BASKETHeurtel et son choix de la Russie mettent le basket français mal à l’aise

« Il est centré sur son propre projet », Heurtel et son choix de la Russie mettent le basket français très mal à l’aise

BASKETLe meneur a choisi de se mettre au ban du basket tricolore en choisissant d’évoluer en Russie malgré la guerre en Ukraine, confirmant une personnalité clivante depuis le début de sa carrière
N.C et J.L

N.C et J.L

L'essentiel

  • Le meneur de l’équipe de France basket, brillant pendant l’Euro en septembre, a revendiqué son choix de signer en Russie sur les réseaux sociaux, invitant les critiques « à aller se faire foutre ».
  • Le joueur du Zénit Saint-Petersbourg avait pourtant signé l’attestation de la Fédération certifiant qu’il ne comptait pas s’engager pour un club russe afin de pouvoir continuer à évoluer avec les Bleus.
  • Un choix qui ne surprend pas plus que ça au regard de la personnalité clivante de Thomas Heurtel depuis le début de sa carrière.

Du Thomas Heurtel tout craché. Sans jugement aucun sur les choix et les mots de son ancien poulain – il tient à ce que ce soit écrit – Laurent Mopsus pose des mots éclairants sur la situation dans laquelle se trouve le meneur de jeu français, qui ne s’est pas fait que des amis en annonçant sa signature en Russie dans la foulée de l’Euro, puis en répondant de façon agressive aux critiques sur les réseaux sociaux. « En étant comme il est là, il fait du Thomas Heurtel. Je ne suis pas surpris », observe celui qui fut le coach de Pau-Orthez de 2004 à 2009, et qui a donc participé à l’éclosion du futur international lors de la saison 2007-2008.

De l’extérieur, on ne trouve pas grand-chose pour défendre Heurtel, qui avait signé avant le championnat d’Europe une attestation sur l’honneur certifiant qu’il n’était pas engagé et qu’il ne comptait pas l’être avec un club russe ou biélorusse pendant la durée du conflit avec l’Ukraine, selon le souhait de la Fédération française. Tout ça pour se carapater au Zenith Saint-Pétersbourg deux jours après la finale, et envoyer promener ceux qui ont trouvé le procédé légèrement cavalier. « Sachez que je n’en ai complètement rien à foutre, a écrit le basketteur de 33 ans mercredi. Et s’il vous plaît, surtout, achetez-vous une vie. »



De quoi ruiner la bonne impression laissée à l’Euro, où le meneur a terminé quatrième meilleur marqueur et meilleur passeur des Bleus, endossant même le costume de héros national lors du money-time contre l’Italie en quart de finale. De quoi, aussi, renforcer encore l’image du joueur certes brillant mais ingérable, contraint de quitter le Barça début 2021 après des semaines de tension avec la direction, et dont l’aventure au Real Madrid s’est terminée en eau de boudin la saison dernière. Mis à l’écart après une virée nocturne en avril, il avait regardé de loin ses partenaires remporter le championnat et accéder à la finale de l’Euroligue.

« Il est centré sur son projet »

« C’est quelqu’un qui est façonné avec une qualité qui l’a fait réussir : il n’a peur de rien. Il adore être sur le terrain, être clutch, il aime la prise de risque, explique Laurent Mopsus. Ça a ses avantages, mais aussi ses limites. » Celles qui apparaissent vite quand on se regarde trop le nombril dans un sport collectif. « Ce serait faux de dire qu’il ne pense pas au collectif, nuance l’ancien coach. Mais il le perçoit à travers les résultats, la performance, pas la notion d’équipe. Il est centré sur son projet. Quand il est en réussite, il peut conduire une équipe. Mais quand il ne l’est pas, ça peut être compliqué. »

On comprend que Thomas Heurtel est du genre à savoir ce qu’il veut, et à n’écouter que lui pour arriver à destination. Avec lui, c’est marche ou crève, en quelque sorte. Au-delà de ses départs parfois mouvementés, il semblerait qu’il ait laissé dans les vestiaires où il est passé quelques coéquipiers bien énervés, même si beaucoup chez les Bleus revendiquent un réel attachement pour cette personnalité entière, aussi, dans le bon sens du terme.

