Ligue 1 : L’OL ou l’art du sabordage, une habitude qui vient de (trop) loin pour être corrigée ?
FOOTBALL•L’équipe lyonnaise perd régulièrement pied dans les dernières minutes, et ça fait plusieurs saisons que ça dureJulien Laloye
L'essentiel
- Battu à Nice alors qu’il menait 2-0 à la 80e minute, l’OL a explosé en vol.
- Une fébrilité au moment de conserver le score qui remonte à plusieurs années.
- Peter Bosz ne semble pas avoir pris conscience de la fragilité de ses troupes en fin de match.
Trois jours bientôt et ça pique toujours autant à l’OL. Deux buts d’avance à Nice, la deuxième place provisoire en poche, dix minutes à jouer, et puis le cirque Bouglione. Un sabordage maison que les supporters lyonnais ont l’impression d’avoir vu mille fois depuis Pep Genesio, en passant par Rudi Garcia, Sylvinho, et le petit dernier, Peter Bosz. Un petit goût de reviens-y qui ne pouvait pas laisser insensible l’équipe Excel de 20 Minutes. Une bonne heure à remonter tous les résultats de Lyon depuis la saison 2016-2017, et du lourd à l’arrivée :
En cinq saisons, 39 matchs de l’OL en C1 + L1 + coupes nationales ont basculé dans un sens ou dans l’autre à partir de la 80e minute, un chiffre énorme pour une équipe sensée maîtriser la plupart de ses adveraires. Sur ces 39 renversements de situation au sens large (une égalisation pour ou contre Lyon est prise en compte), 22 n’ont pas souri aux coéquipiers d’Houssem Aouar. Soit 57 % de points perdus en toute fin de match, dont quelques pépites irrésistibles que nous sommes obligés de rappeler :
- La toute première fois : OL-Bordeaux, le 19 août 2017. Un lob incroyable de Fekir, un carton rouge pour Darder, 3-1 à la 88e… 3-3 au coup de sifflet final après une praloche de Malcom.
- La confirmation : Monaco-OL en janvier 2018, 0-2 à la 30e, Monaco réduit à dix… 3-2 sur un pion de Rony Lopes à trois minutes de la fin. Clap clap.
- Le doublé : Hoffenheim en match de poules à l’automne 2018. Egalisation allemande à la 92e à l’aller comme au retour.
- La belle série : Signée Sylvinho à l’automne 2019. Amiens-OL ? Egalisation de Bodmer à la 91e. OL-PSG ? But de Neymar à la 87e. Brest-OL ? Egalisation de Court à la 85e. Le derby ? Défaite sur un but de Beric à la 90e.
- Le chef-d’œuvre : Comment oublier le match pour le titre contre Lille la saison passée ? 2-0 à la 30e, 2-3 sur un dernier contre de Yilmaz à la 85e.
Là, le suiveur neutre se dit que ça arrive à tout le monde, et que l’OL a aussi renversé des rencontres mal embarquées sur la fin (Depay au Vélodrome, Cherki à Louis II). Certes. Mais quand on joue le podium de L1 tous les ans, qu’on a un effectif meilleur que 90 % de la concurrence, on pourrait plutôt penser que l’idée est de gagner un maximum de points dans le dernier quart d’heure, pas l’inverse.
« Ensuite on disjoncte »
Comparons pour voir avec le Lille de Galtier, celui qui a joué le haut de tableau à partir de la saison 2018-2019. En comptant ce début de saison pas folichon, 19 matchs du Losc ont tourné dans le money time. A treize reprises, ces rencontres ont basculé côté nordiste, soit 32 % seulement de points perdus sur la fin !
L’éclairage lillois confirme le biais désastreux des Lyonnais à partir de la 80e minute, qu’on a tôt fait de mettre sur le dos d’un groupe mentalement défaillant, depuis quelques années. C’est l’explication avancée par la plupart des supporters et même par Léo Dubois, à chaud, après Nice :
« Je ne comprends pas. En première période, on était mille fois meilleurs qu’eux. Ensuite on disjoncte. C’est récurrent. Je pensais qu’on avait passé un palier mais ce n’est pas le cas. Techniquement, on était au-dessus d’eux sur le terrain. On a juste pété les plombs. Il faut qu’on regarde ce qu’il s’est passé, qu’on maîtrise nos émotions et qu’on grandisse mentalement ». »
Si on creuse un peu, pourtant, ces scénarios répétés trouvent des explications beaucoup plus rationnelles, qui devraient conduire JMA et Juninho à s’inquiéter un peu pour la suite.
