, mais il renonce cette fois à 300 m du sommet. « On avait sous-estimé la difficulté du haut de la montagne, se souvient l’alpiniste de 36 ans. Il a fallu replonger dans les photos à froid pour comprendre et résoudre nos erreurs. » Et donc se relancer pour une nouvelle quête du Nuptse l’année suivante, preuve de l’acharnement quasi obsessionnel de cette cordée d’amis, dont s’est seulement retiré Robin Revest pour cette troisième tentative. Bien que sa compagne soit enceinte, Benjamin Guigonnet est par contre bien de la partie en 2017.
« Devoir renoncer en 2016 avait été très difficile à accepter, raconte Hélias Millerioux. Il faut voir l’investissement financier, de temps, tous les sacrifices par rapport à nos familles. Notre vie est mise entre parenthèses pendant deux mois sur une telle aventure, lorsqu’on compte l’acclimatation nécessaire. Quand on attaque le Nuptse, on laisse notre vie quotidienne en France dans une boîte au camp de base, et on vient la récupérer après. »
Quatre côtes et trois vertèbres cassées après la chute d’une grosse pierre
Ce dernier a bien failli ne jamais récupérer cette boîte imaginaire. Car après avoir cette fois bien gravi, en six jours, les 2.200 m de dénivelé jusqu’au sommet du Nuptse, la cordée de trois alpinistes a connu une immense frayeur au moment de descendre en rappel. Le trio s’était pourtant lancé de nuit, afin de ne pas s’exposer aux chutes de pierres. Mais à 9 heures du matin et environ 7.200 m d’altitude, une pierre « de la taille d’un petit melon » tombe sur le sac à dos d’Hélias Millerioux et le blesse sérieusement.
« Pour la petite histoire, ça m’a cassé quatre côtes et trois vertèbres, confie l’intéressé. Sans le sac à dos, ça aurait pu être bien plus catastrophique… J’avais un énorme hématome plein de sang dans le dos qui m’empêchait de bouger un bras, j’étais le Bossu de Notre-Dame, mais il fallait bien descendre. » Grâce à l’aide de ses amis Frédéric Degoulet et Benjamin Guigonnet, il parvient à rallier le camp de base, et donc à symboliquement donner le nom de « la Voie des Français » sur cette partie du Nuptse, puis à rentrer chez lui à Chamonix, non sans se poser des questions sur sa passion.
« Avec l’engagement qu’on prend à plus de 7.000 m, on connaît les conséquences d’un tel accident : c’est très compliqué d’être secouru à cette altitude. Ce choc avec une pierre n’est jamais un événement anodin. Je vais vivre avec ça toute ma vie, ça fait partie de ma construction individuelle. Ça m’a affaibli mentalement car j’ai eu très peur, et en même temps je suis plus alerte et je sais désormais anticiper des situations qui peuvent être similaires. » »
« L’une des voies les plus dures jamais réalisées en Himalaya »
Récompensé comme Frédéric Degoulet et Benjamin Guigonnet avec les prestigieux Piolets d’or en 2018, Hélias Millerioux n’a malgré cet accident pas cessé d’enchaîner les aventures engagées en totale autonomie. Traversée du Mont Logan (le point culminant du Canada, à 5.959 m) puis du Denali en Alaska (plus de 500 km parcourus au total !), à ski et en kayak, ascension du Rakaposhi (7.788 m au Pakistan), en attendant probablement celle du Masherbrum (7.821 m au Pakistan, à côté du mythique K2) l’été prochain. « Comme quoi, cet accident ne m’a pas arrêté, indique-t-il. J’ai toujours l’amour de l’alpinisme pour repartir. » Un amour des expéditions que partage son ami Charles Dubouloz, admiratif devant l’exploit du trio français au Nuptse : « Ce qu’ils ont fait là-bas est énorme. C’est incontestablement l’une des voies les plus dures jamais réalisées en Himalaya. Déjà que c’est extrêmement engagé, ils ont montré toute leur pugnacité en s'y rendant trois années de suite ».
NOTRE DOSSIER HORS TERRAINUn trait de caractère qui correspond parfaitement à Hélias Millerioux, à en croire Charles Dubouloz : « Dans l’adversité, il est hyper fort. C’est une tractopelle, il avance toujours sans se poser de questions. On le surnomme le Kurde pour son côté très rustique et résistant ». Un « Kurde » qui a grandi et vécu… à Paris jusqu’à l’âge de 25 ans. Il avait beau passer ses étés à la montagne avec ses parents et se passionner pour l’escalade en se formant sur les blocs de Fontainebleau, rien ne prédestinait ce jeune Francilien à devenir guide de haute montagne. Et encore moins à inscrire son nom dans l’histoire de l’alpinisme, via cette improbable voie ouverte en Himalaya.