JO 2022 : A quoi ressemble la (folle) entrée dans la bulle sanitaire chinoise ?
JEUX OLYMPIQUES•Sur les dents à cause du Covid, les autorités chinoises ont concocté un programme particulièrement savoureux aux participants des JO 2022 au moment de leur entrée dans la bulle sanitaireAymeric Le Gall
L'essentiel
- Fidèle à sa politique du « Zéro Covid », la Chine n’a pas fait les choses à moitié pour garantir qu’aucun participant aux JO 2022 n’entrerait en contact avec la population locale.
- Depuis notre montée dans l’avion, à Paris, jusqu’à notre chambre d’hôtel à Zangjiakou, tout est strictement encadré et gare à celles et ceux qui essaieraient de sortir des clous.
- 20 Minutes vous emmène dans ses valises pour vous faire découvrir la bulle sanitaire probablement la plus stricte de l’histoire.
A Pékin et Zangjiakou,
Il est 7h05 heure locale, lundi, quand le vol Air France AF 128 touche le tarmac de l’aéroport de Pékin avec, à son bord, une bonne partie de la délégation tricolore, mais aussi des athlètes et staffs haïtiens, canadiens, allemands, autrichien, ainsi que des officiels et des journalistes. Aperçue, grouillante, à travers le hublot lors de la phase d’approche, la capitale chinoise est aux antipodes de ce qui nous attend dans quelques secondes à l’aéroport, vide, coupé du reste du pays, comme abandonné. Sur l’écran de notre siège, la caméra située à l’avant de l’appareil retransmet des images qu’on jurerait tout droit sorties d’un mauvais film de science-fiction.
On y voit deux personnes emmitouflées dans des combinaisons blanches guider les pilotes vers le lieu de stationnement, dans la pâleur blafarde du jour naissant. La scène est lunaire. Elle en serait presque amusante si elle ne préfigurait pas tout ce que nous allons vivre lors de ces JO d’hiver, dans un pays qui se targue d’avoir contenu le virus ces deux dernières années et voit l’étranger comme possiblement porteur du mal. Car c’est bien de ça dont il s’agit : depuis notre arrivée en Chine, pas une seconde ne passe sans qu’on se sente perçu comme des pestiférés. Le virus pénétrant le corps sain, ni plus ni moins. Et la suite va nous donner raison.
Les pailles dans le nez, le karcher et les Bronzés
Tout au long du parcours fléché censé nous guider vers les navettes spécialement affrétées pour les Jeux, les consignes sont données sans ménagement. « Asseyez-vous là. Debout, tout droit, plus vite ! ». Pas de doute, les centaines de cosmonautes en combinaison de protection sont sur les dents. Après avoir passé la douane sans encombres et s’être fait prendre la température, un ascenseur nous attend. Dedans, la règle est aussi claire que le marquage au sol : pas plus de quatre à l’intérieur, et surtout, prière de se tourner le dos.
Vient ensuite l’épreuve tant redoutée du double test PCR à la sauce maison. Le premier, dans le nez, est enfoncé jusqu’à une profondeur abyssale, la paille disparaissant presque entièrement de notre vue. Le second, version gorge profonde, est inséré dans le gosier. « Faites Ahhhh », nous répète le jeune homme. « Grrrbblbbllll », aura-t-il droit en guise de réponse. Intérieurement, on aimerait se la jouer Jean-Claude Dusse dans Les Bronzés font du ski : « Je vais te la planter, moi, la paille ».
Et encore, on se plaint, mais à l’arrivée les résultats étaient négatifs. Ce qui ne fut pas le cas de 119 compagnons de galères, testés positifs dès leur arrivée à l’aéroport et placé immédiatement à l’isolement. Parmi eux, une poignée d’athlètes obligés de s’isoler immédiatement dans leur chambre en attendant deux tests négatifs consécutifs pour espérer vivre leur rêve olympique. La prise la plus célèbre ? La bobeuse américaine Meyers Taylor, triple médaillée olympique, qui garde un infime espoir puisqu’elle ne rentre en lice que le 13 février.
