témoignagesDans « Strong », des athlètes brisent le tabou de la dépression

« La vie n’avait plus de sens »… Dans « Strong », des athlètes brisent le tabou de la dépression

témoignagesDans le documentaire « STRoNG, aussi forts que fragiles », des athlètes français ont accepté de revenir sur le burn-out ou la dépression qu’ils ont traversé à un moment de leur carrière
« Strong » : Les champions Jérémy Florès et Perrine Laffont brisent le tabou de la dépression
Aymeric Le Gall

Aymeric Le Gall

L'essentiel

  • Le documentaire « STRoNG, aussi forts que fragiles » est disponible sur Prime Vidéo à partir du mardi 10 octobre.
  • Dedans, Perrine Laffont, Camille Lacourt, Jérémy Flores, Valentin Portes et Ysaora Thibus ont accepté de revenir sur les moments difficiles de leur carrière.
  • L’objectif étant de mettre fin au tabou sur la dépression des sportives et sportifs et de montrer à celles et ceux qui traverseraient cela qu’ils ne sont pas seuls et peuvent s’en sortir.

Dans un salon feutré du 2e arrondissement de Paris, Camille Lacourt apparaît détendu au moment d’évoquer « Strong, aussi forts que fragiles », le nouveau documentaire de Prime Video auquel il a participé et qui s’attaque à un sujet longtemps tabou, celui du burn-out ou de la dépression chez les athlètes de haut niveau. Quand on lui demande pourquoi il a accepté, avec X autres sportifs et sportives, de participer à l’aventure, il répond cash « l’argent ! ». C’était une vanne, rassurez-vous, mais elle montre qu’aujourd’hui l’ancien nageur tricolore va mieux. Mieux, oui, car lui comme d’autres, à l’image de la skieuse freesytle Perrine Laffont ou du surfeur Jérémy Flores, a traversé une période sombre qui s’apparente à un épisode dépressif.

S’ils ont accepté de parler, c’est d’abord pour montrer à celles et ceux qui traverseraient des épisodes similaires qu’ils ne sont pas seuls et qu’ils peuvent s’en sortir. Perrine Laffont : « Le but c’était de raconter d’une manière positive les moments compliqués par lesquels on est passé, nous, athlètes de haut niveau, comme Simone Biles, Naomi Osaka ou Michael Phelps l’ont fait. Raconter la dépression mais aussi ce qui a fait qu’on en est ressorti grandi, plus fort, et raconter la manière dont on a réussi à regagner à nouveau. »

Laffont, du sommet de l’Olympe à la grande dépression

Raconter. Raconter que derrière le vernis des exploits sportifs, de la gloire et des paillettes, se cachent aussi des hommes et des femmes à la fois fortes et fragiles, embarquées dans des destins littéralement extraordinaires. Des hommes et des femmes qui sont plus sujets que le commun des mortels à tomber aussi bas qu’ils se sont élevés haut. Pour Camille Lacourt, tout est parti d’un échec, une quatrième place aux JO de Londres en 2012 alors qu’il était champion du monde en titre de la discipline et visait la médaille d’or.

« Ça a été dur, très dur, j’assimile presque ça à une période de deuil, explique-t-il. Je n’avais pas envie de sortir de mon lit, j’avais l’impression d’être totalement vide et de n’avoir aucune solution pour m’en sortir. Je me sentais spectateur de moi-même. Je me disais que j’allais bien finir par toucher le fond et rebondir. Mais les jours passent, puis les semaines, un mois, et je m’aperçois que rien ne change. » Chez Perrine Laffont, les symptômes sont les mêmes mais le contexte est différent. Ce n’est pas une défaite mais son nouveau statut de championne olympique à l’âge de 17 ans qui l’a conduit à tomber en dépression.

« « Le sport de haut niveau nous fait passer par des états psychologiques et physiques tellement intenses que, fatalement, après, on retombe très bas, décortique-t-elle. On accumule tellement de stress, d’adrénaline, de pression, d’appréhension qu’après, le corps et la tête sont vidés. » »

« Le premier symptôme, pour moi, c’était le dégoût de mon sport, raconte-t-elle. Le cerveau a assimilé sport à souffrance, compétition à pression et stress, du coup quand la compétition arrive, il sent qu’il va devoir en repasser par tout ça et il refuse. J’ai perdu l’appétit, et donc du poids, j’ai perdu la motivation, l’envie, j’avais l’impression que la vie n’avait plus de sens. Tu te dis 'quel est l’intérêt de continuer à vivre si c’est pour souffrir autant ?'. »

L’accès à ce contenu a été bloqué afin de respecter votre choix de consentement

En cliquant sur« J’accepte », vous acceptez le dépôt de cookies par des services externes et aurez ainsi accès aux contenus de nos partenaires.

Plus d’informations sur la pagePolitique de gestion des cookies

« C’était un sujet tabou pour moi »

La superposition de témoignages dans le documentaire de Prime Vidéo a ceci d’intéressant qu’il met en lumière la diversité des cas de figure chez chacun des athlètes. Si Camille Lacourt et Perrine Laffont ont senti la terre s’ouvrir sous leurs pieds, le champion de surf Jérémy Flores a mis beaucoup de temps avant de se rendre compte qu’il basculait du côté obscur du mental.

