HORS-TERRAINLes fous furieux qui enchaînent les Ironman au quotidien sont-ils humains ?

60 courses en 60 jours… Les fous furieux qui enchaînent les Ironman au quotidien sont-ils humains ?

HORS-TERRAINCes hommes en fer aiment vivre l’enfer. Comment, et pourquoi ?
William Pereira

William Pereira

L'essentiel

  • Chaque jeudi, dans sa rubrique « hors-terrain », 20 Minutes explore de nouveaux espaces d’expression du sport, inattendus, insolites, astucieux ou en plein essor.
  • Cette semaine, focus sur les athlètes de l'extrême qui enchaînent plusieurs Ironman sur de longues périodes. Soit nager 3,8 km, rouler 180 km à vélo et courir un marathon.
  • Des prouesses pas à la portée de n'importe qui, mais pas si folles pour autant à en croire les intéressés.

Qu’avez-vous fait entre octobre et décembre 2021 ? L’ultra-triathlète estonien Rait Ratasepp, lui s’est farci 60 Ironman consécutifs. 60 jours à nager 3,8 km, rouler 180 km et courir un marathon pour une performance inhumaine. Mis bout à bout, les chiffres sont colossaux : 228 km dans l’eau, 10.800 km à vélo et 2.532 km en course à pied. Le tout en s’imposant les règles officielles, histoire de ne pas trop s’emmerder quand même en chemin : pas d’aspiration à vélo, pas de marche, des ravitaillements réglementés et un objectif de temps (jamais plus de 11 heures).

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Un peu plus tôt dans l’année, du 1er mars au 8 juin, James Lawrence – dit « Iron Cowboy » – a enchaîné 101 Ironman en 101 jours sur un circuit de sa confection à Lindon, dans l’Utah. Le Canadien en avait déjà enquillé pendant 50 jours en 2015, record non homologué à cause d’un jour bouclé sur vélo elliptique, à la suite d’une chute qui l’avait empêché de continuer normalement. La même année, un Français, Ludovic Chorgnon, faisait un peu moins bien sur son défi 41 – 41 en 41 jours – mais il y avait mis les formes pour le graver officiellement sur les tablettes. « Il y avait un arbitre de la fédé de triathlon et des contrôles antidopage », explique le Loir-et-chérien.

« Répéter des Ironman, c’est très simple »

Vu de Terre, le caractère administratif des prouesses de ces extraterrestres semble bien superflu. S’il nous vient bien une question à l’esprit, c’est la suivante : ces gens sont-ils fous, inconscients ou les deux ? Chorgnon a beau se faire appeler « Ludo le fou », il réfute la théorie de l’inhumain. Pour lui, ces exploits sont tout ce qu’il y a de plus rationnel.

«  Répéter des Ironman, c’est très simple pour quelqu’un qui est habitué à en faire. Pour une personne dont c’est la routine depuis des années, c’est normal d'effectuer dix heures de sport par jour. Faire un Ironman par jour à un rythme moindre, c’est normal. »  »

La cascade est réalisée par un professionnel, n’essayez pas de la reproduire chez vous. Car en plus d’être surentraînés, ces athlètes de l’extrême font l’objet d’un suivi médical poussé. Le médecin Alain Aumaréchal connaît « le fou » par cœur pour l’avoir suivi dans le défi 41. Il raconte : « On a fait une sorte de point avant pour voir s’il n’y avait pas de problème. On partait un peu dans l’inconnu, donc on surveillait certains paramètres biologiques. Au bout de plusieurs jours, on s’est rendu compte que ces paramètres s’étaient normalisés malgré la poursuite de ses efforts. Ça veut dire que l’organisme s’y est habitué. »

Jusqu’à 10.000 calories ingérées au quotidien

Le stade de l’accoutumance ne s’acquiert pas sans une consommation calorique démentielle, conséquence d’une dépense énergétique à peine moins lunaire. Le Français ingérait plus de 9.000 calories pendant son challenge. James Lawrence, entre 6.000 et 10.000 calories par jour, dont 3.500 au petit-déjeuner (« des œufs et des pommes de terre sautées, tous les jours »). Si les facultés d’adaptation de l’estomac humain sont bien connues, il faut néanmoins aménager ses repas afin d’atteindre le total souhaité en 24 heures. « J’ai mangé toutes les heures des trucs très sains, des omelettes du boudin, et en général des aliments qui ne sont pas trop durs à digérer », raconte Ludovic Chorgnon. « Il faut que ça reste un plaisir, complète Alain Aumaréchal, parce que manger autant est un effort en soi. »

Difficile, enfin, d’évoquer des performances qui s’inscrivent dans le temps sans aborder le chapitre de la récupération. Massages et cryothérapie le soir, étirements et réveil progressif le matin, le Français avait sa routine pour entretenir la machine. « Le danger dans ce genre de défi est surtout mécanique, explique le médecin. Les tendons, les muscles, les os, jusqu’à quel point peuvent-ils tenir ? »

Ludovic Chorgnon, ici en plein dans son fameux 41e Ironman enchaîné en août 2015.
Ludovic Chorgnon, ici en plein dans son fameux 41e Ironman enchaîné en août 2015. - CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Au bout de la souffrance

Très loin, à condition de s’appeler James Lawrence. Lors de son défi de 101 jours, le Canadien a créé un nombre incalculable de déséquilibres physiologiques à partir d’une blessure à la cheville, entraînant une autre au tibia puis une dernière à la hanche. « À un moment donné, nous avons même cru que j’allais me casser la jambe à cause de tous les kilomètres parcourus, confiait "l’Iron Cow-boy" à Radio-Canada. La douleur est arrivée à un point tel que certains jours, je m’évanouissais presque, puis je revenais à moi et je continuais. » « Ludo le fou » :

«  L’idée, c’est de travailler pour n’avoir aucun point faible. Je dis une bêtise, mais si tu ne fais pas attention aux détails, tu peux rapidement avoir les pieds pourris par les ampoules et tu peux dire adieu au record. Si tu as un seul point de défaillance, tu es mort. »  »

Sans surprise, donc, le mode de vie n’est pas viable sur le moyen et long terme. Alain Aumaréchal évoque, entre autres, les disques usés et ce dos bientôt inadapté à la course à pied de Ludovic Chorgnon. L’activité physique à son paroxysme n’est plus celle dont on peut louer les bienfaits. « Ces gars n’auront pas l’espérance de vie de mecs qui font un peu moins de sport », conclut le médecin.


Notre dossier hors-terrain

Quel sens à tout ça ? A quoi bon hypothéquer à coup sûr les dernières années de sa vie ? Rait Ratasepp semble se contenter de vendre du rêve à ses suiveurs. En 2015, James Lawrence récoltait des fonds pour la Jamie Oliver Food Foundation (qui se bat contre l’obésité et pour l’éducation nutritionnelle). En 2021, il voulait se frotter à la contrainte du confinement en courant dans une aire réduite. Ludovic Chorgnon voulait prouver qu’il pouvait offrir une exposition au Loir-et-Cher. Une manière efficace de justifier tout un mode de vie et d'éviter de passer pour les fous qu’ils sont quand même un peu.