Ultra-trail : Comment l’ancien candidat de « Koh-Lanta » Mathieu Blanchard a « gagné en crédibilité » grâce à l’UTMB
PORTRAIT•Troisième du dernier Ultra-Trail du Mont-Blanc à Chamonix (171 km, 10.000 m de dénivelé positif), le coureur de 34 ans se lance ce vendredi sur le Marathon des Sables (250 km) dans le désert marocainJérémy Laugier
L'essentiel
- Le 28 août, Mathieu Blanchard a créé la sensation à Chamonix (Haute-Savoie), en bouclant l’Ultra-Trail du Mont-Blanc (171 km, 10.000 m de dénivelé positif) à la troisième place.
- En améliorant son temps de plus de 2h30 par rapport à sa première participation en 2018, le coureur de 34 ans a montré tous ses progrès et va intégrer le prestigieux Team Salomon international.
- 20 Minutes retrace le « parcours atypique » de cet ancien candidat de Koh-Lanta, qui se lance ce vendredi sur son premier Marathon des Sables (250 km) dans le désert marocain.
«J’ai eu l’impression de voler pendant toute la course. » Alors que même le quadruple vainqueur de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc (171 km, 10.000 m de dénivelé positif) François d’Haene a franchi la ligne en tanguant, le 28 août à Chamonix, Mathieu Blanchard a livré cette première réaction improbable juste après sa troisième place. « Ça a été une journée facile pour moi, confirme l’intéressé avec un mois de recul. Je n’ai eu aucun début de crampes ou même de courbatures deux jours après. Ça m’a permis d’avoir le sourire du début à la fin et d’échanger un peu avec le public. Sincèrement, à mon arrivée, j’aurais pu faire le chemin de l’UTMB en sens inverse. »
Comment un coureur ayant pris part à son premier trail il y a seulement cinq ans a-t-il pu atteindre un tel niveau de performance sur l’ultra le plus relevé au monde, bouclé en 21h12 ? « Je sais que j’ai surpris beaucoup de monde, sourit l’athlète de 34 ans. La plupart des participants n’avaient jamais entendu parler de moi avant cet UTMB car je courais surtout au Québec ou dans les Tropiques, où caméra et sponsors sont absents. » La belle idylle entre Mathieu Blanchard et le monde du running remonte à son déménagement à Montréal durant l’hiver 2014.
Notre dossier sur le trailUn premier footing en 2014, et un premier trail « catastrophique » en 2016
A l’époque, cet ancien pratiquant de « sports à adrénaline » (BMX, snowboard, kitesurf, plongée sous-marine) sort de plusieurs années en tant qu’ingénieur à Paris qu’il résume ainsi : « la fête en boîte de nuit tous les week-ends et absolument zéro sport ». « A Montréal, je voyais plein de monde courir sur la colline du Mont-Royal, avec collants et barbe complètement gelée, je trouvais ça stylé, se souvient le trentenaire originaire de Cavaillon (Vaucluse). J’ai démarré la course à pied en mars 2014, à -20°C, pour tenter de me remettre en forme. Je voulais donc aller au Mont-Royal, qui était à 3 km de chez moi, mais je n’ai même pas été capable de m’y rendre. Je crois que ça a touché mon ego. »
La réaction de son ego est immédiate : une inscription au marathon de Montréal (42 km) pour septembre 2014. Durant six mois, Mathieu Blanchard s’entraîne tous les jours et se documente sur la course à pied. Il boucle l'épreuve en 3 heures, une performance de choix pour un novice. Sur sa lancée, il enchaîne une dizaine de marathons sur la côte est américaine, avec un record personnel à 2h32 à Chicago. L’amateur de poutines (« un bon plat de récupération finalement ») participe à son premier trail au Québec en juin 2016 sur les conseils d’un ami.
« Je n'étais même pas au courant qu’on pouvait courir en montagne. Ce premier trail était catastrophique pour moi, je ne savais ni monter ni descendre. Je me faisais dépasser par des grands-mères. » »
Un premier « gros tournant » avec Salomon dans l’Utah en 2017
Mais dès le mois suivant, les grands-mères canadiennes n’ont plus la chance de côtoyer Mathieu Blanchard sur les courses, puisqu’il boucle le Québec Méga Trail (48 km, 2.500 m de dénivelé positif) en deuxième position, avant de remporter l’Ultra-Trail Harricana (80 km, 2.400 m de D+) en septembre. Le premier d’une longue série de succès pour cet ovni de la discipline, passé de débutant sur courte distance à vainqueur d’un ultra en trois mois.
Le premier « gros tournant » de sa carrière survient en mars 2017, lorsqu’il est retenu pour la Salomon Ultra-Trail running academy (SURA), à savoir une semaine dans l’Utah avec une quinzaine de jeunes coureurs identifiés « à potentiel ». « Je l’ai sélectionné car il présentait vraiment un profil atypique, raconte Grégory Vollet, manager du Team Salomon international. Il apprend très vite, quand on voit comment il a fait son chemin du marathon à l’ultra-trail en accéléré. » Tant qu’à faire, Mathieu Blanchard boucle à la fin de cette semaine d'apprentissage l’ultra Behind the Rock (80 km, 2.200 m de D+) en deuxième position. De quoi convaincre Grégory Vollet de l'intégrer au Team Salomon Canada.
