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Javier Tebas et Juan Branco vs le PSG, itinéraire d’une plainte improbable

PSG : Javier Tebas et Juan Branco contre Paris, itinéraire d’une plainte improbable

FOOTBALLJavier Tebas, le président de la Ligue espagnole, et l’avocat Juan Branco se sont lancés dans une course juridique contre le PSG après la signature du nouveau contrat de Kylian Mbappé à Paris. Une affaire de concurrence déloyale mais aussi d’egos
William Pereira et Aymeric Le Gall

William Pereira et Aymeric Le Gall

L'essentiel

  • Javier Tebas estime que la LFP n’aurait jamais dû homologuer le nouveau contrat liant Kylian Mbappé et le PSG.
  • L’avocat Juan Branco demande également l’abrogation des homologations de contrat de Lionel Messi et des autres recrues de l’été 2021. En cas d’échec, il attaquera le PSG au niveau européen.
  • Du côté des dirigeants parisiens, Nasser Al-Khelaïfi regarde tout ça d’un air mi-amusé, mi-agacé.
  • Pour des avocats, la plainte est spectaculaire mais il y a un doute sur une partie des outils juridiques employés et sur la procédure dans son ensemble.

Dans un monde où l’ennemi de mon ennemi est mon ami, on peut bien fermer les yeux sur une ou deux divergences idéologiques, voire concéder un grand écart. C’est ainsi que Javier Tebas, patron de la Ligue espagnole et proche de l’extrême droite ibère s’est associé à Juan Branco, avocat du bord opposé, donnant lieu au featuring le plus improbable de l’été. Les deux sont mus par des intérêts différents qui passent par un seul adversaire : le PSG. Paris serait « la faille », pour reprendre les mots de Me Branco, la porte entre un monde du football sans foi ni loi et un autre régulé, ce vers quoi dit vouloir tendre l’avocat.

Javier Tebas a des ambitions un peu moins nobles, mais celles-ci ont le mérite d’être plus lisibles. Il s’agit d’emmerder purement et simplement le Paris Saint-Germain et par extension les nouveaux riches, qui empiètent sur le terrain des mastodontes espagnols depuis maintenant une bonne dizaine d’années.

Objectif abrogation

C’est donc sous l’égide de Juan Branco, dont l’enseignant en philo à Sciences po, Thibaud Leplat, rappelait que l’on pouvait difficilement prendre au sérieux un avocat qui met son nom en plus grand caractère que celui de son client, que le boss de la Liga a déposé plainte contre le PSG auprès de l’UEFA. Le motif ? Le non-respect des règles du fair-play financier à la suite de la prolongation de Kylian Mbappé dans la capitale. « Porque » Tebas estime que la LFP n’aurait jamais dû homologuer le contrat de sa star.

Ainsi, la première demande de la Liga concernera « l’abrogation des décisions d’homologation prises par la LFP relatives à tout contrat signé par le PSG postérieur au 25 juin 2021 [date de la dernière présentation des comptes devant la DNCG] ». Il n’échappera aux plus perspicaces qu’outre le contrat de Mbappé, sont visés ceux signés par Lionel Messi et les autres recrues de l’été dernier, précise Me Branco.

Si les démarches précédentes n’aboutissent pas, il assure vouloir agir devant le tribunal administratif de Paris. En cas d’échec sur le terrain national, l’avocat interviendra au niveau européen afin de « solliciter la Commission européenne pour lui demander d’intervenir pour harmoniser les règlements », voire enclencher « une procédure formelle ensuite pour abus de position dominante » et enfin, au bout du processus, attaquer devant la Cour de justice européenne. Tout un programme.

Al-Khelaïfi agacé

Nasser Al-Khelaïfi regarde tout ça d’un air mi-amusé, mi-agacé. « Qui est Tebas ? Je ne connais pas cette personne », ironisait dans un premier temps le président parisien dans une interview à Marca, avant de froncer les sourcils. « On ne se mêle pas des affaires des autres clubs, des autres ligues ou fédérations, ce n’est pas notre style. Mais je n’accepterai pas que d’autres nous donnent des leçons. […] Chaque année, chaque été, c’est la même chose. Un coup, c’est le fair-play financier, puis soi-disant on ne respecte pas les autres mais je suis clair : nous savons ce que nous pouvons faire, qui nous pouvons signer, nous savons mieux que lui ce que nous pouvons faire et personne n’a à nous dire ce que nous devons faire. »

Dans un autre entretien au quotidien Le Parisien, NAK jurait que si tout n’était qu’une question d’argent, Kylian Mbappé serait parti au Real Madrid, invoquant les 170 millions d’euros mis sur la table l’été dernier par les Merengue pour acheter le champion du monde. « Cet argent, ils étaient prêts à le réinvestir cette année alors qu’il était libre ! »

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En plus des sommes investies, il y a dans le combat de Tebas l’opposition entre un capital légitime, celui des clubs « traditionnels », et un autre inique, l’argent étatique illimité du PSG, qui se voit entre autre reproché ses accords de sponsoring avec des sociétés en lien direct avec le Qatar.

