« Le corps haché »… Quatre traileurs amateurs racontent leur UTMB

UTMB 2023 : « C’est devenu le but de ma vie »… Plongez dans la quête ultime de quatre traileurs amateurs

ULTRA-TRAILAlors que la 20e édition de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc (170 km et 10.000 m de dénivelé positif) vient de s’achever ce dimanche à Chamonix, quatre coureurs amateurs confient à « 20 Minutes » l’étonnant cheminement qui les a poussés à s’aligner
Jérémy Laugier

Jérémy Laugier

L'essentiel

  • Le mythique Ultra-Trail du Mont-Blanc (170 km et 10.000 m de dénivelé positif), dans lequel 2.684 coureurs se sont lancés vendredi depuis Chamonix, vient officiellement de s’achever ce dimanche après-midi.
  • 20 Minutes a choisi de suivre, de la préparation de leur premier UTMB à leur passage sous l’arche finale (ou pas), quatre traileurs amateurs : Gaëtan Honoré (42 ans), Virginie Chevriot (40 ans), Adrien Rota (29 ans) et Christian Bourbon (72 ans).
  • Lorsque Jim Walmsley a remporté sa première consécration samedi, certains d’entre eux n’en étaient pas encore à la moitié de leur folle aventure.

De notre envoyé spécial à Chamonix,

On savait qu’il y avait une histoire personnelle derrière chacun des 2.684 participants d’une course aussi démente que l’Ultra-Trail du Mont-Blanc (UTMB). C’est pourquoi à l’occasion de ce 20e UTMB, 20 Minutes a fait le choix de suivre quatre traileurs amateurs, de la préparation de cette « course d’une vie » à une apothéose dans leur nouveau costume de finisher à Chamonix ce dimanche (ou pas). Pour cela, il leur fallait boucler les 170 km et 10.000 m de dénivelé positif tout autour du Mont-Blanc en moins de 46h30, après donc deux nuits complètes à crapahuter sur les sentiers alpins. A 42 ans, Gaëtan Honoré ne pensait pas entendre retentir un jour l’incontournable Conquest of Paradise de Vangelis, derrière l’arche de départ de la colossale épreuve. Il avait pourtant bouclé un marathon dès l’âge de 25 ans, lorsqu’il était étudiant à Lyon, avant de finir la SaintéLyon (78 km) en 2008 et 2009.

« La SaintéLyon était mon Graal à l’époque, explique-t-il. Pour moi, l’UTMB était trop gros, trop loin de ma zone de développement. » Mais cette réflexion a totalement évolué juste après le tragique 13 novembre 2015. Gaëtan Honoré assistait en effet ce soir-là au concert d’Eagles of Death Metal au Bataclan, lieu central des attentats à Paris. Trois semaines après cette nuit d’horreur, il a tenu à honorer son inscription à la SaintExpress (44 km à Saint-Etienne) qu’il a finie. « J’ai eu une prise de conscience : il me fallait réaliser les choses que j’avais un peu en tête, mais que je n’osais pas faire pour tout un tas de raisons. Ça peut sonner cliché mais je voulais arrêter d’être spectateur, et vraiment devenir acteur de ma vie. A partir de là, l’UTMB est devenu un objectif. Il y a plein d’autres courses formidables, mais l’UTMB, ça reste un truc particulier, une ambiance de dingue. »

« On a d’autres projets mais on n’arrive pas à se mettre dedans »

Mais aussi trois fois plus de demandes d’inscription que de coureurs amateurs retenus via un tirage au sort. Gaëtan Honoré, qui vit dans la Nièvre, prend donc son mal en patience avec cinq refus consécutifs des organisateurs. Et puis est arrivé ce 20 janvier 2023, lorsqu’il ouvre dans le train un mail qu’il n’espérait plus. « J’étais extrêmement ému. Ça reste une chance incroyable d’être tiré au sort. J’y croyais à peine quand j’ai reçu ce message intitulé "2023 sera une année particulière pour vous" ». Tout comme pour Virginie Chevriot (40 ans) et Adrien Rota (29 ans), qui ne se connaissaient pas avant… l’édition 2021 de l’UTMB. Ancien vice-champion de France junior de saut à la perche, Adrien assure ce week-end-là l’assistance de son père Pascal, inscrit pour l’épreuve (et finisher en 41 heures).

