Ecosse-France : Les Bleus et la gestion du soutien populaire, un apprentissage terminé ?
RUGBY•Les Bleus disposent d’une cote d’amour incroyable auprès du public tricolore, un facteur que l’équipe de France a appris à apprivoiser depuis un déplacement délicat en Ecosse en 2020, où les Bleus ont rendez-vous samedi pour continuer à rêver du Grand ChelemJulien Laloye
L'essentiel
- Le XV de France retrouve Murrayfield, un stade qui l’avait vu perdre ses moyens en 2020 alors que les nombreux supporteurs français présents croyaient au Grand Chelem.
- Deux ans après, les Bleus jurent avoir pris de l’expérience et se nourrissent de ce soutien populaire de plus en plus visible, à domicile comme à l’extérieur.
Une queue qui s’allonge sur des dizaines de mètres, longtemps avant l’heure, devant les grilles de Marcoussis. Des habitués, des familles, des grands-pères qui se font plaisir autant qu’à leurs petits-enfants, et même un car d’école de rugby qui mettra un boucan d’enfer grâce aux mini-vuvuzelas distribuées par la Fédé. Mercredi 23 février, le deuxième entraînement du XV de France ouvert à la foule depuis le début de la pandémie a illustré ce que l’on devine depuis plusieurs mois : une bromance absolue entre les Bleus et leurs supporteurs, les plus jeunes comme les plus vieux, déchaînés sur chaque accélération d’ Antoine Dupont.
L’idole du rugby français, en verve dans ses courses malgré une séance à haute intensité harassante pour les organismes, a même pris le micro pour donner un peu d’amour aux 1.400 spectateurs qui ont garni le terrain d’honneur : « On est ravis de vous avoir ici, il y a rarement eu autant d’ambiance qu’aujourd’hui. On vit vraiment des émotions incroyables sur les matchs à domicile notamment, et on espère en vivre encore avec vous ».
L’arrivée du bus à Murrayfield en 2020, un douloureux souvenir
Un soutien visible et bruyant, une attente palpable, décuplée, après douze ans à courir après ce foutu Grand Chelem, que les Bleus n’ont pas su apprivoiser tout de suite. Puisqu’il va falloir s’envoyer les Écossais chez eux samedi, souvenez-vous le déplacement d’il y a deux ans. Les Bleus sortent alors de deux victoires magnifiques contre Anglais et Gallois, deux triomphes qui ont fait replonger tous les amoureux éconduits du XV de France.
Alors que le Covid rampe et que le monde s’apprête à se figer surplace, ils sont 10.000 fans des Bleus à se rendre à Edimbourg, dont plusieurs centaines qui guettent l’arrivée du bus de l’équipe de France devant les portes de Murrayfield. Immobilisés, Galthié et ses hommes mettent de longues minutes à avancer, puis à descendre, au moment où une vibrante Marseillaise descend du ciel. Un accueil qui « prend au cœur », dira joliment le capitaine Charles Ollivon, qui enlèvera ses écouteurs pour en profiter, comme beaucoup de ses copains. Mais un accueil mal géré émotionnellement, regrettera de son côté le staff tricolore, après un match mal embouché et mal terminé.
« On a réussi à tout anticiper, le Stade de France, Cardiff… Mais la folie autour de l’équipe à Edimbourg, le bus pendant un quart d’heure au milieu de la foule en délire, avec les cornemuses, la Marseillaise, ça non, on ne leur a pas bien expliqué », reconnaît Galthié après coup. Deux ans après, les joueurs ne se racontent pas tous la même histoire, comme souvent. Baptise Serin, joint par nos soins, fait par exemple remonter le choc un peu plus tôt.
