Cyclisme : Le « projet fou » de Pierre Thévenard, qui vise le record du monde de vitesse sur terre à VTT
HORS-TERRAIN•Le Français va tenter de dépasser cette semaine la précédente marque de 167,5 km/h, sur de la terre, à VTT, sur les pentes du Cerro Negro, un volcan nicaraguayenAymeric Le Gall
L'essentiel
- Un jeudi sur deux, dans sa rubrique « Hors-terrain », 20 Minutes explore de nouveaux espaces d’expression du sport, inattendus, insolites, astucieux ou en plein essor.
- Cette semaine, on part à la découverte de Pierre Thévenard, qui va tenter de battre le record du monde de vitesse sur terre sur un VTT de série, de vendredi à dimanche au Nicaragua.
- Mordu de VTT et de sensations fortes, ce charpentier de profession s’est lancé ce pari fou en partenariat avec la ville de Châtel (Haute-Savoie), où il réside et s’entraîne.
«C’est l’histoire d’un homme qui descend les pentes d’un volcan à plus de 160 km/h à VTT. Le mec, au fur et à mesure de sa descente, il se répète sans cesse pour se rassurer : "Jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien. Mais l’important, ce n’est pas la descente, c’est l’atterrissage". » Si l’on se permet de plagier et d’adapter cette réplique mythique du film La Haine de Mathieu Kassovitz, à l’histoire de Pierre Thévenard, qui va tenter de battre entre vendredi et dimanche le record du monde de vitesse sur terre à VTT, ce n’est pas pour rien. Non, car pour ce charpentier de 32 ans, le stress se situait en amont de cette tentative un peu folle.
Quelques jours avant de décoller pour le Nicaragua, où l’attend son destin de fou du guidon, il se confiait : « Je me sens plutôt bien, le stress diminue au fur et à mesure que l’échéance approche. Le plus stressant finalement, c’est la logistique, car j’ai dû m’occuper de tout. Le jour où on va atterrir et qu’on aura tous nos bagages, là je serai vraiment détendu. Le reste aussi c’est stressant, bien sûr, on se dit qu’on va sur un volcan qui n’a pas été pratiqué depuis longtemps, mais ça, ça va ». Car pour homologuer son possible record du monde, le Haut-Savoyard a dû mettre sur pied toute une équipe.
Un géomètre, pour valider la pente du Cerro Negro, le plus jeune volcan d’Amérique Centrale, niché dans la cordillère des Maribios, en sommeil depuis vingt-trois ans, un chronométreur officiel, un mécanicien et une équipe de cameramen pour filmer l’aventure. « Pour un sportif semi-pro, là on est carrément sur un projet pro, dit-il fièrement. Pour mesurer la pente du volcan, il y a une charte à respecter pour le Guinness Book, il ne faut pas une pente à plus de 50 %. Quand on s’attaque à un record, il doit être battu dans les mêmes conditions. » Le record en question, c’est celui de l’Autrichien Markus Stockl et ses 167,5 km/h, réalisé en 2011 sur un autre volcan, au Chili.
Un hors-la-loi sur les pistes de Châtel
Pour comprendre comment un père de famille, charpentier de profession, se lance dans ce qu’il qualifie lui-même de « projet fou », il nous faut faire un moonwalk sur la flèche du temps. Biberonné au BMX avant de pratiquer le cross-country, le vélo de route, le VTT slopestyle et de descente, Pierre Thévenard participe aussi aux courses de VTT sur neige organisé par Eric Barone, lui aussi détenteur d’un autre record, celui de la descente du Cerro Negro à 172,61 km/h, non pas avec un vélo de série, comme Thévenard et Stockl, mais avec un prototype qui se brisera en fin de parcours et qui aurait pu lui coûter la vie. Mais on y reviendra. « Comme le vélo sur neige était interdit sur les pistes de ski, le seul moyen de s’entraîner c’était pendant les courses. Mais moi je me suis dit "il faudrait que tu prennes une longueur d’avance sur les autres, achète-toi un vélo électrique et tu t’entraînes en altitude avant l’ouverture des pistes" », rembobine-t-il.
