E-sport : La Ligue française de « League of Legends », réunie en réel à Nice, est-elle la plus forte d'Europe ?
HORS-TERRAIN•Pour la première fois, un événement sur deux soirées consécutives a été organisé à Nice, jusqu'à ce jeudi, pour accueillir le championnat français de « League of Legends »Elise Martin
L'essentiel
- Chaque jeudi, dans sa rubrique « hors-terrain », 20 Minutes explore de nouveaux espaces d’expression du sport, inattendus, insolites, astucieux ou en plein essor.
- Cette semaine, on s’intéresse à l’e-sport et plus précisément à l’essor de la ligue française du jeu vidéo League of Legends (LoL).
- Des milliers de fans sont venus des quatre coins de la France pour assister, mercredi et jeudi, à deux soirées consécutives de matchs à Nice, avec dix équipes et des joueurs du monde entier.
Des fans qui traversent la France et attendent des heures avant un match, des champions qui se font arrêter devant l’entrée pour signer un maillot ou prendre une photo, des ultras avec un tambour et une tribune qui leur est réservée. Non, ce n’est pas de football dont on parle mais d’e-sport et du championnat de France de League of Legends, plus communément appelé LoL. La Ligue française de LoL (LFL) a investi mercredi et ce jeudi le Palais des congrès Acropolis à Nice pour la première fois de la saison, réunissant 2.000 supporteurs et dix équipes en physique pendant deux soirées consécutives.
Si on fait autant le rapprochement entre LoL et le football, c’est parce que les producteurs eux-mêmes de la ligue, qui s’est créée en 2019, se comparent à la Ligue 1. Des transferts de joueurs internationaux qui coûtent 1 million de dollars, des conférences de presse avec les joueurs après les matchs, une audience qui peut cumuler entre 150.000 et 200.000 spectateurs par soirée sur OTP, une chaîne dédiée sur Twitch. Tout y ressemble.
« La Ligue française est la plus forte, au niveau des perfs et de l’audience »
« En fait, on est plutôt l’équivalent de la Liga espagnole ou de la Premier League anglaise », sourit Bertrand Amar, directeur des activités e-sport chez Webedia, coproducteur de la LFL avec l’éditeur du jeu, Riot Games. « La Ligue française est la plus forte d’Europe, au niveau des performances et de l’audience également, indique-t-il. La Ligue espagnole, qui est considérée comme la deuxième la plus suivie du jeu, fait la moitié de nos statistiques. » Alors que vaut exactement notre Liga de LoL ?
« La Ligue française est la plus compétitive des ligues européennes, assure à son tour Yoann Bouchard, directeur des ligues et tournois chez Webedia. Au-dessus, c’est la LEC, le championnat d’Europe de League of Legends, mais qui est un circuit fermé, comme la NBA. Mais sur les six dernières éditions des European Masters (équivalent de la Ligue des champions avec 14 pays représentés), trois ont été remportées par des équipes de la LFL. Ça joue alors sur l’attractivité. On a des personnes de toutes les nationalités qui veulent rejoindre des équipes françaises. Pour un joueur, le meilleur moyen de briller, c’est de faire partie d’une équipe en LFL. »
Des moyens mis en place dès l’année de création du championnat
En résumé, depuis 2019, les moyens sont mis dans le championnat, ce qui « a installé un écosystème vertueux pour les équipes qui ont un vrai taux d’engagement de fans [comme Karmine Corp]. Ça crée de l’engouement, avec une forte visibilité et un cercle prestigieux pour évoluer », ajoute Yoann Bouchard. Et si ça attire les spectateurs, ça fait venir les sponsors, et donc de l’argent.
Julien, un Montpelliérain de 22 ans, joue depuis neuf ans et a vu l’évolution de la discipline. C’est la première fois qu’il assiste à un match en réel. Il vient d’ailleurs de rencontrer pour la première fois Mathieu, un ami avec qui il joue depuis longtemps. Pour eux, ce genre d’événement permet de « se rendre vraiment compte de l’ampleur » de LoL en France. « Ces trois dernières années, ça a vraiment pris de l’importance avec des équipes très performantes. Le but est de progresser ensemble donc la concurrence est bienveillante. N’importe quelle autre ligue européenne peut envier la LFL pour son niveau mais aussi pour ses supporteurs », analyse le fan.
