INTERVIEW« Ma fierté, avoir réussi cette double vie », sourit le handballeur Guigou

Hand : « Ma grande fierté, avoir réussi cette double vie professionnelle et familiale », sourit Michaël Guigou

INTERVIEWUn monument du sport français a tiré sa révérence le 5 juin. A 40 ans, dont 23 d’une carrière exceptionnelle, le handballeur Michaël Guigou a pris sa retraite
Jérôme Diesnis

Propos recueillis par Jérôme Diesnis

L'essentiel

  • Michaël Guigou a tout gagné dans sa carrière. Et à plusieurs reprises. « Comptablement, j’ai réussi à me forger un palmarès très important. Que ce soit en club et en équipe nationale. Mais est-ce que c’est ce qui me résume complètement ? », s’interroge-t-il.
  • « Le rapport au public est très important. Et c’est pour ça que j’ai voulu faire un an de plus. Je ne voulais pas m’arrêter sur le Covid-19 et ces salles vides », explique-t-il.
  • Joueur à part, le multiple champion olympique n’a jamais sacrifié l’essentiel, son équilibre familial, pour les titres. Une nouvelle vie l’attend. Toujours proche des terrains.

Un monument du sport français a tiré sa révérence le 5 juin. A 40 ans, dont 23 d’une carrière exceptionnelle, le handballeur Michaël Guigou a pris sa retraite sur un dernier match avec Nîmes contre Cesson-Rennes.

L’ailier gauche, capable de jouer également demi-centre, a tout gagné dans sa carrière. Trois médailles d’or (et une d’argent) aux Jeux olympiques, quatre titres de champions de monde (et deux médailles de bronze), trois de champion d’Europe (et une médaille de bronze) avec l’équipe de France. Deux Ligues des champions, 10 titres de champions de France, 11 coupes de France, 10 Coupes de la ligue et 3 Trophées des champions avec Montpellier, où il fut élu meilleur ailier gauche du championnat à 11 reprises.

Mais Michaël Guigou, ce n’est pas qu’un palmarès. C’est aussi un joueur doté d’une mentalité rare, qui a privilégié le double aspect sportif et personnel pour rester fidèle pendant vingt ans à Montpellier, malgré les sirènes de clubs européens bien plus fortunés. Et quand le MHB a dû se reconstruire après l’affaire des paris de 2012, il l’a fait autour d’un joueur au-dessus de tous soupçons.

Le 5 juin, qu’avez-vous ressenti pour votre dernier match ?

Beaucoup d’émotion. C’était fort devant toute ma famille, mes proches. Une centaine d’Aptésiens (sa ville d’origine) sont venus me voir. Ma fille a fait une petite chorégraphie avec des danseuses avant le match. De très nombreux enfants m’ont fait un passage avant d’arriver sur le terrain. C’était top de clôturer comme ça. J’ai pris le temps de profiter de ce dernier match, de la famille, des amis.

Deux semaines plus tard, sentez-vous un manque ?

J’ai posté un petit message d’adieu sur les réseaux sociaux symboliquement, alors que ce n’est pas trop mon univers. Mais c’est annoncé, c’est acté, ça aide à franchir le cap. J’ai remercié les gens qui sont venus me voir et ceux qui n’ont pas pu le faire. Mais je suis assez tranquille par rapport à l’après. Je vais tout de suite partir sur un autre projet. Je ne vais pas avoir le temps d’avoir ce coup de mou qui peut arriver quand on termine sa carrière de joueur.

Vous avez obtenu de nombreux titres dans votre carrière. Notamment deux Ligues des champions, gagnées à 15 ans d’intervalle. Le sacre le plus fou, c’est le premier ou le dernier ?

Le premier, sans conteste. Il est incroyable parce que ça s’est passé très vite. Avec Nikola [Karabatic], on a vite goûté au plus gros titre possible en club à 19 et 21 ans, avec, qui plus est, un rôle hyper important [en finale retour contre Pampelune, il inscrit 11 des 31 buts du MHB]. Jouer avec autant de champions du monde autour de toi, Martini, Omeyer, Puigségur, Dinart, Golic, Burdet, Greg Anquetil, c’est un truc de dingue qui est arrivé très rapidement.

Qu’est-ce qui vous rend le plus fier ?

