INTERVIEWTriple vainqueur de l’UTMB, Thévenard se voit comme « un traileur lambda »

Ultra-Trail du Mont-Blanc : Le triple vainqueur Xavier Thévenard a « l’impression d’être un coureur lambda »

INTERVIEWMalgré une saison gâchée par le Covid-19 et la maladie de Lyme, le Jurassien Xavier Thévenard fera partie des favoris de l'UTMB (171 km et 10.000 m de dénivelé positif), vendredi (17 heures) à Chamonix
Jérémy Laugier

Propos recueillis par Jérémy Laugier

L'essentiel

  • A 33 ans, Xavier Thévenard a déjà tout raflé sur l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, entre trois UTMB, ainsi qu’une CCC, une TDS et une OCC. Il pourrait devenir le premier coureur de l’histoire à remporter quatre sacres sur l’épreuve reine de l’ultra, qui partira de Chamonix vendredi (17 heures).
  • Le traileur jurassien vit une saison très complexe, en raison d’une forme « coriace » de Covid-19 contractée et de la maladie de Lyme.
  • Pour 20 Minutes, celui-ci s’est longtemps confié sur ses ambitions pour cet UTMB 2021, ainsi que sur ses convictions écologiques, qui le poussent à ne plus prendre l’avion depuis un an.

Difficile de trouver meilleur ambassadeur du Jura que Xavier Thévenard. Le coureur de 33 ans est ainsi encore plus emballé à l’idée de décrire ses récentes cueillettes de framboises et de champignons, ou encore ses pièges photographiques de lynx, dans son massif de cœur, que de se projeter sur un possible quatrième sacre historique sur l'Ultra-Trail du Mont-Blanc (départ à 17 heures vendredi).

Après ses succès en 2013, 2015 et 2018, celui-ci est recordman, avec Kilian Jornet (absent cette année) et François D'Haene, du sommet mondial de l’ultra (171 km, 10.000 m de dénivelé positif). Le membre de l’équipe On, qui se consacre à 100 % à sa discipline depuis 2019, après avoir été éducateur sportif en kayak, VTT et escalade, ainsi que moniteur de ski de fond et diplômé en menuiserie et charpenterie, a accordé une interview toute en humilité à 20 Minutes.

Vous avez beau connaître cette épreuve par cœur, après avoir remporté trois fois l’UTMB, ainsi que la CCC (101 km), la TDS (119 km) et l’OCC (55 km), n’avez-vous pas le sentiment d’arriver sur cette édition dans le flou total ?

Il y a eu des hauts et des bas dans ma préparation. Ce n’était pas simple mais il faut relativiser et composer avec le Covid-19 et la maladie de Lyme dans mon cas. J’ai eu la chance de détecter ça assez tôt. J’ai bien vu qu’un truc n’allait pas au niveau de mes sensations de course. J’ai donc fait une analyse poussée qui a révélé en septembre 2020 que j’étais en contact avec la Borrelia. J’ai eu les traitements pour éradiquer cette bactérie. J’ai peut-être des capacités un peu moindres aujourd’hui mais je reprends déjà du plaisir, c’est l’essentiel. De toute façon, sur un ultra, on ne sait jamais à quelle sauce on va être mangé. Le but, c’est de réduire les incertitudes.

Le premier succès de Xavier Thévenard sur l'UTMB remonte à 2013.
Le premier succès de Xavier Thévenard sur l'UTMB remonte à 2013. - JEAN-PIERRE CLATOT / AFP

N’y en a-t-il pas trop en l’occurrence, après plus d’un an de galère notamment marqué par votre « peur d’y rester » avec le Covid-19 ?

Le problème, c’est que j’ai entamé mon traitement pour Lyme avec des antibiotiques conseillés par les médecins. Et alors que je me sentais beaucoup mieux fin octobre, manque de bol : ma grand-mère est décédée du Covid-19. A ses obsèques, ça a été la double peine car je pense qu’on l’a tous attrapé là-bas, mon frère, mes parents… En raison de mon traitement antibiotique pour Lyme, j’ai pris cher, c’était vraiment coriace. Mais j’ai fait tous les scanners et tests d’effort possibles sur le plan cardiaque et pulmonaire. Les médecins m’ont rassuré sur le fait que je pouvais continuer à m’entraîner tranquillement.

Au vu de votre abandon le 25 juin au Lavaredo (120 km) après seulement 33 km, n’avez-vous pas songé à une saison blanche, en redoutant par exemple de souffrir d’un Covid-19 long ?

Non, car les oppressions thoraciques et la baisse d’énergie comme j’ai pu avoir au Lavaredo, c’est typique de problèmes liés à Lyme. Sans même parler de compétition, je ne me vois pas faire une année sans sport, ça fait partie de ma vie. J’ai envie de me dépenser, de découvrir des endroits et pour moi, ça n’était pas du tout envisageable de rester les bras croisés.

Xavier Thévenard s'apprête à retrouver pendant une vingtaine d'heures le redoutable parcours de l'UTMB, vendredi et samedi, comme ici en 2018 au niveau de Saint-Gervais-les-Bains (Haute-Savoie).
Xavier Thévenard s'apprête à retrouver pendant une vingtaine d'heures le redoutable parcours de l'UTMB, vendredi et samedi, comme ici en 2018 au niveau de Saint-Gervais-les-Bains (Haute-Savoie). - JEFF PACHOUD / AFP

Quel objectif pouvez-vous vous fixer pour cet UTMB au vu de ces conditions ?

