Snowboard : Le photographe Jérôme Tanon en plein rêve de « Free Rider » auprès de ses « héros »
Hors-Terrain•Le photographe et réalisateur de 36 ans, qui vient de sortir son troisième film « Free Rider », est vite devenu une référence dans l’univers du snowboardJérémy Laugier
L'essentiel
- Un jeudi sur deux, dans sa rubrique « Hors-terrain », 20 Minutes explore de nouveaux espaces d’expression du sport, inattendus, insolites, astucieux ou en plein essor.
- Cette semaine, nous nous consacrons au parcours de Jérôme Tanon, qui a un rôle majeur dans le monde du snowboard français depuis de longues années, en tant que photographe et réalisateur.
- Le natif de la région parisienne, accro aux photos argentiques, vient de sortir le film Free Rider, actuellement à l’affiche du festival Montagne en scène, et dans lequel on le voit accompagner en Alaska le skieur Sam Anthamatten et le snowboardeur Victor de Le Rue.
On peut avoir passé toute son enfance et son adolescence en région parisienne et dédier une grande partie de sa vie au snowboard. Non pas en tant qu’athlète de haut niveau, comme cette rubrique Hors-terrain en présente tant depuis près de deux ans, mais comme photographe et réalisateur référence de la discipline. Jérôme Tanon, puisque c’est de lui qu’il s’agit, vient de réaliser son troisième film, Free Rider, programmé dans l’incontournable festival Montagne en scène, un peu partout en France jusqu’au 24 janvier.
Une œuvre aussi spectaculaire que décalée, avec à l’affiche le skieur suisse Sam Anthamatten et le snowboardeur savoyard Victor de Le Rue, débarqués au fin fond de l’Alaska en avril dernier pour rider différents sommets jusque-là vierges de toute trace. Jérôme Tanon a constaté que deux écoles s’opposaient sur un tel projet, qui représente « quasiment un an de travail à temps plein, entre l’organisation de l’expédition et le montage du film ». « Le problème des riders, c’est que par définition, ils veulent juste rider, explique le réalisateur, qui réside désormais à Annecy. C’est "chanmé", les images sont toujours impressionnantes, mais il faut trouver une histoire avec du sens. Ce n’est plus comme il y a une dizaine d’années, lorsqu’il n’y avait aucune narration sur ces films de freeride, mais que des tricks et de la musique. »
« Ils ont ridé des trucs pas humains »
Un cocktail d’action insuffisant pour s’ouvrir au grand public, comme le permet un événement tel que Montagne en scène. A la fois narrateur, producteur, réalisateur et monteur sur Free Rider, Jérôme Tanon (36 ans) s’est le plus souvent rendu en Alaska sur un petit sommet en face des descentes des athlètes pour filmer, tout en s’appuyant aussi sur deux cameramen, Christoph Thoresen et Yannick Boissenot, spécialisés dans les images de drones. Mais il s’est aussi retrouvé sur son snowboard pour une descente qui apparaît à l’écran.
« J’ai ridé une petite face jouable, mais c’était déjà complètement fou. J’ai eu la sensation de tomber du ciel. Idéalement, il faudrait que je puisse passer partout avec les riders. Mais sur une telle expédition de freeride, il n’y a pas grand monde qui peut les suivre. Ils ont ridé des trucs pas humains. Je suis toujours le gars à la traîne qui galère, mais on a encore jamais eu besoin d’appeler un hélicoptère de secouristes pour moi. » »
Mais au fait, comment ce Parisien a-t-il pu avoir une telle trajectoire professionnelle, au point de se retrouver en Alaska, sur un projet d’envergure avec la marque The North Face comme principal sponsor ? « Ado, j’étais passionné de skate à Paris, et ça m’a mené au snowboard et donc à la montagne, se souvient-il. J’avais 18 ans et 3 jours quand j’ai eu mon permis de conduire, et ça a été la clé de ma liberté. Je participais à beaucoup d’événements de freestyle. J’avais un niveau correct mais mes potes Victor de Le Rue, Victor Daviet et Arthur Longo étaient ultra-forts. Je passais tous mes étés avec eux aux snowparks de Tignes et des 2 Alpes. »
Il se distingue en optant pour du 100 % argentique
Parti à peine majeur pour une année d’études de physique et de biologie à Lausanne (Suisse) puis à Grenoble, il savait très bien que ses envies étaient ailleurs. « J’allais rider un jour sur deux, j’arrivais en boots de snow en cours, c’était scandaleux, sourit-il. Cette licence de physique et biologie, c’était mon excuse pour que les parents me financent un peu. Et même si j’ai validé ma première année, mon plan était de devenir le plus vite possible photographe. »
Car pour Jérôme Tanon, la passion pour la photo rattrape celle pour le snowboard. Surtout à partir d’un déclic, lorsqu’il se tourne à 22 ans vers l’argentique. « Ça me soûlait d’avoir les mêmes photos de snowboard que tout le monde, explique-t-il. Le grain et la texture de l’argentique m’ont branché et je me suis mis à devenir le seul photographe de snow et de skate à shooter 100 % du temps en argentique. »
Des heures pour « trouver l’angle parfait »
Son œil et son goût pour l’argentique sont appréciés par les athlètes, comme Victor de Le Rue : « Il arrive toujours à faire LA photo, avec une super silhouette, pour mettre en valeur le rider. » Depuis près de 15 ans, Jérôme Tanon développe donc lui-même ses œuvres, en les étendant avec des pinces à linge dans sa salle de bains, à l’ancienne. Il explique à quel point le fait d’avoir délaissé le numérique a changé son rapport à la photo.
