Un boycott d’envergure du Mondial au Qatar est-il vraiment possible ?

Coupe du monde 2022 : Un boycott d’envergure de « cette mascarade » au Qatar est-il vraiment possible ?

FootballA deux mois de l’ouverture de la Coupe du monde à Doha, de nombreux passionnés de football en France assurent être prêts à ne pas regarder le moindre match de ce si controversé tournoi
Jérémy Laugier

Jérémy Laugier

L'essentiel

  • Le 20 novembre débutera la Coupe du monde de football au Qatar. Cet évènement n’est pour une fois pas attendu avec hâte par tous les amateurs de football en France.
  • Plus de 300 personnes ont répondu à l’appel à contributions effectué mardi par « 20 Minutes ». Elles se disent quasiment toutes prêtes à boycotter la compétition durant un mois, en ne regardant pas le moindre match à la télévision.
  • Même au sein du principal groupe de supporteurs de l’équipe de France, des membres indiquent ne pas vouloir s’intéresser à ce si controversé Mondial.

Fabien Bonnel donnera encore de la voix, ce jeudi (20h45) pour France-Autriche au cœur des Irrésistibles Français, mais il va ensuite commencer à se chercher « des compagnons de raclette et de fondue » pour occuper ses soirées garanties sans écran à partir du 20 novembre. On parle pourtant d’un des fondateurs (et capo) du principal groupe de supporteurs des Bleus (1.600 membres) depuis près de 20 ans. Après avoir suivi les aventures des tricolores en Allemagne (2006), au Brésil (2014) et en Russie (2018), celui-ci est l’un des symboles de ce #BoycottQatar2022 qui grimpe sensiblement en France ces dernières semaines.

« C’est évidemment trop tard pour faire changer quelque chose sur cette compétition, confie ce passionné de football de 38 ans. Mais mon action vise surtout la Fifa, afin que les enjeux sociétaux, environnementaux et humains soient bien pris en compte par la suite. Ma seule solution pour aller au bout de mes convictions, et avoir un petit rôle sur l’avenir du football, c’est d’éteindre ma télévision pendant toute la Coupe du monde, quel que soit le parcours des Bleus. »

Trois de ses collègues Irrésistibles sont même allés jusqu’à boycotter l’intégralité des matchs de qualification de ce Mondial au Qatar, depuis mars 2021. Pour autant, après avoir organisé une réunion de sensibilisation avec Amnesty International, le groupe de supporteurs a voté en assemblée générale contre un boycott collectif de l’association. Chacun de ses membres a donc été libre de planifier un séjour au Qatar pour la fin de l’automne. Si plus de 4.000 Français sont attendus à Doha dans deux mois, il n’y aura qu’une centaine d’Irrésistibles, contre 650 membres pour le Mondial russe quatre ans plus tôt.


Les Irrésistibles Français seront six fois moins nombreux au Qatar qu'à la précédente Coupe du monde en Russie.
Les Irrésistibles Français seront six fois moins nombreux au Qatar qu'à la précédente Coupe du monde en Russie.  - FRANCK FIFE / AFP

« Les enjeux humains et planétaires non négociables »

Alors que l’équipe de France dispute l’un de ses deux derniers matchs d’avant-Mondial, ce jeudi au Stade de France, à quel point cette musique qui monte d’un boycott d’envergure peut-elle toucher l’Hexagone ? 20 Minutes a reçu 338 témoignages en deux jours, après son appel à contributions sur cette question mardi. Un chiffre important pour ce genre d’appels. Parmi ces messages, 90 % de nos lecteurs, qui précisent presque tous être fans de foot, assurent ne pas vouloir jeter un œil à la moindre image de la compétition. Et ce pour « être au clair avec leur conscience face à cette mascarade ». « Depuis 2010, je suis effondrée que l’organisation du Mondial ait été confiée au Qatar, glisse Agnès (67 ans). Les enjeux humains et planétaires sont non négociables. »



Patrick (71 ans) n’en est pas à sa première compétition de sport majeure volontairement zappée : « Pour des raisons similaires, j’ai boycotté à la télévision les JO de Pékin et de Sotchi. J’en ferai donc de même pour le Qatar en espérant qu’une chute des audiences télévisuelles mettra les instances footballistiques face à leur responsabilité morale qui est écrasante. La folie, la démesure, l’argent et le non-respect de libertés fondamentales gangrènent ce sport qui n’est plus celui que j’ai aimé. Et c’est ma seule façon de le signifier ». Egalement critique face au système de climatisation à ciel ouvert dans la plupart de ces nouveaux stades, ce qui fait particulièrement tache en pleine actualité de réchauffement climatique, Léo (31 ans) interroge.

« Quelques heures de fun peuvent-elles justifier des milliers de morts et un bilan carbone terrible après l’été que l’on vient de passer ? Cette Coupe du monde est une aberration sociale, politique et écologique. La Fifa a maintenant du sang sur les mains, je n’en aurai pas sur les yeux. » »

« Des milliers de victimes » sur les chantiers des stades

Roland (46 ans) lance une piste pour se réconcilier avec pareille compétition : « Si tous ceux qui profitent de la manne financière générée par cet évènement dédommageaient toutes les victimes et ceux qui n’ont pas été payés pour leur travail, cela serait le commencement d’un début de dignité ». Il s’agit du combat mené depuis de longues années par Amnesty International. L’ONG demande à la Fifa « au minimum 440 millions de dollars pour les 2 millions de travailleurs migrants » sur ce Mondial au Qatar. La récente mobilisation de l’opinion publique pourrait aider à convaincre la Fifa d’agir, alors que ses bénéfices sont estimés à 6 milliards d’euros grâce à ce tournoi.