Une équipe sans discipline tactique
A 20 Minutes, on a souvent rigolé de l’ADN lyonnais – « C’est n’importe quoi mais au moins on vibre » – qui nous a offert son lot de belles soirées européennes. Un grand foutoir théorisé par Genesio lui-même un soir où la pièce est tombée du bon côté : « Je ne sais pas si mon équipe est capable de jouer un match où l’on va se contenter de maîtriser, de bien défendre. On a une équipe joueuse, qui aime attaquer lorsqu’elle a le ballon, qui aime parfois se désorganiser pour bien attaquer ».
Hormis lors des grandes affiches qui le poussent à une auto-discipline salvatrice, l’OL des années Genesio s’est bâti sur un agencement pas toujours lisible de ses différentes individualités, alliant un certain panache offensif avec une désorganisation coupable à la perte du ballon. Aucun technicien lui ayant succédé, n’a réussi à apporter une stabilité défensive à une équipe qui évolue parfois, pour caricaturer, comme le Bayern avec le ballon, et comme Montceau-les-Mines sans. Un défaut de structure collective qui pèse particulièrement en fin de match, quand les joueurs piochent physiquement :
- Sylvinho a tenté d’en faire une équipe chiante à jouer, en vain.
- Rudi Garcia a fait le pari des transitions offensives à toute berzingue (on y reviendra).
- Peter Bosz croit qu’il est arrivé au Barça (on y reviendra aussi).
Des attaquants trop maladroits
Au-delà de son expulsion largement évitable, le match de Kadewere ne pouvait pas mieux résumer les faiblesses lyonnaises au long cours : des attaquants pas assez talentueux pour soutenir le modèle de jeu. Le Zimbabwéen a manqué deux énormes occasions qui auraient tout changé, si l’on considère que trois buts d’avance, même pour l’OL, ça suffit.
Deux ratés qui rappellent la fin de saison passée, quand Lyon a laissé échapper le podium à coups de face-à-face perdus. Toko Ekambi, affecté par un drame personnel, a ainsi terminé la saison avec les pires expected goals d’Europe ou pas loin, selon le site Understat, avec 14 buts marqués pour 18 qui auraient dû l’être. Selon ce critère propre, l’OL aurait d’ailleurs dû terminer la saison avec 3 points de plus, champion devant le PSG et Monaco, alors que Lille a surperformé à un niveau inédit (15 points de plus qu’espéré au vu du contenu des matchs).
En 2018-2019 déjà, l’OL était la seule équipe du wagon de tête à ne pas s’y retrouver en terme d’expected goals, aussi bien marqués qu’encaissés. Une réalité statistique qui aurait dû conduire le staff à choisir une autre approche tactique pour la fin de saison, même si c’est tout un art de la culture défensive qui manquait depuis trop longtemps pour tenir le 2-0 contre Lille au formidable outil.
Des coachs incapables de fermer la boutique
Ce sont les facteurs précédents qui, à force, créent une fragilité mentale dans l’effectif et non pas l’inverse. Raymond Domenech, qui ne dit pas que des bêtises, avait bien résumé la chose sur la chaîne L’Equipe, après le derby :
« Les Lyonnais jouent, ils attaquent, c’est bien. Mais ils ne font pas la différence. Parfois, ils se retrouvent en difficulté en laissant des boulevards à l’adversaire. À chaque fois que le ballon repart de l’autre côté, ils laissent quelqu’un de libre. Il y a des espaces partout, à droite, à gauche. C’est compliqué ! Ces problèmes défensifs ne sont pas d’aujourd’hui, mais l’OL doit aller vers autre chose » »
Ce quelque chose correspond-il à ce que Peter Bosz veut amener ? Le discours du coach lyonnais était très attendu après Nice. Allait-il prendre la défaite pour lui, comme les circonstances l’exigeaient ? Non, le coach lyonnais a publiquement tancé Emerson, après lui avoir demandé de monter tout le match, et défendu son choix de laisser un Kadewere hors du coup jusqu’au drame, une option qui avait déjà failli coûter cher en ligue Europa contre le Sparta Prague.
Sa deuxième intervention à froid, lundi soir, n’a pas plus rassuré :
« Je ne croyais pas que cette équipe pouvait jouer comme ça. Ça me donne beaucoup de confiance pour le futur. On voit une équipe qui joue ensemble, qui presse haut, avec beaucoup d’espaces dans le dos, qui joue bien au foot ». »
Ça fait joli sur le papier, et même sur le terrain, parfois, mais Peter Bosz sait-il vraiment où il est tombé ? Ces huit points perdus dans les arrêts de jeu depuis le début de saison ne tombent pas du ciel, et l’OL n’aura pas trois buts d’avance tous les samedis pour dormir tranquille. Dimanche, l’ancien coach de Leverkusen a succombé au fameux panic change (un cinquième défenseur pour finir) que les supporters lyonnais abhorraient chez Genesio et Garcia, comme s’il n’avait pas encore compris l’étendue du chantier. On lui souhaite bonne chance.