France-Côte d’Ivoire : Le boycott des sponsors par Kylian Mbappé va-t-il entraîner une révolution des droits d’image ?
FOOTBALL•Le choix de Kylian Mbappé de ne pas honorer ses engagements avec les partenaires des Bleus, mardi à Clairefontaine, va forcément faire bouger les lignesNicolas Stival et Aymeric Le Gall
L'essentiel
- S'il est incertain pour France - Côte d'Ivoire, ce vendredi à Marseille, à cause d'une infection ORL, Kylian Mbappé a animé l'actualité des Bleus cette semaine.
- En boycottant une séance de photos et de vidéos avec des partenaires de l'équipe de France, Kylian Mbappé a dénoncé en creux une convention devenue désuète.
- Ce texte date de l'après-scandale de Knysna, en 2010, lorsque la cote de l'équipe de France, aujourd'hui double championne du monde, était au plus bas.
Quand il enfile ses crampons, on ne parle que de Kylian Mbappé. Et même quand il reste en chaussons, on continue à parler de lui. Ce mardi, l’attaquant du PSG a déclenché une tempête jusqu’au sommet de la FFF sans bouger de sa chambre de Clairefontaine, où « Kyky » et ses collègues préparaient leurs matchs amicaux contre la Côté d’Ivoire ce vendredi à Marseille, puis l’Afrique du Sud mardi à Lille.
En ne se présentant pas aux séances de « shooting » pour les marques partenaires de la Fédé, le champion du monde 2018 a fait dérailler un plan qui jusqu’à présent se déroulait presque sans accroc. Il semble que seuls certains sponsors soient l’objet du courroux de la star de 23 ans. Le Parisien cite Coca-Cola, KFC ou encore BetClic, un opérateur de paris sportifs en ligne.
Dans un communiqué expédié mercredi à l’AFP, le clan Mbappé indiquait que cette démarche « n’était en rien une rébellion ». Plutôt une protestation contre une convention signée depuis 2010 par chaque international français avant sa première cape, qui consigne les engagements du joueur à l’égard des partenaires de la FFF, et indique qu’il recevra 25.000 euros par match disputé s’il les respecte. « Les conditions de cette convention ne permettent plus de développer l’image du football dans le respect des valeurs que peut porter l’institution, mais aussi de celles propres à chaque joueur de l’équipe », poursuit le communiqué, assez nébuleux.
Nourriture saine oui, paris sportifs bof
Quelles sont les « valeurs » prônées par le natif de Bondy, en Seine-Saint-Denis ? Déjà une nutrition saine dès le plus jeune âge, comme l’indique son partenariat désormais révolu avec Good Goût, une marque d’alimentation bio pour bébés et enfants, ou son engagement dans sa fondation, Inspired by KM. Beaucoup moins les paris sportifs, dont plusieurs enquêtes récentes ont montré qu’ils avaient une fâcheuse tendance à vider les portefeuilles des jeunes les moins fortunés.
Mbappé apparaît toutefois toujours dans les pubs Unibet, sponsor du PSG, en attendant peut-être la renégociation d’un contrat qui expire en juin ou, plus probablement, son départ pour le Real Madrid.
Avec son boycott de mardi, le probable futur Ballon d’Or aurait aussi voulu alerter sur la redistribution des bénéfices des opérations menées par la FFF qu’il aimerait voir davantage diriger vers le « foot d’en bas ». « Je suis en totale résonance avec Kylian Mbappé, qui est non seulement le meilleur joueur du monde mais aussi un citoyen », se félicite Eric Thomas, président de l’Association française de football amateur (AFFA) et ancien candidat à la présidence de la Fédération.
Un enjeu aussi pour le football amateur
« Il a une vraie réflexion sur le rôle sociétal du football. L’argent devrait revenir au foot amateur qui est en train de mourir, or ce n’est pas le cas. Les revenus de ces opérations vont à la FFF, aux instances et au foot professionnel. » Autant dire que le Tourangeau ne croit pas Noël Le Graët, dont il est un farouche opposant, lorsque le Breton assure dans L’Equipe que « tout ce qui est recettes [de ces opérations] va au football amateur [90 millions d’euros cette saison] et à la formation ».
Le patron de la Fédé, qui a tenté en vain de convaincre Mbappé d’honorer ses engagements mardi, n’entend pas sévir contre son joyau. « Il y aura une lettre des avocats qui va lui être adressée ainsi qu’à son avocate [Delphine Verheyden], assure-t-il. On va voir point par point ce qui pose problème. On souhaite améliorer les choses et que les gens soient contents, sponsors et joueurs. »
Une convention trop décalée par rapport à la réalité actuelle des Bleus
Le « s » à « joueurs » est important. Car Mbappé pourrait créer une jurisprudence et susciter des envies de boycott chez ses coéquipiers qui jusqu’à présent n’osaient pas snober certaines séances photo ou vidéo. Quoi qu’il en soit, l’actuelle convention, née sur les cendres d’une Coupe du monde 2010 aussi désastreuse sportivement qu’en termes d’images, a certainement vécu.