« Les fédérations allemande et néerlandaise ont par exemple publiquement soutenu notre démarche, contrairement à la FFF, explique Lola Schulmann, responsable plaidoyer auprès d’Amnesty International. On peut changer l’héritage de cette Coupe du monde en permettant aux travailleurs d’obtenir justice. » Plus de 6.500 d’entre eux seraient décédés sur les chantiers des stades du Mondial, selon un article du Guardian en février 2021, tandis qu’Amnesty International préfère évoquer « des milliers de victimes ».


Le stade de Lusail accueillera notamment le match d'ouverture et la finale de la prochaine Coupe du monde.
Le stade de Lusail accueillera notamment le match d'ouverture et la finale de la prochaine Coupe du monde.  - Xinhua News Agency / Chine Nouvelle / Sipa

Le risque d’un « gros manque à gagner » pour les bars ?

L’ONG, qui n’appelle pas au boycott, vient de publier deux sondages liés à ce Mondial. L’un montre que sur un panel de 1.018 adultes français interrogés, 48 % ne souhaitent pas voir le moindre match du tournoi. L’autre est encore plus significatif, puisqu’il révèle que 66 % des 17.477 personnes interrogées (dans 15 pays) voudraient que les entreprises partenaires et les sponsors du Mondial demandent publiquement à la Fifa d’indemniser les travailleurs migrants lésés pendant la préparation de cette compétition. Quatre sponsors majeurs, Adidas, Coca-Cola, McDonald’s et Budweiser ont parallèlement apporté leur soutien à des réparations pour les travailleurs. Le monde de la publicité pourrait-il envisager à son niveau, en France, un boycott de cet évènement ? Des médias s’attendent à une Coupe du monde « presque comme les autres » sur ce plan. « Les gens regarderont les matchs et les annonceurs seront obligés d’en être », assure-t-on dans un journal national, même si deux de ses partenaires ont coupé 100 % de leurs investissements médias sur la période.

Hormis quelques exceptions, les bars et restaurants habitués à diffuser les grands matchs de football ne comptent pas passer à côté de pareil rendez-vous. « Il n’y a eu aucun débat sur le sujet dans notre établissement, assure Laura, responsable de la brasserie Le République à Lyon. Je serais surprise que beaucoup de confrères aillent au bout de cette démarche de boycott tant ça représenterait un gros manque à gagner. » Un surprenant baromètre de la montée d’un boycott d’envergure se trouve sur la page Facebook Boycott Qatar 2022. Derrière cette création estivale, « pour sensibiliser des potes », se trouve Alain Baduel, avocat à Aix-en-Provence et grand passionné de football et de l’OM.


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Une « hype Colombo » à venir ?

Il a suffi d’un partage, le 12 septembre, d’une lettre d’Eric Cantona dont 20 Minutes ne peut toujours pas certifier l’authenticité, pour faire passer sa page de 250 abonnés à plus de 5.000 en trois jours. Il s’insurgerait donc contre ce Mondial : « Que la France gagne, perde, rien à carrer ! Dans la vie, il y a des choses bien plus importantes que le foot. A la place, je me referai tous les épisodes de Colombo, ça fait longtemps que je ne les ai pas vus ». Ce texte supposé de l’ancienne légende de Manchester United a donc contribué à la récente dimension de #BoycottQatar2022 sur les réseaux sociaux. Outre « Canto », les comédiens Vincent Lindon, puis Roschdy Zem mardi, ont tous les deux pris des positions bien différentes sur le sujet lors de l’émission C’est à vous. Une nouvelle preuve que la controverse de cette Coupe du monde au Qatar dépasse largement le cadre du football.


Notre dossier sur le Mondial 2022

« Ça démontre l’intérêt croissant des gens sur le sujet, relate Alain Baduel. Il y a une attente d’un discours différent que le simple "C’est trop tard". Les institutions ont été défaillantes sur le sujet depuis 12 ans, alors ça fait du bien de voir émerger un mouvement vraiment citoyen, apolitique et désintéressé. » Et ça vaut à l’avocat d’improbables demandes au quotidien, comme ce souhait d’un élu d’Aix-en-Provence de vraiment diffuser Colombo dans des bars de la ville. Et si Peter Falk supplantait Kylian Mbappé et Karim Benzema dans le cœur des Français d’ici deux mois ?

Pourquoi 20 minutes ira au Qatar

La rédaction de 20 Minutes enverra deux journalistes pour couvrir la Coupe du monde au Qatar. C'était déjà le cas aux JO d'hiver de Sotchi en 2014, à ceux de Pékin début 2022, mais aussi à la Coupe du monde en Russie en 2018, autant de destinations qui avaient elles aussi été fortement mises en cause, y compris dans nos articles, pour leurs coûts humain, écologique et social. A chaque fois, avant et pendant l'évènement, 20 Minutes a laissé une large place au traitement de ces enjeux "hors sport" par ses envoyés spéciaux et sa rédaction à Paris. C'est encore le cas pour ce Mondial au Qatar. Sans oublier, évidemment, de suivre au plus près le parcours des Bleus, dont on sait à quel point il peut rassembler les Français, comme lors du triomphe en Russie il y a quatre ans.