Les athlètes de haut niveau, ces grands oubliés de la réforme des retraites
SPORT•Alors que la réforme des retraites rencontre une forte opposition dans toute la population française, les athlètes de haut niveau auraient de bonnes raisons de rejoindre le mouvement, mardiAymeric Le Gall
Manque de pot pour Kylian Mbappé, le buteur du Paris Saint-Germain sera en Allemagne le 7 mars prochain pour préparer le match retour de C1 face au Bayern Munich et ne pourra donc pas participer à la grande manif prévue contre la réforme des retraites. Pourtant, à en croire Sandrine Rousseau, qui s’est enquise de l’avenir du vice-champion du monde, celui-ci aurait de bonnes raisons de sortir son petit carton revendicatif et d’aller battre le pavé avec les organisations syndicales et les travailleurs que l’on qualifiera de lambdas.
« Sur la carrière des sportifs, puisque tel est l’amendement dont nous discutons aujourd’hui, je m’interroge moi : que va faire Mbappé après 50 ans ? Je ne sais pas si Emmanuel Macron, au moment où il faisait des papouilles à Mbappé, lui a parlé de sa carrière quand il sera senior », a lancé la députée Europe Écologie-Les Verts (EE-LV), le 31 janvier dernier en commission des affaires sociales, au moment de défendre un amendement visant à intégrer les sportifs de haut niveau dans l’index des seniors (dispositif prévu par le gouvernement afin de favoriser l’emploi des seniors dans le contexte de recul de l’âge légal de départ à la retraite).
Si l’exemple pris par Sandrine Rousseau a de quoi prêter à sourire, Mbappé gagnant suffisamment bien sa vie pour faire vivre des générations et des générations de mini-lui, la députée n’est pas si à côté de la plaque que ses détracteurs ont bien voulu le faire croire. « Il y a peu de chance qu’on croise Mbappé en manif mardi, sourit l’économiste Pierre Rondeau. Ca me semble être un exemple utilisé à mauvais escient, mais c’est vrai que le sujet concerne énormément d’autres sportifs et sportives qui pourraient s’inquiéter d’une augmentation de leur précarité, déjà importante, du fait de cette réforme des retraites, et qui pourraient donc être dans la rue mardi. Car, si Mbappé a les moyens de mettre de côté et de voir venir sans trop de problèmes, la grande majorité des athlètes de haut niveau n’ont pas les mêmes facilités et éprouvent de grosses difficultés après leur carrière. »
Des carrières courtes et hachées
Ayant pour la plupart sacrifié une partie de leur jeunesse et de leurs études pour se consacrer à la pratique de leur sport, qui n’en est pas moins un métier, les athlètes, qui ont des carrières ultracourtes et parfois peu rémunérantes, n’ont donc pas l’opportunité de cotiser pour leur retraite pendant cette période. Et une fois retirés des terrains, des bassins ou des pistes d’athlé, autour de la trentaine d’années (dans le meilleur des cas), ceux-ci ne travaillent pas assez d’années pour pouvoir bénéficier d’une retraite à taux plein et beaucoup éprouvent de grosses difficultés économiques tout au long de leur vie, qu'ils parviennent à trouver un emploi rapidement ou pas. Au point parfois de regretter d’avoir donné leur corps au sport pour le rayonnement de la nation.
C’est le cas de la judokate Emilie Andéol, médaillée d’or aux JO de Rio en 2016, qui s’est retrouvée au chômage à la fin de sa carrière et s’était demandée si le jeu en avait valu la chandelle. En 2015, un rapport du secrétaire d’État aux Sports Thierry Braillard estimait que « quatre sportifs de haut niveau sur dix gagnaient moins de 500 euros par mois ». Reconverti un temps dans l’accompagnement des sportifs de haut niveau après sa carrière d’escrimeur, le médaillé olympique Robert Leroux (1996) en a fait l’amer constat : « Beaucoup me confiaient qu’ils mangeaient des pâtes tous les soirs sous peine de ne pas pouvoir financer leur matériel, et c’était des médaillés olympiques ! »
Toujours prompt à récupérer le moindre succès de nos sportifs et sportives sur la scène internationale, les politiques semblent moins se préoccuper de l’avenir des athlètes une fois ceux-ci à la retraite. Et ce n’est pas l’actuelle réforme des retraites qui viendra rétablir une certaine équité. « Loin de s’intéresser à leur sort, le projet de réforme des retraites défendu par le gouvernement d’Élisabeth Borne ne prévoit aucune amélioration ni aucune création d’un régime spécifique, écrivent Pierre Rondeau et le codirecteur de l’observatoire du sport, Richard Bouigue, sur le site de la Fondation Jean Jaurès. Pire, il risquerait d’altérer encore plus leur situation : en reculant l’âge légal de départ de deux ans, même pour les carrières longues de celles et ceux qui auraient commencé à travailler avant vingt ans – ce qui est le cas de nombreux sportifs –, on prend le risque de les maintenir plus longtemps dans une condition d’incertitude économique et sociale avant qu’ils ne puissent bénéficier d’une pension de retraite qui, issue d’une carrière hachée, sera donc décotée. »
Pour un régime spécifique pour les athlètes de haut niveau
Notons toutefois qu’un dispositif a vu le jour en 2012 par lequel l’État s’engage à cotiser à la place des sportifs, dans la limite de quatre trimestres par an et de seize trimestres au total, afin de compenser le décalage lié à l’entrée tardive sur le marché de l’emploi. Problème, les conditions pour en bénéficier sont telles que, selon Philippe Gonigam, le président de l’Union nationale des sportifs de haut niveau cité par Libération, « cela ne concerne que 500 sportifs » de haut niveau sur les quelques 1.500 que compte la France rien que dans le sport individuel. En 2019, ce même Philippe Gonigam nuançait déjà l’impact de ce dispositif, expliquant que cela restait « une retraite conditionnée, très en deçà de ce à quoi un salarié normal peut prétendre ».
De plus, ce dispositif n’a pas d’effet rétroactif et pénalise ainsi bon nombre d’anciens sportifs de haut niveau. A ce titre, le député Modem du Morbihan et ancien skipper vainqueur de la Transat AG2R, Jimmy Pahun, a déposé un amendement au projet de loi des retraites pour permettre à l'ensemble des sportifs figurant sur les listes ministérielles depuis 1984 de voir leurs trimestres non cotisés être compensés par l'État, répondant en cela à une demande du Collectif des champion(ne)s français, qui a rédigé une lettre ouverte au président de la République pour se se plaindre de cette situation. Pour Robert Leroux, il s’agit « ni plus ni moins de réclamer une équité de traitement. La distinction qui est faite entre les sportifs qui ont représenté l’équipe de France avant ou après 2012 nous paraît totalement injuste ».
« Que l’État mette ça en place, c’est un strict minimum, réagit Pierre Rondeau. Mais qu’on ne considère pas les athlètes de haut niveau dans un régime spécifique reste une profonde injustice. » S’il assure à nos confrères de Libération que « quelques députés souhaitent s’emparer du sujet », Philippe Gonigam regrette tout de même de n’avoir « eu vent d’aucune mesure spécifique » dans la réforme proposée par le gouvernement. Et pour cause, il n’y en a pas. « Malheureusement, pour que les choses bougent, comme on est dans une espèce de République des faits divers, il faudrait constater factuellement le problème via des exemples de sportifs médaillés olympiques qui se retrouvent dans une immense précarité à la fin de leur carrière », souffle Pierre Rondeau. Ou que Kylian Mbappé rejoigne les rangs de la CGT et manifeste en tête de cortège mardi après-midi.
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