hors-terrain« Pas une priorité », la préparation mentale trouve sa place dans l’e-sport

E-sport : « Dernière roue du carrosse », la préparation mentale des joueurs trouve peu à peu sa place

hors-terrainDans l’e-sport, la préparation mentale n’a que rarement fait figure de priorité. Mais la professionnalisation du secteur et l’influence du sport traditionnel changent la donne
Louis Pillot

Louis Pillot

L'essentiel

  • Un jeudi sur deux, dans sa rubrique « hors-terrain », 20 Minutes explore de nouveaux espaces d’expression du sport, inattendus, insolites, astucieux ou en plein essor.
  • Cette semaine, nous nous consacrons à la problématique de la préparation mentale dans l’e-sport, un sujet qui a rarement fait figure de priorité pour les équipes.
  • La professionnalisation du secteur et l’arrivée de champions venus du sport traditionnel commencent pourtant à changer la donne, et les pratiques évoluent.

Deux championnats, deux titres : en 2022, l’équipe LDLC OL a largement dominé la Ligue Française de League of Legends (LFL). Ce succès, la structure le doit sans doute en grande partie aux performances de ses deux meneurs, le midlaner Jérémy « Eika » Valdenaire et l’AD carry Thomas « Exakick » Foucou. Elle le doit aussi, peut-être, à des méthodes novatrices : en 2022, LDLC OL a décidé de mettre l’accent sur la préparation mentale en formant ses coachs. Un exemple de plus de la prise de conscience progressive de l’e-sport sur le sujet.

Pourtant, la préparation mentale n’a que rarement été mise au premier plan dans le milieu. Florian Ménier est le cofondateur de l’entreprise Nove Perform, qui propose des modules de formation à la préparation mentale dans le sport et dans l’e-sport, et collabore avec LDLC OL. Il détaille : « Dans l’e-sport, l’intérêt pour la préparation mentale existe. Le souci est que parfois, ce n’est absolument pas la priorité. Certaines structures n’ont même pas de préparateur physique. Dans la construction d’une équipe, on se tourne d’abord vers les joueurs, puis le staff. Et, lorsque la structure rencontre des obstacles, on fait appel à des préparateurs physiques. Souvent, la dernière roue du carrosse, c’est le mental ».

« D’autres bases à mettre »

Les équipes s’emparent malgré tout peu à peu du sujet. D’abord car l’e-sport se professionnalise : les équipes sont de plus en plus entourées, par des staffs plus conséquents ou des intervenants extérieurs, concentrés sur la préparation physique, et donc mentale. Aussi car certaines structures choisissent de s’appuyer sur le sport traditionnel. L’équipe française Vitality s’est ainsi fait une spécialité d’enrôler des anciens champions. En 2021, l’ex-handballeur Bruno Martini a occupé pendant quasiment un an la fonction de « directeur e-sport ». Le champion du monde de canoë-kayak Matthieu Péché a quant à lui rejoint Vitality en 2019 pour devenir manager de l’équipe Counter-Strike.



Ce dernier témoigne d’une « confrontation de deux mondes », à son arrivée au sein de l’équipe : « Historiquement, les managers étaient un peu les copains des joueurs. J’étais là pour les bousculer, changer leur vision du métier. Une de mes premières missions a été de ramener de la rigueur, de mettre un cadre, horaire et physique. On a eu deux ou trois confrontations car j’ai une méthode bien à moi, mais c’était voulu. Le but du jeu, c’est de leur donner des outils extra-sportifs ». Sur la préparation mentale, Matthieu Péché a vite constaté des manques : « Quand je suis arrivé, il y avait d’autres bases à mettre ».

Un milieu à appréhender

Le manager de Vitality, comme d’autres avant lui, a dû s’adapter aux spécificités de l’e-sport. Le milieu, plutôt jeune et souvent précaire, pose des défis parfois différents de ceux du sport traditionnel. « Dans le monde de l’e-sport, ça va tellement vite : certains, quand ils ont commencé, gagnaient des claviers, dormaient sous leur bureau… Maintenant, on joue parfois dans des salles avec 10.000 spectateurs. Cela touche l’ego. D’où l’intérêt d’avoir quelqu’un qui sait parler avec les joueurs. » Matthieu Péché insiste aussi sur le nombre important de compétitions, qui permettent aux joueurs de vite se relever après des difficultés. Ou qui au contraire les font entrer mentalement dans des « cercles vicieux ».

