Marceline Bodier, bookstagrameuse et contributrice du groupe de lecture 20 Minutes Livres, vous recommande À Emilia de Julien Levy, paru le 9 mars 2022 aux Éditions Jouvence.
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Sa citation préférée :

« Le meilleur gourou est en nous. Le découvrir, c’est se trouver.  »

Pourquoi ce livre ?

• Parce que ce sont des histoires de transmission : de sa traversée des années 1960 et des rencontres qu’elle y a faites, Emilia est ressortie avec un mode de vie imprégné de yoga et de sagesse orientale. En 1991, elle sauve de lui-même un Marc-Antoine endeuillé et incapable de refaire surface sans s’enfoncer dans des expériences de plus en plus extrêmes. Trente ans plus tard, ce même Marc-Antoine confie cette histoire à Apolline, venue officiellement l’interviewer pour un podcast, et officieusement, en recherche de sa propre raison de vivre : à travers lui, c’est Emilia qui resurgit.
• Parce que c’est un livre imprégné de plusieurs ambiances fortes, qui nous plongent en immersion dans l’histoire : l’ambiance des expériences psychédéliques des années 1960 ; l’ambiance dans « le Poum », appartement où vit une bande de jeunes apnéistes en mal d’expériences existentielles au tournant des années 1990 ; l’ambiance bloquée dans une famille endeuillée ; l’ambiance-refuge dans la librairie où officie Emilia, à « la façade refaite dans les règles de l’art par un Dali des rues » ; et l’ambiance chez Marc-Antoine trente ans plus tard, qui synthétise tout cela d’une manière unique.
• Parce qu’au travers de la drogue (désignée comme telle ou légale), de l’alcool, du sexe, de l’apnée, comme du yoga, on cherche toujours la même chose : combler un vide existentiel. La diversité des destins que suit le livre reflète cette diversité de choix et l’ombre de Timothy Leary, le psychologue militant du LSD, est très présente. Mais ces choix très différents ne peuvent pas toujours être faits avec le même bonheur et ce à quoi l’auteur nous amène, c’est à l’idée qu’on peut « [apprendre] à réguler nos états internes. Sans substance ».
• Parce que le yoga a trouvé son oncle d’Amérique. Vous vous rappelez ? En 1980, dans ce film d’Alain Resnais, l’histoire d’amour de Gérard Depardieu et Nicole Garcia était racontée en épisodes interrompus par le biologiste Henri Laborit, qui commentait des expériences de psychologie comportementale. Dans À Emilia, l’intrigue alterne avec des extraits d’un livre de vulgarisation scientifique supposément écrit par Marc-Antoine, dédié « À Emilia », reposant sur des articles réellement publiés et référencés. Et croyez-moi : la lecture des expériences se révèle aussi passionnante que l’intrigue !
• Parce que le livre est l’héritier direct des romans d’Irvin Yalom. Tous les ingrédients y sont : une histoire très psychologique, des personnages très incarnés dont nous n’ignorons aucun tourment intime, des drames dont il n’est pas évident qu’ils peuvent être surmontés, et des explications théoriques qui éclairent toute l’intrigue. Chez Irvin Yalom, il s’agit de systèmes philosophiques ; chez Julien Lévy, il s’agit du yoga. On en apprend tout, tant sur son histoire en Occident depuis les années 1960 (scellée par l’intervention de Swamiji à Woodstock) que sur ses effets physiologiques.
• Parce que la musique imprègne l’histoire. Elle est ponctuée de chansons avec lesquelles l’intrigue résonne toujours, jamais par hasard, parce que ces chansons ont été écrites par des auteurs qui étaient dans la même quête spirituelle que les personnages. Qu’auraient été les mythiques années 1960 et leurs expériences psychédéliques, sans les Beatles ? La meilleure preuve que ce livre aurait eu une bande-son même s’il ne l’avait pas exposée explicitement, c’est qu’on ne peut pas le refermer sans l’urgente envie de réécouter Lucy in the Sky ; pas with Diamonds… mais with Darshans (étreintes) !

L’essentiel en 2 minutes

L’intrigue. « Tim Leary était persuadé qu’il fallait un contexte spirituel pour tirer le meilleur parti du LSD » : et si on se débarrassait du LSD pour ne garder que le contexte spirituel, pour le même résultat ? C’est le pari du roman, où on s’identifie aussi bien à l’histoire qu’à la théorie sous-jacente.

Les personnages. Emilia, Marc-Antoine, Apolline : trois générations, trois destins et leur lot de tragédies, trois rédemptions par le yoga. Celui-ci est sans conteste le personnage principal, mais il doit s’affirmer face à la horde de personnages pas si secondaires que sont psychotropes et expériences ordaliques.

Les lieux. Le livre se passe à Genève, en 2021. Mais ce que raconte Marc-Antoine à Apolline entre quatre murs les emmène en voyage, et nous avec eux : en Californie, en Inde… et, bien plus terrifiant, dans le Marseille de 1991. C’est pourtant là, dans la librairie du Book-Un, qu’a surgi une issue…

L’époque. La quête spirituelle se déploie sur plusieurs décennies et trois générations. Des années 1960 psychédéliques à notre époque connectée, en passant par les drogues et la musique des années 1990, Julien Levy nous faire vivre un voyage dans les profondeurs intemporelles de notre psyché.

L’auteur. Julien Levy n’est pas un inconnu : il enseigne le yoga et a déjà écrit plusieurs guides. Mais la découverte de son talent d’écrivain de fiction, qui embrasse toute son expérience et l’intègre dans un livre profond et intelligent, est une révélation : le yoga a trouvé son Irvin Yalom !

Ce livre a été lu avec le sentiment grisant d’avoir découvert un héritier à une lignée remarquable passée par Henri Verneuil (que serait I comme Icare sans la célèbre expérience de Milgram ?), Alain Resnais, Irvin Yalom, et David Lodge (dans Pensées secrètes, la psychologie cognitive est une clé). Excusez du peu…

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