« La même sensation que lors de la Coupe du monde de football »
Permettre à la communauté d’assister à des matchs de cette manière est aussi une « french touch ». Habituellement, des rencontres sont prévues mais seulement pour les finales. Des slogans, des applaudissements, des spectateurs debout, en bref, une ambiance de folie accompagnée d’une odeur de sueur après plus de six heures dans l’établissement pour voir les six matchs.
« Ça me donne des frissons. C’est la même sensation que lors de la Coupe du monde de football en 2018 », résume, entre les cris du public, Matthieu, au moment de l’arrivée des cinq joueurs de la Karmine Corp sur scène. Ce Lyonnais de 21 ans est venu à Nice pour l’occasion, afin de soutenir son équipe favorite, qui avait clairement les faveurs de l’Acropolis mercredi. Entre la mise en scène de lumière, de son et le spectacle dont il est témoin pour la première fois, « ça vaut complètement les 40 euros dépensés par jour », estime-t-il.
« C’est un boost de motivation d’entendre les supporteurs »
« Ce n’est pas la même chose de crier dans son appartement tout seul qu’avec tous ces gens réunis pour la même passion, ajoute Julien. C’est incroyable d’être ici. Et encore, on n’est que 2.000. Imaginez avec 100 fois plus de personnes, soit le nombre de viewers connectés pour voir une partie en même temps. » Face à la KCorp, c’est GameWard. Une sorte de « clasico » où l’ancien joueur d’une équipe a rejoint l’autre. Il s’agit de Philippe (21 ans), dit Akabane, jungler (un poste clé dans LoL). En quelques années, il est passé de derrière son écran d’ordinateur, dans sa chambre d’adolescent chez ses parents, à jouer sur une scène devant des milliers de personnes, avec des commentateurs.
« C’est aussi très impressionnant pour les joueurs, confirme-t-il. C’est un boost de motivation d’entendre les supporteurs. En plus, je sais qu’il y a ma famille dans le public donc ça me fait quelque chose. » Il réalise son rêve : faire de sa passion son métier. En tant que pro, les salaires mensuels peuvent aller de 2.000 à 8.000 euros. Son objectif est d’intégrer la LEC, et d’espérer ainsi atteindre le Championnat du monde.
« Les Français n’ont pas la même constance que les Polonais »
En attendant, « c’est un honneur d’être en LFL ». Il s’en rend vraiment compte car il évoluait auparavant au sein de la Ligue allemande. « Là-bas, il y a deux ou trois structures vraiment fortes. En France, l’intégralité des dix équipes est d’un très haut niveau », lance le seul joueur français de son équipe.
Son coach, Nicolas Perez, qui a déjà opéré dans un championnat africain « qui n’a rien à voir », reconnaît que la LFL attire beaucoup d’étrangers. Sur la soixantaine de joueurs présents jusqu’à ce jeudi à Nice, seulement quinze sont français. « Les pépites percent rapidement et se démarquent, évoque l’entraîneur. Plusieurs talents ont été repérés pour des championnats internationaux. Les Français n’ont simplement pas encore trouvé la même constance que les Polonais par exemple, qui ont la personnalité et la culture du jeu. Mais ça va venir, il faut peut-être plus de crédibilité encore. »
Pas de nouvel événement en réel défini en France après Nice
Pour ça, on peut compter sur Webedia. Depuis 2022, les matchs de LFL sont diffusés également en anglais, depuis une antenne à Toronto. Le groupe mise aussi sur la Division 2 de LoL France. A partir de maintenant, ces structures seront invitées à jouer en première partie des soirées de match en physique et ainsi « permettre à tous, joueurs comme fans, de goûter à ces frissons, et à ce partage », explique Bertrand Amar.
Notre dossier Hors-terrain
Selon lui, « la France est à la pointe sur le terrain de l’e-sport, à tous les niveaux, même dans la diffusion avec sa propre chaîne, OTP ». « L’objectif est maintenant de pouvoir organiser ce genre d’événement chaque semaine dans une ville différente, mais rien n’est encore défini après ce premier rendez-vous niçois », conclut-il.