Une souplesse professionnelle cruciale en 2019
Vainqueur d’ultras toujours plus longs par la suite en Martinique (144 km), en Guadeloupe (155 km), et même sur la GoreTex Transalpine Run (280 km en sept étapes), il tente pour la première fois en 2018 l’UTMB, qu’il conclut à la 13e place en 23h53 (soit plus de 2h30 de plus qu'en août dernier). Autant de perfs significatives qui le poussent à démissionner, en janvier 2019, de son poste d’ingénieur à Montréal. Le voilà désormais directeur commercial de la Clinique du coureur, organisme de formation devenu une référence mondiale en prévention des blessures en course à pied.
« Pour franchir un cap, j’ai compris que je devais trouver un mode de vie différent de mon 8 heures-17 heures au bureau toute la semaine, explique l’intéressé. Là, je suis en télétravail à 100 % et sans horaire. J’organise donc comme je le veux ma charge d’entraînement d’ultra-traileur. » Une souplesse qui a incité ce « nomade » à passer les six mois précédant l’UTMB 2021 dans les Alpes, avec de nombreuses sessions d’entraînement de plus de 6 heures au-dessus de 2.000 m d'altitude.
Il privilégie « Koh-Lanta » à la Diagonale des Fous en octobre 2019
Un pari gagnant, tout comme sa stratégie mise en place en amont avec Grégory Vollet, à savoir « une accélération constante pour que ma deuxième partie de course soit plus rapide que la première ». Une rareté dans l’ultra-trail, où les ravages physiques sont souvent nombreux à partir de 80-100 km parcourus. En octobre 2019, Mathieu Blanchard aurait dû prendre le départ d’un autre monument de l’ultra, la Diagonale des Fous à La Réunion (165 km et 9.576 m de D+). Sauf qu’il a été contacté trois jours avant le départ de la course par la production de Koh-Lanta, et qu’il a tranché en faveur de la célèbre émission de TF1. Si son aventure sur Les 4 Terres a tourné court, sa popularité a explosé à partir de la diffusion en septembre 2020.
« C’était une expérience géniale de ma vie qui m’a beaucoup apporté au niveau de la visibilité sur les réseaux sociaux, confirme-t-il. Mais je préfère être reconnu en tant que Mathieu Blanchard coureur d’ultra-trail, et non Mathieu Koh-Lanta [son pseudo actuel sur Instagram, Facebook et Twitter], un produit de la téléréalité. » Son podium à l’UTMB lui a clairement « fait gagner en crédibilité » dans le monde de l’ultra. Dauphin de François D’Haene, le 28 août à Chamonix, Aurélien Dunand-Pallaz résume la vision du monde du trail sur Mathieu Blanchard.
« Oui, son expérience sur "Koh-Lanta" lui colle un peu à la peau sur le circuit. Je le connais encore peu mais honnêtement, je ne le prenais pas pour un rigolo arrivant de "Koh-Lanta", loin de là. Je savais qu’il avait un très bon niveau, même si je ne l’attendais pas à ce niveau-là sur l’UTMB. » »
« Mathieu a un statut un peu people »
Depuis cette épatante performance estivale autour du Mont-Blanc, Mathieu Blanchard avoue avoir reçu « de grosses propositions financières de plusieurs sponsors ». Mais Grégory Vollet confie à 20 Minutes que celui-ci va désormais intégrer le Team Salomon international, qui ne compte que huit traileurs et huit traileuses de très haut niveau, dont les références absolues Kilian Jornet et Courtney Dauwalter.
Pour Salomon, cette « image Koh-Lanta » n’a pas été un frein, bien au contraire. « Mathieu a un statut un peu people, entre sa participation à l’émission et son couple avec Alix [coach sportive actuellement dans Koh-Lanta, La Légende], évoque Grégory Vollet. Il va nous permettre de toucher une audience que la marque n’avait pas jusque-là via le trail. »
« Confiné » en Gaspésie, pour un projet « off » dingue de 650 km
Son nouveau challenge est d’ailleurs lié à Koh-Lanta, puisqu’il va s’élancer, ce vendredi matin, sur le premier Marathon des Sables de sa vie, aux côtés d’Alix, mais aussi de Dorian (ex-candidat des 4 Terres) et de son ami aventurier Loury Lag. Au menu 250 km en sept jours, en autosuffisance alimentaire, dans la chaleur du désert marocain. « Je reste un compétiteur donc pourquoi pas aller titiller les Marocains, qui sont un peu intraitables sur leurs terres », sourit-il.
Ce MDS serait presque un format court pour Mathieu Blanchard, en comparaison de son projet off lancé l’an passé, en raison du Covid-19 et de l’annulation de la plupart des courses. L'ultra-traileur avait en effet bouclé les 650 km (30.000 m de D+ !) du seul GR d’Amérique du nord (le GR A1), dans la forêt gaspésienne (Québec), en sept jours. Le film Confiné, récit de son défi XXL, a connu le mois dernier un sacré succès au Canada, avec une vingtaine de projections à guichets fermés. De quoi conforter Mathieu Blanchard dans ses envies de s'orienter vers une carrière « 50 % courses, 50 % défis d'aventurier ». Et 100 % dingo.