Banques vs Etats

S’il y a bien dans ces pratiques des choses que ne peut pas se permettre le football espagnol, la réciproque est vraie. Exemple avec le Barça : l’année dernière, le club a souscrit un prêt de 595 millions d’euros auprès de Goldman Sachs, incluant une renégociation de la dette du club à hauteur de 140 millions d’euros et un taux d’intérêt de 1,98 % sur dix ans. S’il le souhaitait, le PSG ne pourrait en faire de même. « L’organisme gouvernemental Tracfin, qui lutte contre le blanchiment, exige que l’argent de tel ou tel investisseur potentiel transite par une banque française, expliquait l’économiste Pierre Rondeau pour RMC Sport en 2019. Or, ces dernières rechignent depuis 2014 à accorder des crédits à des clubs de football. »

Le contexte posé, que retenir de cette plainte ? D’abord, son caractère spectaculaire. Juan Branco monte sur ses grands chevaux en s’en remettant au ministère des Sports dans sa quête d’abrogation du contrat de Mbappé. « Ce détail m’a fait tilter, nous confie l’avocat en droit du sport Gautier Kertudo. Ça n’existe pas en droit, la Liga ne peut pas faire une telle demande, c’est tout simplement impossible. Le raisonnement de la Liga c’est de dire qu’il s’agit d’un acte administratif – sur la base d’une jurisprudence assez récente qui dit que l’homologation d’un contrat est un acte administratif – et que si l’on conteste un acte administratif, c’est le ministre qui est compétent. Du moins dans son esprit et dans le raccourci qu’il fait. »

L’avocat poursuit. « En réalité, la contestation d’une homologation, c’est de la matière assez classique en droit du sport : elle passe certes par les tribunaux administratifs, mais elle respecte le schéma classique de première instance, appel, Conseil d’État, et absolument pas le bureau du ministre qui aurait une quelconque capacité juridique de pouvoir abroger un contrat qui aurait été homologué. »

Mission impossible

Si tout le monde s’accorde à dire que le combat de Me Branco est louable, il y a un doute sur une partie des outils juridiques employés et sur la procédure dans son ensemble, donnant l’impression d’un vaste mélange incohérent. Gautier Kertudo décrypte : « L’homologation d’un contrat est encadrée par le Code du sport, sa contestation aussi, donc ce n’est pas aussi simple qu’il semble le croire, ou du moins qu’il l’annonce. Il parle de révolutionner le système, de point d’entrée. Et là, il aurait trouvé son fameux point d’entrée avec l’homologation du contrat de Mbappé. Mais ça ne veut presque rien dire. La procédure en concurrence déloyale, il peut très bien la faire sans avoir de point d’entrée comme celui de l’homologation. Il peut attaquer directement l’investissement du PSG en concurrence déloyale avec une procédure particulière. Ce serait atypique et assez farfelu, mais pourquoi pas. »

« Il y a une cohérence tout de même dans ce que dit Branco sur le PSG, qui est capable de prolonger Mbappé, et donc de fait, de lui verser une prime à la signature, tout en augmentant sa masse salariale, nous dit Pierre Rondeau. Alors que selon les rapports de la DNCG, le PSG affiche un déficit net de plus de 220 millions d’euros sur la saison 2020-2021. Il y a un paradoxe entre le respect du fair-play financier [FPF], qui veut qu’on ne puisse pas dépenser plus que ce qu’on gagne, et les signatures de Messi et Mbappé qui interviennent alors que le club affiche un déficit à la DNCG. Son incompréhension est compréhensible. »

A part à nous faire des nœuds dans le cerveau, la démarche a peu de chances d’aboutir. Ce n’est pas la première fois que les « nouveaux riches » sont attaqués. Le TAS a donné raison à Manchester City quand l’UEFA voulait sanctionner le club, idem pour le PSG. Les sanctions ont toujours été légères, avec des règlements en interne. Sans compter la nouvelle position dominante de NAK à l’ECA (association européenne des clubs), fruit de sa lutte contre la Superligue, et la nouvelle mouture du FPF taillée sur mesure pour le PSG avec une autorisation à ce que la masse salariale dépasse les 90 % du budget.

Bref, on ne voit pas pourquoi cette fois, ça pourrait marcher. Ce combat n’est peut-être rien d’autre qu’une vaste pièce de théâtre où deux hommes un peu mégalos se partagent le beau rôle pour servir leur image. Celui d’un patron à qui on ne pourra pas reprocher de n’avoir pas défendu son football, et celui d’un avocat tourné vers les belles causes. Pas si opposés que ça, finalement, Javier et Juan.