C’est donc dans la peau d’un hors-la-loi que Pierre Thévenard commence à taper des vitesses folles sur la piste « Linga », à Châtel (Haute-Savoie), là où il réside avec sa famille. « Le but, quand on s’entraîne tout seul, c’est de se battre soi-même. Je trouvais ça vraiment fun de me dire chaque jour "allez, va plus vite qu’hier", jusqu’au jour où j’ai dépassé 140 km/h et j’ai commencé à me dire que le record était jouable… Comme c’était Eric Barone qui organisait des courses sur neige, j’ai commencé à me renseigner sur sa vie et ses records. Je me suis alors dit que si j’arrivais à faire 140 km/h à l’arrache, si ça se trouve, bien préparé avec des entraînements sérieux, je pourrais faire mieux. J’ai donc monté un dossier et j’ai foncé. »
Après avoir trouvé des sponsors, du matos et réalisé tout une batterie de test en soufflerie, il convainc le maire de Châtel de le suivre dans cette aventure. Ce dernier accepte alors de lui ouvrir une piste de la station avant l’arrivée des skieurs. Encadré par une équipe de pisteurs, Thévenard se paie régulièrement une descente à toute balle au petit matin, sur de la neige fine, dont les sensations se rapprochent le plus de ce qu’il va connaître sur la terre du Cerro Negro. Désormais équipé d’une combinaison de ski et d’un casque de kilomètre lancé offert par un skieur spécialiste de la vitesse, Thévenard se rapproche de son but. « De 140 km/h à l’hiver 2021, je suis arrivé à 165 km/h en février 2022. Là je me suis dit "trop bien, je ne suis plus qu’à 2 km/h du record de l’Autrichien !" »
Le risque zéro n’existe pas
Et question sensation, ça donne quoi ? « Quand il y a le phénomène d’accélération, dès que tu dépasses 150 km/h, c’est comme être dans un énorme aspirateur, tu sens le vélo qui accélère, le corps te dit que ça va trop vite, alors que tu es là pour aller encore plus vite. C’est un peu une lutte interne, il faut aller contre ses réflexes de survie. Mais bizarrement, contrairement à ce qu’on pourrait penser, à cette vitesse, j’ai vraiment l’impression que le temps s’arrête et que je peux penser à plein de paramètres, mon freinage, au vent, etc. » Et au risque de chute. Car à de telles vitesses, le danger et le risque sont comme une seconde peau sur la piste.
D’autant que Pierre Thévenard a encore en tête la violente chute d’Eric Barone, dont le vélo prototype s’est brisé en deux en bas du Cerro Negro. « Je regarde encore régulièrement la vidéo de sa chute comme pour ne pas oublier les risques qu’on prend à faire ça », explique-t-il. Au bout du fil, le miraculé raconte : « J’ai perdu quatre ans de mémoire, deux ans avant et deux ans après l’accident. Elle est revenue avec le temps, mais c’était un lourd combat. J’ai mis huit ans avant de remettre mes mains sur une potence, et encore c’était pour aller acheter un bout de pain. Il faut donc qu’il fasse très attention. Mais ce qui est rassurant avec le vélo de Pierre, c’est que le risque de casse n’existe pas. »
« Eric était sur un vélo fabriqué de toutes pièces qui avait été soudé, et ce sont les soudures qui ont cassé. Moi je suis sur un VTT de série fabriqué en usine spécialement pour la descente, pour encaisser énormément de chocs, il est quasiment incassable. Markus Stockl a fait ses 165 km/h avec un vélo de série et il n’a pas eu de souci. J’ai confiance en mon matériel. Franchement s’il y a chute, c’est une erreur de pilotage, mais ça ne sera clairement pas un souci mécanique. »
Notre rubrique hors-terrain
Rendez-vous donc de vendredi à dimanche, en fonction de la météo, tout en gardant à l’esprit que l’important, ce n’est pas (que) la vitesse de descente, c’est aussi d’arriver en un seul morceau. Le Haut-Savoyard acquiesce : « Quand on est père de famille, on se dit qu’il ne faut pas non plus jouer au con. Je me dis qu’une fois là-bas, même si j’ai embarqué pas mal de monde dans cette aventure, si je juge que le risque est trop important, je ne le prendrai pas ».