Il se retrouve finalement accompagné de Virginie, amatrice de trail souhaitant découvrir l’ambiance du sommet mondial de l’ultra à Chamonix, et ainsi faire un coucou à Pascal Rota, gérant de la boutique de running où elle se rend régulièrement en Seine-et-Marne. « L’UTMB m’a toujours fait rêver, cette course était dans mon viseur, explique Virginie. Finalement, les deux jours d’assistance de Pascal se sont transformés en un rencart un peu spécial. C’était un week-end magique. » En couple depuis deux ans, ils ne pouvaient espérer mieux que de participer eux-mêmes à cet ultra-trail mythique, aux côtés d’amis et de Pascal, également de la partie à Chamonix pour son « jubilé de traileur » à 60 ans. Tout en bouclant ensemble de gros morceaux comme le Grand Trail des Templiers (81 km), celui de Nice inclus dans le circuit UTMB (115 km) et la Maxi-Race d’Annecy (90 km), Virginie et Adrien sont depuis longtemps totalement tournés vers cet UTMB Mont-Blanc à la symbolique immense pour eux.

« En accompagnant mon père en 2021, je me suis rendu compte le soir même que c’était devenu le but de ma vie, nous confiait Adrien vendredi matin. J’ai étudié tout le règlement de la course le lendemain. Je devais à tout prix en être une fois dans ma vie. Comme on avait les mêmes ambitions avec Virginie, ça nous a motivés à lancer le projet ensemble. On parle quotidiennement de l’UTMB. On a d’autres projets mais on n’arrive pas à se mettre dedans tant on a la tête à cette course. A partir du 4 septembre, on passera à des choses plus terre à terre. » »

Nos Franciliens filent un week-end sur deux à la montagne

Installés à Lésigny (Seine-et-Marne), ces deux traileurs amateurs courent une centaine de kilomètres (et 5.000 m de D +) par semaine. Un week-end sur deux en amont de leur rendez-vous ultime dans les Alpes, ils sont partis à la montagne. Ils ont même effectué en juillet une reconnaissance de l’UTMB en quatre jours. « Quand il faut planifier entre 10 et 15 heures d’entraînement par semaine, c’est un super avantage de partager cette passion. On se comprend, on s’aide à prendre du recul », apprécie cette maman de deux enfants de 12 et 15 ans, qui travaille dans la communication tout comme son compagnon.

Cette vie professionnelle n’est plus au programme depuis très longtemps pour Christian Bourbon. Et pour cause, cet Isérois est le doyen français de l’UTMB 2023, à 72 ans. Finisher en 2019 de la CCC (course de 100 km faisant partie de l’UTMB Mont-Blanc) en 26 heures, mais aussi des 133 km de la course du Père Noël (ça ne s’invente pas) aux Herbiers (Vendée) en 2022, celui-ci s’est mis à repousser ses limites une fois à la retraite.

Christian Bourbon, ici vendredi après-midi à quelques minutes du grand départ pour son premier UTMB.
Christian Bourbon, ici vendredi après-midi à quelques minutes du grand départ pour son premier UTMB. - Jérémy Laugier/20 Minutes

« La course à pied me soigne », glisse Christian Bourbon, 72 ans

« J’avais une vie familiale et professionnelle bien chargée, indique-t-il. J’ai du temps maintenant pour m’entraîner cinq fois par semaine, pour 100 km en moyenne. C’est pourquoi j’ai de l’admiration pour les jeunes de 30-40 ans qui sont sur l’UTMB. » Nul doute que l’inverse est (au moins) aussi vrai, tant il paraît fou de le voir tenter de finir pour la première fois de sa vie un ultra-trail aussi long. Son seul précédent était l’Ultra 01 (169 km) dans l’Ain, qu’il avait abandonné après 58 km, à la fin de la première nuit.

« Il y en a qui ont à peine des cheveux blancs et qui se disent que je suis un peu frappadingue d’être sur de telles courses à mon âge. Mais tant qu’on peut bouger, il faut y aller. Mon épouse me fait bien comprendre que j’ai 72 ans et qu’il faudrait peut-être que je lève le pied. Mais je n’ai quasiment jamais de gros pépin physique. Et ça va vous faire sourire, la course à pied me soigne. J’ai parfois des douleurs au dos, et ça passe en courant. » »

Pour autant, il ne cachait pas une certaine fébrilité, quelques minutes avant le départ de 18 heures vendredi : « Mon seul objectif est de finir d’ici dimanche à 16h30. Ça va vraiment être dur de partir pour deux nuits… », confiait-il. La première va malheureusement être fatale à Christian Bourbon, contraint de renoncer dès la Balme (km 40), où il n’a pas pu passer la barrière horaire intermédiaire, fixée à 2 heures du matin. « Il a besoin de digérer sa course », nous a depuis simplement soufflé l’une de ses amies, chargée de son assistance.