A aucun moment avant un UTMB, je n’ai pu me dire que je venais pour la gagne. Ça ne m’a jamais traversé l’esprit de me donner pareil objectif avant un ultra. Je vais déjà combattre contre moi-même, faire du mieux possible et ensuite on verra le résultat, c’est comme ça que je fonctionne.

Kilian Jornet n’est pas là cette année, mais tout comme François D’Haene, vous pouvez entrer dans l’histoire en cas que quatrième succès sur l’épreuve reine de l’ultra…

Cette quatrième victoire, ce n’est pas du tout une obsession et même pas un instant je ne l’envisage. A chaque fois que je fais un résultat à peu près correct, je me surprends, je me dis que je me démerde pas trop mal sur ce format-là.

Pour la dernière édition de l'UTMB, en août 2019, Xavier Thévenard avait conclu la course à la deuxième place, battu par l'Espagnol Pau Capell. JEAN-PIERRE CLATOT
Pour la dernière édition de l'UTMB, en août 2019, Xavier Thévenard avait conclu la course à la deuxième place, battu par l'Espagnol Pau Capell. JEAN-PIERRE CLATOT - AFP

On est quand même au-delà d'« à peu près correct » quand on regarde votre parcours à Chamonix…

Oui ok, mais j’ai du mal à me projeter sur cet aspect de gagne, de compétition, d’adversité. J’ai vraiment l’impression d’être un coureur lambda qui se prépare du mieux possible et qui essaie de se dépasser. J’arrive à être à peu près bon sur des formats ultras mais c’est tout, ça n’a rien à voir avec un Kilian Jornet qui a un paquet de courses à son actif.

Vous avez annoncé l’an dernier ne plus vouloir prendre l’avion par « conviction écologique ». Ne regrettez-vous pas parfois ces déclarations, qui limitent forcément vos perspectives de palmarès ?

Non, et quand je vois le nouveau rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), ça me conforte encore plus dans ma décision. Il faut savoir faire des choix radicaux. La compétition et les performances, c’est bien beau, mais si demain on n’a plus les moyens de courir parce qu’il y a des incendies et des inondations partout… Etoffer son palmarès, ce n’est pas ce que je recherche dans l’ultra. Mon plaisir, c’est le dépassement de soi, c’est faire un beau truc que tu as en toi et pouvoir raconter des histoires derrière. Mais je me fous d’avoir plein de victoires. Aujourd’hui, j’ai bien conscience que pouvoir vivre de sa passion, c’est quand même cool et ça m’ouvre plein de portes. Mais si ça doit s’arrêter demain, tant que je pourrai aller courir le matin, c’est tip top, je ne demande pas plus.

Xavier Thévenard avait tenté en juillet 2020, en vain, de battre le record de la traversée du GR20 (180 km et 14.000 m de dénivelé positif) en Corse.
Xavier Thévenard avait tenté en juillet 2020, en vain, de battre le record de la traversée du GR20 (180 km et 14.000 m de dénivelé positif) en Corse. - Benjamin Becker

Devoir tirer un trait sur d’éventuels projets « off » dans des endroits dont vous pourriez rêver à l’autre bout du monde n’a-t-il pas été difficile ?

Même pas, car je n’aime pas perdre mon temps dans un avion ou une voiture. J’ai eu cette chance d’aller parfois aux Etats-Unis et au Japon pour des courses. A chaque fois, je me dis qu’on est trop bien à la maison [autour de la station des Plans d'Hotonnes] et je suis trop content de rentrer dans le Jura. Mes beaux-parents n’ont jamais pris l’avion de leur vie et ce n’est pas pour autant qu’ils sont malheureux. Il y a encore tellement de chemins à découvrir autour de la maison. Donc non, je n’ai aucun regret par rapport à cette décision. Il faudrait surtout revoir à grande échelle notre société de consommation.

Notre dossier sur le trail

Le trail est une discipline tournée vers la préservation de la planète. Votre prise de position tranchée a-t-elle provoqué des échanges entre les principaux coureurs du circuit ?

Je ne suis pas venu en donneur de leçons ou pour créer une polémique. J’avoue que je ne m’attendais pas à ce que ça fasse autant de remue-ménage. Ça n’est que mon choix perso par rapport à mes convictions. Chacun fait comme il veut avec ses contraintes et ses obligations de vie. J’ai la chance de ne pas avoir besoin d’aller à l’autre bout du monde pour courir. L’UTMB, qui est la course la plus réputée et celle que les partenaires veulent que je coure, est à moins de 2 heures de la maison, donc c’est une opportunité incroyable. Les partenaires me suivent à fond sur ma prise de position. Si ça a pu faire un peu prendre conscience de certaines choses à des gens, tant mieux. Des coureurs amateurs m’ont remercié avant des départs de course.

L’essentiel pour vous, c’est de pouvoir continuer à poser des pièges photographiques à lynx dans votre Jura, non ?

(Sourire) Depuis tout gamin, je vis dans un milieu naturel et je suis très attaché à la faune et à la flore. Le lynx est un animal emblématique du Jura et mon frère Jean-Marie, qui fait aussi l’UTMB cette saison, en est un passionné et il a quelques pièges photos sur le secteur. J’en profite donc souvent aussi. C’est comme un jeu, il faut repérer par où le lynx passe fréquemment, afin de comprendre son environnement. Je pars dans les bois quand j’ai des moments calmes et ça m’arrive de me poser et d’attendre encore et encore. Voir un lynx dans une vidéo issue de notre piège, c’est déjà cool. Mais je peux vous dire qu’en observer un en vrai, c’est palpitant, ça procure des émotions de dingue.