« C’était un sujet tabou pour moi. Je me suis voilé la face une bonne partie de me vie parce que c’est dur d’admettre qu’on ne va pas bien, relate-t-il. Je n’ai pas eu un moment où je me dis « c’est là que tout est parti en vrille ». Ça vient progressivement et tu ne t’en rends pas compte tout de suite. Moi, ça a été sur les coups de 23 ou 24 ans, un moment où j’étais au top de ma carrière. La claque a été terrible, je suis redescendu sur terre et je me suis rendu compte que je n’étais pas celui que je pensais être, je n’avais pas les amis que je devais avoir, et que je m’étais coupé de toutes les personnes qui m’étaient chères. »

Jérémy Flores, comme tant d’autres sportifs, est tombé dans la marmite du haut niveau très jeune, à l’âge de neuf ans. Et si la vie qu’il mène est idyllique sur le papier, les sacrifices qu’elle implique et les obligations qu’elles vous donnent peuvent vous donner la sensation de s’oublier en chemin. « J’ai oublié d’avoir une adolescence, j’étais aveuglé par la réussite et le succès et je me suis rendu que j’avais mis de côté l’essentiel, la famille, les amis proches, que je devenais égoïste. C’est nécessaire pour réussir, mais à un moment donné, le succès rend-il forcément heureux ? Pas forcément. Mes meilleures années de vie, celles où j’ai été le plus heureux, ce sont celles où je n’ai pas fait les meilleurs résultats. »

La solitude de l’athlète en burn-out

Avec leurs vies à eux, déconnectées en partie du réel, dans une bulle qu’il faut avoir connue pour comprendre ce qu’ils vivent, la pression qui les bouffe, les athlètes ont souvent la sensation que personne ne peut les aider. Ce fut en tout cas le constat fait par Perrine Laffont quand celle-ci s’est tournée vers sa mère et que celle-ci n’a pas eu les réponses adéquates. « Même les personnes très proches de toi ne sont pas dans ton corps, dans ta tête, elles ne sentent pas la détresse dans laquelle on peut être, et donc elles ne comprennent pas et n’ont pas les bons mots, détaille la skieuse. On ne sent pas compris et on se renferme sur nous-même. Ma mère n’arrivait pas à comprendre que j’en passe par des moments de dépression à cause du sport et de la notoriété. Pour elle c’était la belle vie. J’en ai souffert. »

Perrine Laffont, dans le documentaire « STRoNG, aussi forts que fragiles », disponible sur Prime Vidéo.
Perrine Laffont, dans le documentaire « STRoNG, aussi forts que fragiles », disponible sur Prime Vidéo.  - Prime Vidéo

Le but de « Strong » est aussi de montrer que rien n’est immuable et qu’en acceptant de regarder la réalité en face, en mettant des mots sur ses problèmes et en en parlant autour de soi, on peut s’en sortir. Camille Lacourt : « Le plus dur c’est de faire ce premier pas et de se dire 'ça ne va pas'. Tu ne peux pas t’en sortir seul, il faut avoir le courage de se mettre un coup de pied au cul et d’en parler à ses proches. Ça a mis du temps mais j’ai fini par prendre conscience que si je ne faisais rien, je n’allais pas y arriver. » « Je me disais tout le temps que j’étais un guerrier, que toute ma vie je m’étais battu, que c’était juste une mauvaise phase et que ça allait passer. Sauf que les semaines se transforment en mois et les mois en années. Là, tu te dis que ce n’est pas normal d’aller aussi mal et qu’il faut accepter d’en parler », embraye Jérémy Flores.

De petites victoires en nouveaux défis

La renaissance passe alors par tout un tas d’objectifs simples, si l’on en croit l’ancien nageur du cercle de Marseille. « Je me mettais des petits défis. Le premier ça a été de me lever de mon lit pour aller me raser. Donc j’ai fait ça, je me suis habillé, je suis allé à l’échographie de ma future fille. J’avais l’impression d’avoir fait un Ironman ! J’étais épuisé, un truc de dingue. Mais on continue. On se dit 'demain je me lève à 9 heures'. Et ainsi de suite. Une fois qu’on y parvient, on se lance de plus gros défis, aller voir ses potes près des bassins. C’est comme une voiture qui a calé : le plus dur c’est de la pousser et de faire les trois premiers tours de roue, après c’est parti. »

« Il y a tellement de moments dark que quand tu accumules ces petites victoires, elles te font un bien fou parce que ce sont des choses que tu n’arrivais plus à faire : se lever le matin, reprendre du plaisir à aller s’entraîner, à manger, à rigoler avec ses amis. C’est grâce à ces petites victoires que tu te rends compte que tu avances et que tu te reconstruis. » Aujourd’hui, si Camille Lacourt et Jérémy Flores ont pris leur retraite, Perrine Laffont, elle, a depuis repris le fil de sa carrière, avec quelques belles victoires à la clé. Preuve, à l’image aussi de Simone Biles, de retour au sommet après avoir connu l’enfer, qu’on peut ressortir plus grand et plus fort après être monté si haut et retombé si bas.