L’intéressé ne cherche pas à lisser son image. Avare de grands entretiens, il avait accepté d’être interrogé en longueur par L’Equipe sur sa carrière et son caractère, en 2020. Assumant son côté clivant. « J’étais déterminé. Et dur. Mais avec moi-même aussi. Et si les autres ne se donnaient pas à fond, cela portait préjudice à tout le monde : eux, l’équipe et mon projet, expliquait-il. La manière dont je m’exprimais n’était pas forcément la bonne, certains étaient énervés sur le moment, ne comprenaient pas, et puis quand ils recevaient deux trois caviars sous le panier, ils oubliaient. »

On en revient à ce fameux « projet », celui qu’il raconte avoir imaginé depuis ses 13 ans et pour lequel il s’est tant battu ensuite. Comme si rien d’autre n’avait d’importance.

« « Il ne faut pas croire, ça a été compliqué pour lui de construire sa carrière. Il a été se la chercher, pointe son ancien coach. Il était fluet, identifié comme un attaquant, sans forcément la capacité de défendre, il part très jeune en Espagne… Je pense qu’il y a parfois des sportifs incompris, et qu’il en fait partie. Pas par rapport à la situation actuelle, depuis toujours. Et du coup ça l’amène à faire des actes marquants. Le cadre, avec ce type de joueurs qui se sentent très forts, c’est eux qui le définissent. Et parfois quand on se sent trop fort on sort des limites. » »

Paradoxalement, on sent chez Heurtel, à travers diverses déclarations, un besoin d’être mieux entendu. Dans son interview à L’Equipe, il reconnaissait qu’il essayait de s’ouvrir un peu aussi pour que ceux qui auraient « une idée faussée ou négative » sur sa personne. « On peut croire à de l’arrogance, mais c’est mon caractère, je suis entier, et il y a une part de timidité. Je veux me protéger », se défendait-il. L’Héraultais se protège apparemment très bien. Il y a deux ans, son pote chez les Bleus Evan Fournier racontait que, quand il était arrivé en sélection, il en avait entendu sur Heurtel et sa réputation de « petit con ». Usurpée, selon lui. « C’est un énorme caractère. Mais on n’est jamais juste une tête brûlée. Il faut juste savoir gérer ce genre de personnalité, de talent », plaidait le joueur des Knicks.

Pas le seul à avoir fait ce choix

Heurtel n’a jamais cherché non plus à arrondir les angles. Cet aspect de la carrière d’un sportif de haut niveau ne l’a jamais captivé. « Il reste ce trait qu’il n’arrive peut-être pas à mesurer, gérer, anticiper. Je ne sais pas », reconnaît, pensif, Laurent Mopsus. Pour lui, son ancien joueur constitue un sujet d’étude « pas facile ». Mais qui ne mérite « en aucun cas la guillotine ». D’autant que le garçon n’est pas le seul sportif de haut niveau à avoir privilégié son contrat à une certaine forme d’éthique. Livio Jean-Charles et Louis Labeyrie, ex-internationaux, évoluent aussi dans la Superligue de Russie, comme Jenia Grebennikov dans le championnat de volley.

Le libéro de l’équipe de France expliquait récemment à 20 minutes être resté au Zénit Saint-Pétersbourg « car il était dépendant du marché », ajoutant même qu’il allait rapatrier sa femme et ses enfants pour des raisons de commodité hors-sols, vues de notre fenêtre :

« « Ils vont revenir avec moi, parce que la crèche, là-bas, c’est trop bien. Les infrastructures sont incroyables, il y a huit élèves pour trois profs. Je suis dans un building incroyable, il y a plein de sports, le centre-ville est magnifique. S’il n’y avait pas la guerre, ça serait le paradis. » »

La Fédération française de basket, qui n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations, se garde d’ailleurs de toute décision définitive à propos de Thomas Heurtel. Après avoir couvert son absence lors du retour médiatique des médaillés d’argent de l’Euro 2022 en septembre sur l’air de « ne vous inquiétez pas, c’est pour raison familiale » alors qu’il partait signer son contrat en Russie, la FFBB laisse la porte ouverte à un retour pour les JO 2024 si l’intéressé devait quitter la Russie à la fin de la saison. C’était du moins la tendance officieuse avant que le nouveau meneur du Zénit n’envoie tout le monde se faire paître sur Instagram.