« En dix minutes, c’est réglé »… D’Internet au labo maison, tous les chemins mènent au dopage
ENQUêTE•Autrefois cantonné aux salles de musculation, le trafic d’anabolisants s’est élargi à Internet au fil des années. L’achat de produits finis mais aussi de matières premières, y est grandement facilité, sans avoir totalement pris le pas sur l’humainWilliam Pereira
L'essentiel
- 20 Minutes a enquêté sur le dopage dans la musculation, avec une attention particulière sur les jeunes pratiquants.
- Dans cette deuxième partie, focus sur les fournisseurs de produits dopants aux adeptes de musculation.
- Si le bouche à oreille persiste dans les salles de sport, internet a pris le relais via des fournisseurs clandestins. Les chimistes en herbe fleurissent également, aux risques et périls de leurs clients.
La démarche est simple, trop simple. Taper « achat stéroïdes » sur Google suffira à vous ouvrir les portes du dopage, pour peu d’être muni d’une carte de crédit ou d’un peu de liquide. Autrefois la norme, les virements Western Union existent toujours, mais sont relégués au second plan par les envois bancaires – par carte ou virement – et le Bitcoin. « Giant Muscle », un membre émérite du forum Meso-RX, bible en ligne du dopage, raconte l’époque révolue dont il est rescapé. « Il fallait se déplacer jusqu’à un point de vente ou à la poste pour faire la transaction, puis attendre quelques jours. »
Une méthode, dit-il, qui avait le mérite de décourager les plus impatients. « Tout est vraiment réuni pour que les jeunes sautent le pas rapidement. Aujourd’hui, en dix minutes c’est réglé. » Voire moins. Montre en main, il nous aura fallu à peine cinq minutes pour nous retrouver sur la page de paiement du site 123steroid. 185 euros (dont 15 de frais de livraison) pour une vial (petite fiole) de 10ml de trenbolone, un puissant stéroïde anabolisant.
Virement sur un compte tchèque et colis façon Vinted
En fouillant plus longtemps dans les forums, où les marques de laboratoires clandestins défilent sur des topics dédiés, le prix devient tout de suite plus intéressant. Chaque vendeur y fait sa déballe commerciale, promet des produits de meilleure qualité que la concurrence, des prix imbattables, et pas plus de 5 % de colis interceptés par les douanes. Nous en choisissons un au hasard dans le lot. Pour la même vial de trembolone, comptez 33 euros, plus 20 de frais de livraison, soit 53 au total. Huit jours après avoir viré la somme sur un compte en République tchèque, le produit sera pris en charge par la poste autrichienne et atterrira dans nos mains dans un emballage qui tient plus de Vinted que du trafic international. Ces commandes individuelles, difficilement traçables, sont un calvaire pour les autorités.
Pour une première cure, et avec un peu de flair, il suffit de mettre « environ 150 euros » sur la table, estime Giant Muscle. « Avant, un jeune qui n’avait pas trop d’argent devait quand même débourser le double. » Culturiste en devenir, Marouane*, 21 ans, n’avait peut-être pas les bons contacts : mis bout à bout, il en a eu pour 470 euros. « Je finance tout ça avec mon salaire », grâce à plusieurs activités dans le bâtiment, la maintenance et le coaching.
Si internet prend progressivement le pas sur l’humain, question de génération, le bouche-à-oreille continue d’exister dans les salles de sport. Les préparateurs n’ont par exemple jamais cessé d’embarquer les talents à fort potentiel sur la pente savonneuse. Un deal présenté comme gagnant-gagnant. L’entraîneur vend ses produits à un élève qu’il promet d’accompagner sur l’Olympe du culturisme. « Le dopage, on en parle autour de soi, on en revend autour de soi, expose Sylvain Noyau, commandant de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (Oclaesp). Il y a cette logique de consommateur-revendeur, mais la plupart du temps dans un petit cercle. »
Andy Magnusson, de la consommation au trafic d’anabolisants
C’est dans une boucle très confidentielle que tout avait commencé pour Andy Magnusson, coach repenti du dopage, tombé pour trafic d’anabolisants. Une pratique sévèrement réprimée : cinq ans d’emprisonnement et des amendes de 75 000 €, qui peuvent être portées à sept ans et à 150 000 € lorsque les faits sont commis en bande organisée ou à l’égard d’un mineur ou par une personne ayant autorité sur un ou des sportifs.
De sa première cure de stéroïdes sur le tard, à 34 ans, pour garder la face devant « les petits jeunes qui montent » au commerce international, tout est allé très vite pour Andy (voir encadré). « Ça a commencé avec un de mes collègues qui m’a ramené des produits, que j’ai testés. J’ai été convaincu. Partant de là, je lui demande s’il n’a pas un autre produit. Ensuite, j’en parle à un pote, qui teste et apprécie aussi. Et c’est monté comme ça, petit à petit. »
En début de chaîne il y a Eric, chimiste autoproclamé, à qui le coach passe commande par l’intermédiaire d’une connaissance commune. Le Walter White low cost a commencé à jouer aux apprentis sorciers chez lui pour sa propre consommation. Plus complexe que d’en demander à un revendeur, mais beaucoup moins cher à la longue. Familier de la thématique du dopage, le Youtubeur The Rob résume l’idée : « Pour faire ton labo, t’achètes les molécules en Chine sur un équivalent d’Aliexpress pour rien du tout. Tu as un process chimique pas compliqué à faire, tu prends du matos et tu te débrouilles avec les tutos que tu peux trouver sur Internet. »
La cuisine d’Eric, démantelée en 2015 dans le Val d'Oise, est un grand classique du genre. « Un frigo horrible, des cuves, des espèces de mélangeurs, de la poudre qu’on mélange avec un truc sous vapeur pour éviter les infections, et basta », décrira Magnusson, confronté à des photos de l’endroit lors d’interrogatoires. Le plus inquiétant ? Son labo n’était pas le pire du milieu. Damien Ressiot, directeur du développement stratégique de l’AFLD, est passé un an par l’Oclaesp en 2015 en qualité de conseiller technique. Et il garde en mémoire les garages de pavillons franciliens où des citoyens lambda fabriquaient leurs stéroïdes « sans mesure sanitaire ni suivi de qualité… C’est juste dément de se dire que des gamins de 15 ans peuvent être amenés à consommer ces produits. »
Des recettes pour faire sa testo maison
Retour sur notre forum, rubrique « labos maison ». Un autre habitué des lieux, genre de Marmiton des stéroïdes à lui seul, propose, photos à l’appui, une multitude de recettes pour faire ses produits dopants maison. Même si tout est dosé au gramme ou millilitre près, le matériel basique (bécher, balance électronique et… pistolet extrudeur, plus indiqué pour refaire les joints de sa salle de bains) apposé sur le bureau ne garantit pas une précision optimale.
Le risque de surdosage est réel. Marc*, un pratiquant de musculation âgé de 23 ans, consomme depuis quatre ans des produits dopants commandés sur les forums à des fournisseurs étrangers. Sa première expérience s’était soldée par un abcès gros comme une balle de tennis au niveau des fesses, zone privilégiée pour les injections intramusculaires. « Un scandale. Le produit était dégueulasse, et il ne marchait même pas. Quand je l’ai fait analyser, on m’a dit que c’était de l’huile de friture. » Une arnaque commune dans le milieu. « Tout est moins cher en ligne, ironise Andy Magnusson. Le seul problème, c’est que tu ne sais pas ce que tu te mets dans le cul. »
*Le prénom a été changé
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