« Après Knysna, on est au fond du trou, donc les joueurs acceptent tout, rappelle un fin connaisseur des rouages fédéraux. Aujourd’hui, ils sont champions du monde, ils ont un palmarès, ils sont en position de force. » « Si la Fédé n’a pas donné suite à leurs réclamations depuis, c’est normal que le boomerang lui revienne dans le visage », enchaîne un autre témoin, sous couvert de l’anonymat.
Car le coup d’éclat de Mbappé mardi à Clairefontaine n’a rien d’un éclair dans un ciel sans nuage. Il y a plusieurs années déjà que les 25.000 euros par match « seulement » attribués pour des campagnes en faveur de marques internationales qui brassent des millions (comme pas mal de Bleus avec leurs clubs) font tousser certains joueurs et leur entourage.
Et là, plus question de chevaliers blancs qui se battent pour on ne sait quelles valeurs. Double championne du monde (1998, 2018) et double championne d’Europe (1984, 2000), l’équipe de France actuelle n’a plus rien à voir avec celle, vierge de titres et à la ramasse sportivement, qu’a connue Henri Emile lorsqu’il a intégré la FFF en 1972.
Après le Mondial 1978 en Argentine, l’ancien adjoint de huit sélectionneurs a vu Michel Platini, via son imprésario Bernard Genestar, et Jean-Claude Darmon, aka « le plus grand argentier du foot français », dealer la règle du « un tiers pour les joueurs – un tiers pour la Fédé – un tiers pour Darmon et Genestar ». Les temps ont changé, les sommes perçues par les Bleus ont considérablement gonflé mais certaines idées de l’époque pourraient encore inspirer les décideurs contemporains.
« « Réglementairement, sur les photos, il y avait huit joueurs au minimum, pour ne pas qu’il n’y ait toujours les mêmes trois ou quatre stars, comme on le voit trop aujourd’hui, reprend Henri Emile. C’est pour ça je pense que Mbappé a dû dire que ça allait trop loin parce qu’on le voit sur toutes les photos. Avant le Mondial mexicain [1986], Tigana avait râlé car il considérait qu’il était sur toutes les photos et il a demandé à voir les contrats. Ça a traîné et la veille de notre départ au Mexique, on n’avait plus de nouvelles de lui, il refusait de partir. On a fini par le retrouver et le calmer, mais ça montre que les incidents de cette nature ne datent pas d’hier. » »
Le désormais octogénaire, ex-homme à tout faire des Bleus, se rappelle « avoir refusé un contrat avec une marque de farine qui voulait que les joueurs soient filmés en tenue de boulangers ». Ou encore avoir retoqué l’offre « d’une marque américaine de restauration qui voulait faire une pub avec le car des joueurs qui s’arrête pour aller manger un sandwich ».
Un problème « pas simple d’un point de vue juridique »
Emile a vu le foot évoluer, les entourages des joueurs s’étoffer et se spécialiser. Rien d’étonnant à ce que des avocats décortiquent la convention liant la FFF à ses internationaux, jusqu’aux notes de bas de page rédigées en corps 2. « Le problème posé n’est pas simple d’un point de vue juridique, convient Me Jean-Jacques Bertrand, spécialiste du droit du sport, qui a notamment accompagné Luzenac dans sa lutte contre la Fédé et la LFP. Vous avez un mélange de droits personnels et collectifs qui se percutent et, au milieu de ça, des droits dominants et d’autres moins dominants. »
« Es complicat », comme on dit en Ariège, entre les conventions liant un international français à son club, à sa sélection via la FFF ou encore à ses sponsors personnels. « Et au-dessus de tout ça vous pouvez avoir ce qu’on appelle une clause de conscience, ajoute Me Bertrand. Si quelque chose heurte vos convictions sociales, politiques ou religieuses, votre éthique, il y a là aussi matière à trouver la possibilité d’un refus. Cela ne veut pas dire qu’il est forcément justifié, mais vous pouvez au moins le mettre en avant. »
Un boycott mûrement réfléchi
Pour l’avocat, Mbappé ne s’engage pas dans ce bras de fer avec la Fédé sans argument. « Delphine Verheyden est quelqu’un de sérieux, je ne la vois pas donner un conseil ou un avis sans être sûre d’elle. » Cela semble aussi l’avis de Noël Le Graët, que l’on a déjà connu plus corrosif. « Il y aura une autre opération avec les sponsors, à la rentrée, avant d’aller à la Coupe du monde, a-t-il lancé dans L’Equipe. Je vous assure qu’à ce moment-là, tout sera réglé. » Avec une convention dépoussiérée et plus favorable aux joueurs ?