Comptablement, j’ai réussi à me forger un palmarès très important. Que ce soit en club et en équipe nationale. Mais est-ce que c’est ce qui me résume complètement ? Oui et non. Je ne me suis pas donné à fond dans ma carrière que pour ça. Je me suis donné à fond pour partager avec mes coéquipiers, pour prendre du plaisir, tirer profit au maximum des équipes dans lesquelles j’étais, que ce soit à Montpellier et en équipe de France.

Quelles images gardez-vous de ces 23 années ?

Les titres, les rencontres, les témoignages. La manière dont les gens m’ont fêté à la fin. Quand j’ai dû quitter Montpellier en 2019 et ses supporteurs, les Blue Fox, le fait d’aller à Nîmes dans un chaudron comme le Parnasse m’a aidé à prendre ma décision. Ce rapport au public est très important. Et c’est pour ça que j’ai voulu faire un an de plus. Je ne voulais pas m’arrêter sur le Covid-19 et ces salles vides. Et puis ma grande fierté est d’être resté auprès de ma famille, d’avoir réussi cette double vie professionnelle et familiale. Ce n’est pas simple dans le sport de haut niveau où on est souvent amené à bouger. Je suis très heureux d’avoir réussi ce parcours.

Comment avez-vous trouvé cet équilibre sans le regret d’avoir été cherché d’autres challenges sportifs ?

Parce que tous les soirs tu rentres et tu retrouves ta femme et ta fille. Et puis quand tu veux, tu vois tes potes, quand tu veux, tu vois ta famille. C’est un luxe que tout le monde n’a pas. Si eux ont envie de venir de voir, tu n’es pas loin. La réponse, tu l’as tous les soirs, donc c’est facile à ressentir.

C’était un équilibre essentiel à vos yeux ?

Je ne sais pas si on peut aller jusque-là, j’aurais certainement été très heureux ailleurs. Le fait que je reste si longtemps à Montpellier est peut-être dû au fait que j’étais, dans le même temps, dans une équipe d’exception avec l’équipe de France. Et que je gagne la Ligue des champions en 2003. Je n’étais pas dans cette recherche de la gagner absolument. J’ai eu cette chance de ne pas avoir à courir après les titres. Je ne regrette pas aujourd’hui, parce que j’ai eu une très belle carrière et que je suis très motivé quant à la suite.

Vous allez intégrer le projet de l’Usam Nîmes. Quel sera votre rôle ?

Je vais être conseiller du président, ambassadeur du club et au relais du secteur professionnel et du nouvel entraîneur avec la formation pour la développer au maximum. Je vais avoir un rôle d’entraîneur spécifique des jeunes pépites, ceux sur lesquels on va déceler un potentiel de futur joueur professionnel pour les accompagner d’un point de vue technique, tactique et mental.

Ce travail spécifique n’est pas développé aujourd’hui en France ?

Il me semble que ça manque dans le hand français. Ça se fait déjà au basket ou au rugby avec les skill coachs. Un entraîneur adjoint peut prendre en charge ce travail spécifique, mais ça nécessite du temps. Comme j’interviendrai en plus du staff des jeunes, c’est un rôle qui me semble important pour optimiser les choses. Je voulais le faire depuis un moment. Nîmes est déjà un bon club formateur, mais on a envie de grandir encore et je suis convaincu que ça va nous aider à y parvenir.

Vous êtes l’un des handballeurs français les plus titrés. Quel regard portez-vous sur l’évolution de votre sport ?

Il y a eu une vraie évolution tactique. Avec des règles qui ont changé comme le jeu à sept contre six joueurs de champ. A mes yeux, une sacrée règle de merde, une sacrée évolution. L’infériorité numérique n’est plus aussi pénalisante qu’avant, quand il fallait essayer de ne pas prendre l’eau. Mais en parallèle, la compréhension du jeu et le travail physique évoluent. Le syndicat des joueurs tente de favoriser le développement du handball tout en protégeant [les joueurs]. Je ne dirais pas qu’on a assisté à une énorme transformation lors des quinze dernières années, mais il y a une évolution qui globalement va dans le bon sens.

Le hand n’a plus cette image de sport scolaire qu’on lui collait auparavant ?

Parfois encore un peu. Mais on a franchi un réel cap. De plus en plus de structures sont adaptées au handball, il y a un peu plus d’argent aussi. La maison du handball [à Créteil] est une grande fierté et un outil de travail formidable. Et puis les féminines gagnent quasiment autant de titres que les garçons. C’est extrêmement rare d’avoir deux vitrines comme celles-là. Le handball français a atteint un sacré niveau.