« Ça peut mettre un mois et demi avant que je ne découvre mes photos. Avec l’argentique, tu te concentres pour que chaque photo compte. C’est ce qui est kiffant : j’ai vraiment la sensation de prendre une photo, et pas d’activer un mode rafale. Pendant que le rider grimpe, je passe des heures à me déplacer de 30 cm pour trouver l’angle parfait, celui qui va garantir au rider de ne pas avoir un arbre derrière lui. J’ai une fraction de seconde pour agir, et comme je suis un snowboardeur de niveau correct, je sais quel angle prendre en fonction de la figure de l’athlète. » »
Autodidacte pour la photo, il l’est tout autant dans le cinéma, depuis la sortie en 2016 de The Eternal Beauty of Snowboarding, dans lequel il nous fait vivre tous les backstages de ses voyages avec une cinquantaine de riders, afin de montrer leur réalité. « C’est par choix que je n’ai fait ni école de photographe, ni école de cinéma, précise-t-il. Je voulais tout faire par moi-même, afin de ne pas être influencé. J’avais envie de films originaux, honnêtes, marrants et avec de la personnalité. » Sa première réalisation est « devenue instantanément un film culte », et compte à présent 1,6 million de vues sur YouTube.
« Il est capable de se foutre de notre gueule »
Suit en 2018 Zabardast (près de 5 millions de vues sur YouTube) avec le snowboardeur Thomas Delfino, où il se retrouve à tirer des luges sur 170 km au Pakistan. Son ami Victor de Le Rue (33 ans) s’en souvient : « Il se remettait tout juste d’une rupture des ligaments croisés d’un genou, donc j’ai pensé qu’il était malade de prendre part à cette boucle gigantesque. Il en a bavé mais on a vu qu’il s’est donné de ouf. »
Celui-ci, qui surnomme Jérôme Tanon « le caméléon », pour ses facilités d’adaptation à tous les milieux, est ravi du rendu de Free Rider : « J’aime l’authenticité de son travail : il est capable de se foutre de notre gueule tout en faisant preuve d’autodérision. Comme c’est un pote, ça ne pose pas le moindre souci de le voir tout le temps filmer l’intimité de notre expé. Avec exactement les mêmes images de ride à disposition, ce film serait bien différent sans sa patte, son humour ».
« Je vis mon rêve par procuration »
Ça nous donne ici 13 jours d’aventure, wilder than wild, où on voit la bande s’amuser à donner des noms aux sommets d’Alaska qu’ils inaugurent, comme The Big Lebowski pour commencer. Avec un quotidien dingue : lever à 3 heures du matin pour partir en chasse des belles lumières, puis « jusqu’à 5 heures d’ascension pour 2 minutes de descente » pour Sam Anthamatten et Victor de Le Rue.
Notre dossier Hors-Terrain
« Je vis mon rêve par procuration, savoure Jérôme Tanon. Je suis fan de tous ces riders, ils sont mes héros. Il y a dix ans, le Graal pour moi, c’était d’avoir mes photos dans un magazine de snowboard. Je ne pensais pas qu’un jour, mes films seraient vus par des millions de gens dans le monde entier. » Ni qu’il contribuerait, avec son ami snowboardeur Victor Daviet, à exfiltrer 14 membres de l’équipe nationale afghane de snowboard, menacés de mort par les talibans.