interview« Le public ne sait pas qu’on galère… », raconte l’athlète Ronan Pallier

Mondiaux de para-athlétisme : « Un matin, au réveil, vous ne voyez plus rien… », raconte le doyen Ronan Pallier

interviewDéficient visuel, Ronan Pallier, 52 ans, dispute à Paris ses quatrièmes championnats du monde de para-athlétisme. Pour « 20 Minutes », il se livre sur son parcours et la place du handisport
Frédéric Brenon

Propos recueillis par Frédéric Brenon

L'essentiel

  • Ronan Pallier est champion d’Europe en titre de saut en longueur (catégorie T11). Egalement médaillé de bronze aux Jeux paralympiques 2008 et 2021.
  • « Il y a beaucoup de solidarité entre nous. Alors que les valides sont assez individualistes. »
  • « S’il n’y avait pas eu les Jeux à Paris on n’aurait pas eu grand-chose .»

C’est une figure de l’équipe de France. Il en est aussi le doyen et l’une des plus belles chances de médailles. A 52 ans, Ronan Pallier, alias « papy jumper », dispute ses quatrièmes Mondiaux de para-athlétisme, lesquels débutent ce samedi à Paris. Un avant les Jeux paralympiques, le sauteur en longueur nantais se livre pour 20 Minutes. Entretien sans langue de bois.

Comment aborde-t-on un tel événement quand on a votre expérience ?

Ça va, je suis serein, j’en ai connu d’autres. Je suis quelqu’un qui reste positif, même s’il y a forcément un peu de pression qui monte. Pour être qualifié directement aux Jeux, il faut finir dans les quatre premiers. Ça rajoute effectivement un peu de stress et de responsabilité

Quelle sera votre ambition ?

Je vise au moins le podium et, si possible, le titre. C’est quand même en France ! C’est chez nous. Sinon ça ne sert à rien de faire du haut niveau. On est cinq-six au monde dans un mouchoir de poche, donc tout est possible. Je suis champion d’Europe en titre donc je sais que je suis particulièrement attendu.

Quel est votre rythme de travail au quotidien ?

Je suis un des rares à être professionnel. Je m’entraîne tous les jours du lundi au vendredi, à raison de 12 heures par semaine environ. Avant j’en faisais une vingtaine mais je ne suis plus tout jeune, je dois faire attention à mon corps. En général je suis à Nantes, parfois en stages à l’étranger. Je fais surtout de la salle, c’est plus sécuritaire pour moi que sur une piste en extérieur en moins bon état. En tant que déficient visuel, il faut que j’évite de mettre le pied dans un trou. Se faire une cheville, c’est rapide. Il faut savoir gérer son handicap, être prudent.

D’où vient votre handicap ?

C’est une rétinite pigmentaire, une maladie génétique dégénérative. Il n’y a aucun traitement. La cécité est arrivée comme ça, du jour au lendemain. Un matin, au réveil, vous ne voyez plus rien. J’avais 31 ans. La maladie était latente, sans que je le sache. Je suis un enfant de la Ddass, je n’avais aucune info sur la génétique de ma famille. Je me définis comme un non-voyant incomplet car j’ai quand même une perception lumineuse. Je sais quand il fait jour, quand il fait nuit, s’il y a un grand bâtiment devant moi. Mais je ne fais pas la différence entre un poteau et une personne, une voiture et un rocher. Et dès que la luminosité diminue, je suis non voyant complet.

Comment avez-vous réagi à cette cécité soudaine ?

Je me dis que la vie continue, même avec un handicap. J’ai toujours été actif, je n’ai pas un tempérament à me laisser aller. Ce n’est pas parce que je ne vois plus grand-chose que je ne peux pas courir, que je ne peux pas faire du saut à l’élastique. Je fais quasiment tout comme tout le monde et, en plus, j’ai la chance de voyager. Ce n’est pas toujours facile, mais il faut enlever les contraintes, être fonceur, ne pas avoir peur.


Le Nantais Ronan Pallier lors des Jeux paralympiques 2021 à Tokyo.
Le Nantais Ronan Pallier lors des Jeux paralympiques 2021 à Tokyo. - T.Lovelock/Shutterstock/Sipa

Continuer l’athlétisme était une évidence ?

Je faisais déjà du saut en longueur en élite, donc la bascule elle s’est faite naturellement. Je ne me suis pas posé la question. On adapte la discipline au handicap, pas l’inverse. Donc c’est possible. J’ai seulement arrêté le sprint parce qu’avec l’âge j’étais moins performant.

Qu’est-ce que la cécité a changé dans votre pratique sportive ?

