Coupe du monde de rugby : Ferveur et jeu sans calcul… Pourquoi le Chili est déjà l’équipe coup de cœur de ce Mondial
Bizut•Les Condors ont perdu le premier match de leur histoire dans une Coupe du monde de rugby face au Japon (42-12). Mais ils ont séduit le Stadium de ToulouseNicolas Stival
L'essentiel
- Pour son premier match dans une Coupe du monde de rugby, le Chili s’est incliné face au Japon (42-12), ce dimanche à Toulouse.
- Malgré la sévérité du score, les Condors ont montré de très belles choses, poussés par des supporteurs incandescents.
- Les joueurs sud-américains se voient comme des missionnaires alors que leur sport reste peu populaire au pays.
Au Stadium de Toulouse,
« Chi-le… Chi-chi-chi... Le-le-le… Viva Chile… » Si vous avez la chance d’aller voir les bizuts de cette Coupe du monde à Bordeaux contre les Samoa, à Lille contre l’Angleterre ou à Nantes contre l’Argentine, préparez-vous à garder cet air dans la tête longtemps après votre retour à la maison. Et à entendre résonner dans vos crânes les drôles de sifflets rappelant ceux des mainates, qui, renseignements pris, puisent dans le folklore et l’identité profonde de ce pays tout en longueur.
Car si, comme l’indique le capitaine Martin Sigren, « le Chili n’est pas encore un pays de rugby », il draine un public d’aficionados qu’on ne soupçonnait pas avant les débuts des Condors dans un Mondial, ce dimanche à Toulouse contre le Japon. Bien qu’en infériorité numérique par rapport à la marée nippone qui a submergé la Ville rose, les fans sud-américains ont gagné le duel des tribunes. Même joueurs et staff ont été étonnés par cette ferveur populaire. L’équipe de Pablo Lemoine a finalement perdu de 30 points (42-12) ? Oui. Mais elle a semé de la joie et des graines d’espoir sur la pelouse du Stadium, écrasée de chaleur.
« C’est un jour incroyable pour le rugby chilien, s’est exclamé après coup le sélectionneur de nationalité uruguayenne, ancien pilier à succès du Stade Français. C’est historique pour nous mais aussi pour la Coupe du monde. Aujourd’hui, je pense qu’il y avait 15.000 Chiliens dans le public, c’était incroyable et c’est peut-être le plus important à retenir, on a créé quelque chose de nouveau. On a rempli le contrat. »
Torrealba, le Dupont de Santiago
Son équipe a signé des débuts de rêve en marquant dès la 6e minute par l’ouvreur Rodrigo Fernandez, déjà auteur d’une réalisation fantastique, élu essai de l’année 2022, lors de l’épique barrage aller-retour de qualification remporté contre les Etats-Unis. Les collègues du demi de mêlée Marcelo Torrealba, l’Antoine Dupont de Santiago, se sont envoyés comme des malades, ont plaqué comme si leur vie en dépendait. Il faut dire que ce match représentait une sorte de libération après une préparation quasi-militaire initiée par Lemoine voici trois ans, avec stages dans l’infanterie de marine au passage.
« J’espère qu’on a donné un bon spectacle, a lâché Iñaki Ayarza, l’arrière au physique de mannequin. On est très contents mais aussi déçus, notre objectif, ce n’est jamais de perdre. On a beaucoup fait de sacrifices pour être là. » Avec Sigren (Doncaster, D2 anglaise) et le pilier droit Matias Dittus (Périgueux, 3e division française), Ayarza est l’un des trois Condors à évoluer loin du nid, à Soyaux-Angoulême (Pro D2). Les autres sont amateurs, jouent pour la franchise de Selknam dans la ligue sud-américaine Super Rugby Americas et ont donc suivi un entraînement façon commando tout en jonglant avec leurs autres activités.
« Cela a été vraiment très dur, rembobine Francisco Urroz, croisé par hasard sur le parvis du Stadium avant le match et père de… Francisco Urroz, trois-quarts polyvalent absent de la feuille ce dimanche. Mon fils s’entraînait tous les jours à 7 heures du matin, avant de suivre des études de médecine puis de retourner sur le terrain à 17 heures. C’est différent des autres pays qui payent pour que leurs joueurs évoluent en équipe nationale. Il faut souvent que les parents aident. » Même si la situation tend à changer, le rugby au Chili (comme en Argentine) reste une histoire de garçons bien nés, passés par de prestigieuses écoles privées.
Quatre fratries dans l’effectif
Mais les Condors se voient comme des missionnaires venus en France pour aider leur sport à « devenir le deuxième » dans leur pays, derrière l’intouchable football, comme l’espère Sigren. « Jusqu’à présent, ce sont nos proches et les passionnés qui venaient voir nos matchs, embraie le solide centre Matias Garafulic, l’un des représentants des quatre fratries de l’effectif (son frère Nicolas, blessé, est forfait pour la compétition). Aujourd’hui, notre rencontre était diffusée sur une chaîne gratuite au pays et le monde entier pouvait la voir. »
« Je suis fier tout le temps de mes joueurs, je sais d’où ils viennent, tous les efforts qu’ils ont faits pour être ici, retrace Lemoine. Mais aujourd’hui, j’ai vu des joueurs tels que je ne les connaissais pas, ils sont montés d’un cran. Je rentre à l’hôtel avec une belle image d’eux. »
Face à des Japonais plus costauds mais loin de l’équipe qui avait surpris le monde en 2015 puis en 2019 (quart de finale à domicile), la 22e nation mondiale n’a pas tenu la distance, avec deux essais encaissés dans les 10 dernières minutes. Elle a aussi payé cher ses deux cartons jaunes de la première période, dont le premier très, très évitable, sur un plaquage à retardement de Dittus. Si vous ajoutez quelques en avants commis à des moments clés, vous dressez un tableau à peu près complet de ce qu’il faut bien appeler des erreurs de débutants.
Ceci dit, les Chiliens ont bien mérité leur tour d’honneur, avant les retrouvailles avec des familles et amis venus en nombre. « En sortant de l’échauffement, j’ai vu mon père qui pleurait, rejoue l’excellent talonneur Diego Escobar, frère du percutant n° 8 Alfonso. Cela m’a donné de l’énergie et m’a donné envie de me donner corps et âme. » Pour lâcher après coup quelques larmes de joie, comme tous ces Condors, à jamais les premiers dans l’histoire du rugby chilien.
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