La promenade de santé se poursuit, et tandis que nous sommes invités à récupérer nos bagages et monter dans les bus, le personnel de l’aéroport désinfecte tout sur son passage à grands coups de karcher. Tout ici est vaporisé, des sièges de l’aéroport aux vitres des autocars, qui dégoulinent de longues coulées blanches et empêchent d’admirer le paysage. Mais qu’importe, le plus dur est passé. Sur l’autoroute, à mesure que l’on se rapproche de Zangjiakou, la ville située à environ 200km de Pékin où auront lieu les épreuves de biathlon, de ski de fond et de ski freestyle, pas un poilu ou presque. Au loin, les montagnes noires se dessinent dans un paysage inhospitalier au possible. Les quelques fresques olympiques qui bordent l’autoroute tentent bien d’égayer le tableau mais c’est perdu d’avance.
Shining version Zangjiakou
Après 4h de trajet et deux pauses pipi sur des aires désertiques, les immenses complexes hôteliers bâtis bien avant la pandémie et censés au départ accueillir des centaines de milliers de touristes, se dressent à l’horizon. Là, impossible de dire si c’est le fruit de notre esprit désormais formaté par la « glauquitude » ambiante ou le ciel gris et menaçant qui domine la région, toujours est-il que l’ensemble donne une impression cinématographique étrange. Un mixte entre le Grand Budapest Hotel et l’immense bâtisse flippante dans Shining. Welcome to the bubble of Zangjiakou
A l’hôtel, encore et toujours les mêmes personnes en combinaison. Celles-ci hantent (et désinfectent H24) les longs couloirs qui sentent encore la peinture fraîche et la Javel, tandis que d’autres déballent des cartons et fignolent les derniers travaux. Ici, une précision importante s’impose : loin de nous l’idée de vouloir dézinguer ces locaux sous capes qui, une fois sorti de l’aéroport, disons-le, font tout pour rendre la vie des « bullards » la moins pénible possible. Et leur tâche est co-lo-ssale. Au vrai, on est toutes et tous dans la même galère. En effet, ces milliers de bénévoles, pour la plupart des étudiants, sont entrés dans la bulle au mois de janvier et n’en sortiront que courant avril, après les Jeux Paralympiques et une ultime quarantaine de 21 jours. Courage les amis !
Affront à la planète et censure d’internet
Avant de recevoir les résultats de nos tests PCR, nous sommes priés de rester enfermés dans notre chambre. Ce serait presque une bonne nouvelle si, à l’intérieur, il ne faisait pas une chaleur à crever. Après un petit coup de fil à la réception, on nous indique qu’on ne peut pas régler nous-même la température. Qu’à cela ne tienne, on entrouvre alors une fenêtre pour ne pas suffoquer. Dehors, le thermomètre affiche -15° C mais le ressenti frôle plutôt les -8000. La lutte contre le réchauffement climatique attendra.
Celle contre la censure internet aussi, remarquez. Non que l'on doutât une seule seconde du sérieux du régime de Pékin dans sa guerre contre la liberté d’expression sur les réseaux sociaux ou les messageries privées, mais de le vivre IRL, comme tout citoyen chinois lambda, ça fait tout drôle. En effet, une fois connecté à la wifi de l’hôtel, impossible d’accéder à Facebook, Twitter, Gmail, WhatsApp ou Signal. Si bien qu’il a fallu attendre d’être au centre de presse, le lendemain, pour donner signe de vie à nos proches (Entre-temps, l’installation d’un VPN aura tout de même eu raison des barrières technologiques du régime. +1 pour le monde libre).
C’est donc comme ça, coupé du monde – et une fois sûr que nos tests n’ont pas révélé la moindre trace de Covid – qu’on prend la direction du resto où deux personnes nous attendent. L’une est chargée de nous asperger les mains de désinfectant, l’autre de nous refiler des gants en plastique à porter obligatoirement à table. Alors, solo entre deux plaques de plexiglas, on se réchauffe l’estomac, le cœur et l’esprit avec une plâtrée de riz, des champignons vinaigrés et quelques délicieux raviolis. Le meilleur moment de la journée, assurément, avant de retrouver notre lit pour une bonne nuit de sommeil bien méritée. Et de rêver au nouveau test oropharyngé qui nous attend au réveil. Jean-Claude Dusse, promis, demain on la sort ta réplique.