Il faut déjà courir droit. Essayez sur une vingtaine de mètres les yeux bandés, vous verrez que ce n’est pas facile ! Il y a pas mal d’athlètes qui vont de travers. Il faut se faire confiance et être un peu casse-cou. Il me faut un guide aussi. Il m’accompagne à chaque compétition. Il se positionne au bout du couloir et à moi de me concentrer pour entendre le « clap », le signal pour se diriger. C’est pour ça que les spectateurs doivent se taire, pour qu’on puisse entendre le « clap ». Les tribunes arrêtent tous les sons pendant une minute et, là, on saute. C’est l’inverse des valides.

Le guide vous sert aussi à sauter au bon moment ?

Non, pour ça, je n’ai pas besoin d’aide. Je compte les premières foulées et, après, mon corps se repère instinctivement. Je sais tout de suite si mon saut est réussi. Sur les yeux j’ai des patchs médicaux et, en plus, on a des lunettes opaques pour mettre tout le monde sur un pied d’égalité. Mais on est des sensoriels. Je ressens l’espace, les vibrations, le vent. Mon audition est très développée. J’entends toutes les conversations dans les téléphones des gens, par exemple. Dans le bus, le tram, j’entends tout. Le soir, ça me donne mal à la tête.

Vous avez été sportif de haut niveau à la fois chez les valides et dans le handisport, ce qui est rare. Quelles différences constatez-vous ?

Même si on adapte la discipline au handicap, on fournit beaucoup plus d’efforts qu’un valide, forcément. Parce qu’il faut s’habituer au matériel. Ça demande de la persévérance mais, on n’a pas le choix, on doit avancer. C’est une question de mental. Il y en a pour qui c’est trop dur. L’autre différence, ce sont les liens amicaux entre nous. On a des valeurs, beaucoup de solidarité, alors que les valides sont assez individualistes je trouve.

Pourquoi selon vous ?

Parce qu’il y a moins d’argent dans le handisport. Ça change tout. Même si, attention, compte tenu des performances, de la médiatisation, l’argent arrive aussi dans le handisport. J’espère que ça ne va pas monter à la tête. Je sais que certains se prennent un peu pour des cadors. Il ne faut jamais oublier d’où on vient. On peut redescendre très vite.

Le regard des médias a-t-il changé sur le handisport ?

Au début, ils voyaient des personnes en situation de handicap faisant du sport. Maintenant ils se rendent compte qu’on est des athlètes ayant un handicap. Les Jeux paralympiques sont bien plus exposés qu’à une époque. Et désormais les médias s’intéressent aussi aux championnats du monde et d’Europe. C’est bien. Aux paralympiques d’Athènes 2004, je me souviens qu’il n’y avait qu’un média français qui couvrait quotidiennement l’événement. Maintenant il y en a quasiment une dizaine.



Les moyens consacrés au handisport sont-ils à la hauteur en France ?

Oui ça va mieux. Mais s’il n’y avait pas eu les Jeux à Paris on n’aurait pas eu grand-chose. C’est ça qui a ouvert les financements. Et c’est arrivé tard alors que la désignation de Paris s’est faite en 2017. J’espère que ça va continuer dans ce sens après 2024. On pense souvent qu’on est les meilleurs en France mais il y a quand même des pays où ça fonctionne beaucoup mieux : l’Allemagne, l’Angleterre, l’Europe du Nord, l’Afrique du sud… Des pays où les athlètes sont professionnels très tôt.

Vous êtes pourtant professionnel depuis 2008 vous aussi…

C’est parce que j’ai un palmarès qu’on m’a proposé un contrat. Sinon, je n’aurai rien eu, il faut être honnête. Je travaille à mi-temps pour la fédération et le ministère des Sports en tant qu’athlète et également à mi-temps à la Semitan (société des transports en commun de Nantes) en tant que chargé de mission. On n’est pas nombreux dans cette situation. On doit être six athlètes à vivre sereinement de notre sport. En comparaison, la plupart des athlètes valides sont libérés. Le public ne sait pas qu’on galère comme ça.

Comment seront les Jeux paralympiques 2024 selon vous ?

Je pense que ce sera beau. Il y aura peut-être plus de monde aux paralympiques qu’aux olympiques. La billetterie qui va ouvrir à l’automne sera beaucoup plus abordable. Les billets seront à 15 euros, le pack sera maximum à 200 euros. Pas des 3.000 euros comme on a pu en voir pour les JO, du n’importe quoi. Il faut que ça reste une fête.

Ce sera vos derniers Jeux ?

Aucun athlète ne voudrait rater les Jeux à domicile. Mais, ensuite, oui, j’arrêterai le haut niveau. J’aurai presque 54 ans. Je suis le seul de mon âge dans l’athlétisme français. Même si je reste aguerri, il faut que je fasse attention à ma santé.