Jason Lamy Chappuis: «Etre médiatisé comme un footballeur, ça ne me plairait pas»
COMBIEN NORDIQUE•Le champion olympique de Vancouver s'apprête à vivre quelques années paisibles avant les prochains Jeux...Propos recueillis par Romain Scotto
La pression retombe lentement. Le village olympique, la médaille d’or, les médias et les célébrations, tout cela est désormais derrière lui. Jason Lamy Chappuis, en excursion express à Paris pour un raid médiatique, se contente maintenant de profiter de cette exposition soudaine. Vainqueur la semaine dernière du globe de la Coupe du monde, le champion olympique de combiné nordique est bien conscient que l'agitation de ces dernières semaines devrait vite s'estomper. D'autant qu'il aspire aussi à retrouver un pe de tranquillité.
Un peu plus d’une semaine après la fin des Jeux, vous venez de remporter le globe de la spécialité. Cela vous a sorti du blues post JO?
Ça m’a fait du bien de repartir en Coupe du monde parce que c’était plutôt calme. Le blues, je l’ai ressenti juste après ma médaille. On avait deux trois jours tranquilles. Je me suis levé le lendemain matin (du titre) et je me suis dit: et maintenant, qu’est ce qu’il se passe? Ça y est. Ça fait quatre ans qu’on a un objectif, qu’on s’entraîne pour ça. Et maintenant qu’il est réalisé, faut se remettre dans le bain…
Après une saison si réussie, qu’avez-vous prévu pour repartir avec de nouveaux objectifs?
Pour repartir frais, avec de l’envie, il faudra que je prenne de bonnes vacances au printemps. Je vais repartir aux Etats-Unis, voir la famille. On va louer un camping car et faire tout l’Ouest, San Francisco, Las Vegas, le Grand Canyon et tout ça. Là-bas, je ne ferai rien du tout. J’emmènerai juste des baskets pour courir de temps en temps. Mentalement, je sens que j’ai besoin de couper. Je l’ai déjà vécu les années précédentes. J’ai besoin d’un mois où je ne pense pas au ski. Et au bout d’un moment, ça commence à me manquer. Là, je sais que c’est le bon moment pour repartir à l’entraînement.
Avec le recul, ce sacre olympique, vous l’accueillez avec le sentiment du devoir accompli ou est-ce une satisfaction qui dépasse vos attentes?
C’est surtout un rêve de gosse qui se réalise. J’étais tout petit, je voyais ces médaillés olympiques. Ça reste gravé dans la mémoire. Avoir cette médaille, c’est un soulagement par rapport à la pression médiatique. Mais en même temps, c’est plus une consécration de ces quatre années. Je ne me suis pas dit ouf je l’aie. J’ai plutôt l’impression que le travail a payé.
Êtes-vous d’accord pour dire que vous étiez programmé pour gagner?
On me le dit souvent et je le ressens. Je me fixe des objectifs petits à petits et je les réussis. J’avais en tête de ne m’entraîner que pour les Jeux. Je ne sais pas si c’est de la chance ou autre chose, mais j’arrive bien à faire le bilan, prendre du recul pour repartir sur les objectifs que je me fixe.
N’est ce pas là que la plupart des leaders français ont pêché aux JO?
Je ne sais pas. Il y a la préparation mentale qui peut jouer aussi. On a tous une personnalité différente et on gère le stress différemment. Moi je n’ai jamais succombé au stress. Je pense qu’il en faut. Moi ça me booste. Le matin, j’ai la boule au ventre mais je suis tout excité, prêt à me battre.
Ça, c’est votre côté américain qui ressort…
Oui, c’est possible, j’ai été élevé avec cette double culture. J’aime bien. Ça me permet d’être équilibré, d’avoir ce fighting spirit. C’est comme ça que mes parents m’ont élevé. «Do The best you can» (fais du mieux que tu peux). Si ça vient tant mieux, sinon, travaille encore plus dur.
Les semaines passées ont été intenses. Comment accueillez-vous cette soudaine exposition?
Il faut en profiter, tant qu’on s’intéresse à nous. Après on va reparler de foot et tout ça… Les sollicitations médiatiques, je m’en lasserai peut-être au bout d’un moment mais pas pour l’instant. C’est tout nouveau pour moi, ça fait plaisir. Depuis 1992 on n’avait pas beaucoup parlé de combiné nordique. Depuis mon retour en France, je suis retourné dans les écoles primaires. Les enfants étaient marqués. On t’a vu à la télé, waouh… Si je peux leur donner envie de faire mon sport, c’est cool. Beaucoup de gens me disent qu’ils ont été marqués par mon titre. J’ai reçu des messages venant de partout. Même de Bretagne. Des gens qui ne connaissent pas la neige ont suivi le combiné nordique.
Justement, comment comptez-vous entretenir cette vague pendant les quatre années à venir?
Je ne crains pas le vide médiatique. Je ne fais pas mon sport pour attirer les médias. C’est avant tout pour se faire plaisir. Après, si les résultats vont bien, on aime bien qu’on parle de nous. Quand on arrive à un haut niveau, on parle de nous, on en vit et c’est l’essentiel. On n’a pas à se plaindre par rapport à d’autres sports non olympiques, qui galèrent vraiment. Maintenant, être médiatisé comme le foot, ça ne me plairait pas non plus. Nous, on est bien comme on est, même si entre les olympiades, ça fait un peu vide.
En dehors de votre sport, que comptez vous faire jusqu’aux Jeux de Sotchi?
Mon autre projet, c’est l’aviation. J’ai toujours rêvé d’être pilote de ligne. J’ai déjà mon brevet de pilote privé. Je fais des heures à Annemasse avec l’instructeur. J’ai une centaine d’heures, il m’en faut 200 pour être professionnel. J’en ferai pendant mon temps libre. Mes primes de compétition passent dans la formation. Vu qu’il me reste au moins quatre ans devant moi en tant que sportif. Après on verra, si j’ai toujours l’envie ou si je suis lassé.
Les 50.000 euros de la médaille d’or passeront donc dans vos heures de vol?
Je pense. Dans la rénovation de mon appart aussi. Pour nous une victoire en Coupe du monde, c’est 2.700 euros. Vu qu’on est considéré comme des travailleurs indépendants, il nous reste, 1.800 euros là-dessus. Le biathlon, c’est presque 10.000. Le saut, c’est 15.000. Nous, on est un peu les pauvres de la FIS.
Dans les années à venir peut-on vous voir vous consacrer uniquement au saut?
Peut-être mais pas pour l’instant. J’aime bien l’équilibre qu’il y a dans le combiné. Il y a toujours quelque chose après le saut. Mentalement, c’est dur le saut. Tu fais un voyage de 8-10 heures, si tu n’es pas dans les 50 meilleurs après le saut de qualif, tu rentres à la maison. Ton périple peut durer 20 secondes. Et faire que du fond, non, c’est trop dur.