Florian Ménier, lui, souligne les changements permanents du métier : « Dans l’e-sport, il y a une forte saisonnalité, un gros turnover de joueurs. Parfois, faire une saison, c’est déjà très bien, car il n’y a pas de contrat sur plusieurs années. Sur la préparation mentale, on a donc besoin d’être sur une réponse immédiate. Pas sur un tâtonnement expérimental qui dure six mois, et qui fait rater la saison car on n’a pas réussi à gérer certains problèmes de blocages des joueurs ».

« Mon rôle, c’est parfois Pascal le grand frère »

Pour progresser dans le domaine de la préparation mentale, les méthodes diffèrent. Celle de Vitality et de Matthieu Péché reste classique : la structure met à disposition des intervenants extérieurs pouvant être sollicités à n’importe quel moment par les joueurs. Le reste du temps, le staff de l’équipe Counter-Strike, composé de trois personnes, fait le lien. « La préparation mentale, c’est aussi le quotidien, explique Matthieu Péché. Mon rôle, c’est parfois Pascal le grand frère : des fois tu dois être dur, d’autres fois porter une oreille attentive. La majorité de mon job concerne tous les trucs de la vie quotidienne, et la gestion de petits imprévus. » Comme une histoire de cœur, ou des messages de haine reçus sur les réseaux sociaux, détaille-t-il.

Difficile pour autant de se dire préparateur mental, pour ces coachs encore peu formés à la chose. Si Matthieu Péché a l’avantage de l’expérience - les médailles d’or mondiales faisant foi –, beaucoup d’entraîneurs dans l’e-sport se reposent « sur leurs connaissances personnelles », forcément plus limitées. D’où l’idée de Florian Ménier de former les entraîneurs : « Avec nous, il n’y a pas une tierce personne qui rentre. C’est l’équipe mise en place qui monte en compétence. Cela permet, si on recrute un joueur, que le coach sache directement comment l’aider, sans nous ».

Ballon, raquette et manette

Nove Perform propose ainsi des formations, et établit des compte-rendus spécifiques aux joueurs et aux jeux pratiqués, pour aider les entraîneurs à trouver les points où progresser plus rapidement. Les questionnaires, donnés aux joueurs, varient en fonction des jeux. « Les joueurs de League of Legends ne vont pas utiliser les mêmes outils que les joueurs FIFA ou Hearthstone. Nous, on a notre grille d’analyse derrière, on sait ce qu’on veut chercher. Sur LoL, on peut rencontrer une situation de bataille à un contre trois. Ce n’est pas quelque chose qu’on va rencontrer dans un autre jeu. C’est la même différence qu’entre le rugby et la gymnastique. »


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Cette expérience a fait réaliser une chose au formateur : dans la préparation mentale, le sport et l’e-sport ne sont finalement pas très éloignés. « Il y a des sollicitations différentes entre l’e-sport et le sport, et même entre les jeux. Par contre, que le joueur ait un ballon, une raquette ou une manette dans les mains, on reste sur des mécanismes humains. C’est-à-dire la gestion du stress, la respiration, etc. Ce sont des mécanismes physiologiques complètement normaux. » Matthieu Péché abonde, et se permet une métaphore valable pour les deux milieux : « Une équipe, c’est comme une fusée. Nous, le staff, on est les lanceurs, et on se détache après le décollage. Les joueurs, eux, arrivent en orbite et n’ont plus qu’à cliquer ». La tête dans les étoiles, mais surtout sur les épaules.

Matthieu Péché et Vitality « très excités » par le Major de Counter-Strike en France

Le dimanche 11 septembre, Emmanuel Macron a annoncé la grande nouvelle : la France organisera en mai 2023 un Major de Counter-Strike, l’un des plus grands évènements mondiaux liés à l’e-sport. Vitality, menée par le double meilleur joueur du monde Mathieu « ZywOo » Herbaut, fera partie des prétendants au titre.

Interrogé par nos soins, Matthieu Péché s’est dit « excité » : « On avait entendu des bruits de couloir, mais c’est un peu une surprise. On est vachement excités. Pour nous, c’est un peu les JO de Paris 2024 avant l’heure. Beaucoup de gens s’y voient déjà, mais pour le vivre de l’intérieur, je peux vous assurer qu’il y a beaucoup d’étapes pour arriver en Major, et rejoindre les play-offs. L’équipe s’entraîne actuellement pour préparer le prochain Major de Rio (du 31 octobre au 13 novembre). Les deux prochains Majors, ce sera donc pour moi un retour à Rio, où j’ai obtenu ma médaille olympique en 2016, puis un avant-Paris 2024. La vie fait des clins d’œil, parfois ».