INTERVIEW« Des mers où tu n'as pas d'échappatoire », Ruyant raconte les mers du Nord

Vendée Arctique : « Des mers où tu n’as pas d’échappatoire », Thomas Ruyant raconte le Nord hostile

INTERVIEWThomas Ruyant (LinkedOut) revient pour « 20 Minutes » sur l'édition un peu particulière de la Vendée Acrtique, qui s'est terminée prématurément en raison de mauvaises conditions météo, dans une zone du Globe aussi hostile qu'imprévisible
William Pereira

Propos recueillis par William Pereira

L'essentiel

  • La Vendée Artcique a été raccourcie en raison de conditions météo extrêmes.
  • Thomas Ruyant (LikedOut) a terminé 3e de la course, qu'il aurait aimé voir aller à son terme.
  • Le skippeur nordiste évoque la particularité de la navigation dans cette zone du globe froide et hostile.

L’expédition autour de l’Islande aura tourné court. La Vendée Arctique devait offrir à la flotte d’Imocas une joute marine d’une douzaine de jours autour de l’Islande, mais les skippeurs n’ont finalement passé que cinq jours en mer. Les conditions trop défavorables ont poussé les organisateurs à raccourcir le parcours en mettant en place une porte virtuelle pour faire redescendre la flotte vers le sud de l’île. Une décision que regrette Thomas Ruyant (LinedOut), 3e de la course remportée par Charlie Dalin. Le récent vainqueur de la Jacques Vabre explique à 20 Minutes la difficulté de la navigation dans cette zone hostile du globe.

Comment avez-vous vécu cette interruption de course ?

C’est inédit. Je suis un peu frustré et déçu que ça s’arrête si vite. Est-ce que les bons choix ont été faits ? C’est une question. J’étais parti pour une course engagée de 10-12 jours, finalement ça s’est écourté. Mais les cinq jours en mer ont été plutôt intenses, c’était une belle régate. Je ne suis pas satisfait de ma 3e place, on a toujours envie de faire mieux. Mais bon, il y a eu cette escale dans un fjord islandais complètement surréaliste…

Ça paraissait tout de même risqué de continuer la course.

Ce qu’il s’est passé, c’est que d’un côté nous les premiers, on avait tout à fait les conditions pour faire le tour de l'Islande​ et faire l’ensemble du parcours. Sauf que de l’autre, la flotte était très étirée avec des bateaux de dernière génération, d’autres de générations plus anciennes, ce qui posait problème. Est-ce que la bonne solution n’aurait pas été de laisser le choix à ceux qui voulaient passer, de passer, et pour les autres, de faire demi-tour ou de s’abriter le long de l’Islande, et reprendre leur chemin après ? J’aurais préféré ce type de solution. Maintenant, c’est le choix de la direction de course. Vingt-cinq bateaux avec des expériences différentes dans des mers qu’on ne connaît pas bien, avec des prévisions météo pas forcément hyper précises, ce n’est pas facile à gérer.

On connaît les mers du Sud sur le Vendée Globe, mais qu’est-ce qui fait la particularité de ces mers du Nord ?

Ce sont des mers dans lesquelles on ne va jamais régater. Des mers où tu n’as pas d’échappatoire. Sur un Vendée Globe, tu vois les choses venir, tu les anticipes, tu te places, tu fais ta stratégie en fonction de ce que tu peux faire et de ce qu’est capable d’encaisser ton bateau. Tu peux avoir des dépressions fortes, mais il faut pouvoir les anticiper. Le problème de monter dans le Nord, c’est que tu fais une route Sud-Nord ou Nord-Sud, et ce sont des routes balayées par des systèmes météo sur lesquels tu n’as pas « d’escape ».

Il y a aussi la question des prévisions. Il y a moins d’enjeux concernant le fret maritime, la formation de cyclones, etc., dans cette zone du globe. Celle-ci intéresse moins les organismes qui font de la prévision météo. En Europe, quand on t’annonce 35 nœuds, t’as 35 nœuds, c’est clair et net. Là, dans ces coins du globe, il y a moins d’observations, donc les algorithmes qui font les estimations de vent sous-estiment ce qu’il se passe. Résultat, on peut vite être surpris par des conditions météo qui peuvent se dégrader assez vite.

Cette course, elle n’est pas remise en cause par cette interruption ?

C’était un parcours atypique, ça n’a rien à voir avec ce qu’on fait d’habitude. Ce qui s’est passé est propre à cette course-là, ça ne sera pas une généralité sur la course au large. Ça ne pourrait absolument pas arriver sur un Vendée Globe ou sur une Transat. Il y a des chances qu’il y ait une prochaine édition. Il faut qu’il y ait un parcours plus bas, un peu mieux défini, ce qui n’a pas forcément été le cas ici. Il y aura des leçons à tirer de cette situation-là.

Est-ce que les conditions rencontrées sont la résultante d’un dérèglement climatique ?

Non, non. Les conditions de dépressions un peu violentes sont classiques. On savait au départ de cette course que ça pouvait être engagé. Après, c’est sûr qu’il y a eu des conditions sévères, une partie de la flotte a eu plus de 60 nœuds, avec une grosse mer, et c’était encore parti pour se dégrader ensuite…

Le parcours était le même que lors de la première édition ?

Non, justement on était plus au sud par rapport à l’Islande, avec un point à contourner. Donc, c’était moins engagé que quand on doit couper l’Islande et passer par le cercle polaire. On est proche des icebergs, pas loin du Groenland. Le parcours n’était pas anodin. On va plus au nord que ce qu’on va au sud sur le Vendée. Il fait plus froid, l’eau est plus froide. On avait une zone de glaces au nord de l’Islande à respecter, mais les icebergs ne vont pas jusque-là. T’as un courant qui emporte les glaces dans le Sud jusqu’au Groenland, donc elles ne dérivent pas jusqu’en Islande. Mais il fallait quand même mettre une limite nord, parce que si t’es amené à tirer des bords, tu peux pousser un bord si l’option Est, vers le Groenland et là, pour le coup, tu peux trouver de la glace sur ton parcours.

Comment la machine encaisse le froid ? Ce sont des données que vous avez observées ?

La machine s’en fiche qu’il fasse froid ou chaud, le marin un peu moins (rires). J’avais une bonne doudoune à bord, après tu t’équipes… On a ce qu’il faut aujourd’hui pour le froid. Ce qui est sûr, c’est que l’air est plus dense. Trente nœuds en Bretagne, ce n’est pas le même poids que 30 nœuds en Islande. C’est très vite des ressentis à 15 % de plus en termes de sensation et de poids du vent. Donc ce froid à un impact. Mais ce n’est pas du tout un truc qui me gêne, j’aimais bien. C’est sûr que ce ne sont pas les alizés ou t’es en short, mais tu t’adaptes (rires). Tu manges chaud alors qu’en France c’était la canicule.