« « Le lendemain du pays de Galles [le match précédent], quand on gagne là-bas, le nombre de personnes qui nous attendait à l’aéroport et dans l’aéroport de Cardiff, je n’avais jamais vu ça. Il y avait une haie d’honneur, la Marseillaise… Je n’avais jamais connu ça avec l’EDF et c’était assez incroyable ». »
Gaël Fickou, l’actuel capitaine tricolore, concède tout de même avoir été un « un peu surpris par l’arrivée à Murrayfield. Je me souviens, avant même d’entrer dans le stade, ils nous avaient ralenti dans le cortège, avec leurs chants, Peut-être qu’on était un peu jeunes ? ». « C’est vrai que c’était un moment impressionnant, qui apporte une dose d’excitation supplémentaire, ajoute Willemse, lui aussi présent à l’époque. La clé c’est de garder ça et de l’utiliser au moment adéquat pour trouver la bonne énergie. On a des joueurs qui ont plus d’expérience qu’il y a deux ans, on a beaucoup progressé dans notre chemin. Ce ne sera pas une surprise comme la première fois »
Les Bleus ont pris de l’expérience
Ce match en Ecosse reste « le seul raté de cette génération », juge Marc Liévremont dans le Midol de la semaine. L’ancien sélectionneur prévient : « Ce raté avait coûté le tournoi. Or, aujourd’hui, cette équipe suscite une immense attente de la part de tout un pays. Jamais une équipe de France n’a semblé aussi forte, aussi constante. Ce sera le rôle du staff d’être dans la mesure, de prendre les précautions nécessaires. De prévenir, d’être prudent. »
Si l’on suppose que le trajet entre l’hôtel et Murrayfield va être réglé comme du papier à musique cette fois, le groupe tricolore ne peut plus aujourd’hui s’inquiéter de la charge émotionnelle d’une Marseillaise a cappella à l’entrée d’un stade, quand bien même le dit stade sent le whisky pur malt et le vieux chêne écossais solide comme un grand gaillard du pack du Chardon. Ou alors il se serait liquéfié à Saint-Denis, en novembre, quand l’orchestre s’est tu pour laisser 80.000 spectateurs beugler l’hymne national sans musique avant le coup d’envoi.
On y était, comme face à l’Irlande, et on pouvait sentir dans chaque clameur qui s’élevait tout à la fois l’espoir, l’impatience, et la trouille de voir ça. Ne pas croire que c’est juste du décorum pour enjoliver le parfum de conquête, à deux ans d’un Mondial à la maison qui peut tout autant sublimer que rapetisser, le groupe de 2007 s’en souvient. « Depuis la Coupe du monde 2019, où on a montré un autre visage, il y a une vague de supporteurs qui surfe sur ça, se réjouit Serin. C’est ultra-positif pour l’EDF. Pour les joueurs, et pour l’avoir vécu, c’est incroyable d’avoir un support comme ça. On sent qu’on partage des émotions avec les supporteurs, c’est très important. »
Cette transe entre le XV de France et ses supporteurs, les adversaires en reviennent marqués, quand ils en reviennent. Lisez l’ouvreur tout noir Beauden Barrett dans L’Equipe récemment.
« « Comme je ne jouais pas, j’ai ressenti dans un temps ralenti toute l’atmosphère du stade et du public français. Les interactions du public avec les Bleus étaient d’une intensité dingue chaque fois que les Français marquaient. Dans un contraste saisissant, je me souviens d’une voix féminine, quasi inaudible, qui annonçait nos pénalités. Je ne pense pas que le Stade de France ait un équivalent dans le monde. Ce soutien incroyable des spectateurs, il faudra qu’on fasse avec. L’équipe de France est en phase avec son public et je sais que l’entraîneur des Bleus y est pour beaucoup ». »
« C’est incroyable d’avoir un support comme ça »
Le manager des Bleus en fait parfois des tonnes, quand il suspend l’auditoire à ses lèvres, l’air de penser à des choses supérieures dans ses longs silences, mais son attachement au « sacré », tout ce qui imprègne l’image des Bleus et leur perception dans l’opinion, n’est pas feint. Le moindre petit bout de ficelle est ainsi utilisé pour faire grimper ses joueurs au rideau. Le dernier en date ? Les mots du capitaine irlandais James Ryan, avant le dernier match au Stade de France : « Je suppose que nous ferons tout notre possible pour calmer les supporteurs français, à défaut de trouver un meilleur mot. »
Réponse de Galthié, qui nous avait fait répéter pour mieux préparer son effet : « C’est quelque chose que l’on entend, que l’on entend et que l’on va prendre en compte. Ce sera partagé avec le groupe, sachant que nous, notre objectif, ce n’est pas de réduire le stade de France au silence, c’est de vivre l’émotion la plus intense possible avec nos supporteurs. Vivre le sublime, face à un adversaire sublime. » Rendez-vous pris, rendez-vous honoré. Au tour de régler son compte à un mauvais souvenir, maintenant.