« J’aime être seul contre les éléments, le parcours, les montées »

Au même moment, dans une première nuit galère, Gaëtan Honoré est en proie à de multiples vomissements. Mais le directeur de l’Institut supérieur de formation de l’enseignement catholique de Dijon, papa d’Adonis (16 ans) et de Mazarine (11 ans), est comme habité par cet événement, et il en faut bien plus pour le voir envisager un abandon. « Le dépassement de soi est au bout du jardin, glissait-il vendredi matin. Personnellement, il n’y a que le trail qui me transporte comme ça. L’aventure de la course à pied, c’est du très bas et du très haut, de l’intense, c’est ce que je veux vivre. Ça m’aide à la fois à me distancier du 13 novembre et à vivre avec. J’aime être seul contre les éléments, le parcours, les montées. »

Gaëtan Honoré repart ici de Vallorcine, ce dimanche, au km 155.
Gaëtan Honoré repart ici de Vallorcine, ce dimanche, au km 155. - Stanislas Petit

La solitude n’a réellement été au programme qu’à partir de samedi, lorsque la course a commencé à vraiment s’étirer, en même que l’important nombre d’abandons a gonflé (931 au total). Contre toute attente, Adrien Rota a fait partie de ceux-ci dès samedi à 9h40, lorsqu’il est arrivé au lac Combal (km 68, Italie), après 14h39 de calvaire. « J’avais d’emblée les jambes raides et je me suis surtout vite retrouvé fracassé par la fatigue, et j’enchaînais sieste sur sieste en vain, regrette le jeune Francilien, qui espérait boucler son premier UTMB en 32 heures. J’ai sans doute mal géré mon vendredi avant le départ. J’étais pourtant archi prêt. Je rêvais tant de finir cette course que je pense revenir un jour pour aller au bout. » En attendant, il s’est transformé en assistant inattendu de sa compagne et de son père, qui ont effectué la majeure partie de ce 20e UTMB ensemble.

Le « corps haché » de Gaëtan Honoré à l’arrivée

La grosse cote était là, puisque Pascal Rota souffrait d’une sciatique, et que Virginie Chevriot, qui visait à la base les 40 heures de course, s’est blessée deux semaines avant le D-Day. « On avait fait une super prépa, avec 1.500 km et 60.000 m de D + en quatre mois, Et là, bim, la première blessure musculaire de ma vie, avec une déchirure de trois centimètres. » 45 heures et 41 minutes après son départ, gros strap sur la cuisse gauche et protection sur le genou droit, elle est revenue triomphante, en 1.611e finisher, aux côtés de son beau-père sous l’arche de Chamonix, après de sacrées souffrances dans trois pays différents.

Adrien félicite ce dimanche après-midi sa compagne Virginie, finisher en 45h41 d'un incroyable combat contre elle-même à l'occasion de ce 20e UTMB.
Adrien félicite ce dimanche après-midi sa compagne Virginie, finisher en 45h41 d'un incroyable combat contre elle-même à l'occasion de ce 20e UTMB. - Joël Rondole

Deux heures plus tôt, Gaëtan Honoré (1.227e en 43h14) avait vécu pareille décharge de bonheur contagieux, à même de lui faire oublier d’hallucinantes ampoules et « un corps haché », avec deux siestes de dix minutes au compteur depuis vendredi matin. « Il y a une forme d’aboutissement dans tout ça, confie-t-il, radieux avant de filer dévorer un hamburger savoyard et des frites en terrasse (et en tongs). J’ai appris beaucoup de choses sur moi-même. J’ai vécu des moments de très basse intensité comme jamais, mais il n’a jamais été question de ne pas finir cette course. Et pour moi qui suis devenu insomniaque il y a huit ans, je me suis rendu compte à quel point le sommeil était vital. » Il ne manquerait plus qu’il effectue ce dimanche sa première nuit de plus de cinq heures depuis le 13 novembre 2015.