FOOTBALLL'art du « hygge », le secret de la réussite danoise à l'Euro 2021

Danemark-Angleterre : Connaissez-vous l'art du « hygge », le secret de la réussite danoise ?

FOOTBALLEquipe surprise des demi-finales de l'Euro 2021, le Danemark semble revivre l’Euro 1992, où les Scandinaves avaient été sacrés à la surprise générale. Malgré le malaise cardiaque d’Eriksen, la sélection cultive un certain art de la détente
Xavier Régnier

Xavier Régnier

Vivre ensemble et sans pression, voilà comment on pourrait définir l’art de vivre à la danoise. « Au Danemark, nous avons le mot " hygge " pour dire qu’on passe du bon temps ensemble. C’est très important dans notre culture. On veut s’amuser et on ne réussira jamais sous une grosse pression », explique le journaliste danois Morten Crone Sejersbol. Tranquille, le sélectionneur national lui-même, Kasper Hjulmand, s’est assis les pieds dans le sable pour discuter avec son homologue du hand lundi, à 48h d’une demi-finale européenne. Autre époque, autres mœurs, l’équipe de l’Euro 1992 avait aussi beaucoup « hygge » : bières, piscine, présence de leurs femmes…

« Ils étaient un peu en mode Club Med », s’amuse Patrick Guillou, consultant pour BeIn Sport. L’histoire est désormais bien connue : en vacances après une qualif ratée, l’équipe avait été soudain rappelée pour aller jouer l’Euro à la place de la Yougoslavie. Pas encore remis de leurs coups de soleil attrapés à la plage, les Danois avaient enchaîné une préparation physique express avant de remporter l’Euro à la surprise générale, tout en fêtant chaque victoire dignement.

« Ils ont décidé de s’arrêter au McDo »

Décontractés, les Danois l’étaient aussi à la Coupe du Monde 1998. Antoine Calvino, chargé à l’époque de faire le lien entre le comité d’organisation et le service presse danois, se souvient : « C’était à la cool. L’équipe avait été invitée à faire un tour en bateau dans les calanques, dans le Var. La bouffe était dégueulasse. Ils ont donc décidé de s’arrêter au McDo pour manger à la bonne franquette, en pleine compétition. » Si le football est devenu plus sérieux depuis, et qu’un tel épisode ne serait plus possible, l’équipe danoise continue les activités détentes, « comme des spectacles de stand-up ou des compétitions amicales », avance Morten Crone Sejersbol. Il paraît que ça chambre sévère après les parties de minigolf et de tir à la carabine.

La vie de la sélection danoise, aux airs de groupe de potes, a aussi été transcendée par des drames partagés. En 1992, les Danois voient Henrik Andersen terminer sa demi-finale à l’hôpital, la rotule hors du genou, et Kim Vilfort multiplier les allers-retours au chevet de sa fille de 7 ans, atteinte d’une leucémie. Cette année, il y a eu le choc d’avoir vu leur maître à jouer inanimé sur la pelouse de longues minutes. « Ils resteront marqués à vie, comme tous ceux qui étaient au stade ou derrière la télé », avance Patrick Guillou.

Douchés, alors que Copenhague accueillait là son premier match dans une grande compétition, les supporters danois se sont encore plus rapprochés de leur équipe nationale. Morten Crone Sejersbol : « Les gens attendent les joueurs à la sortie de l’hôtel, les accompagnent sur l’autoroute. C’est fort et l’incident avec Eriksen rend ça encore plus fort. » Protégés et accompagnés par leur sélectionneur psychologue Kasper Hjulmand, « les joueurs se sont ouverts, ont partagé leurs sentiments et montré que ce n’est pas grave de chanceler. C’est très puissant et les fans aiment ça », sourit notre journaliste danois.

FaceTime et football offensif

Très proche d’Eriksen, Simon Kjaer n’avait pas pu aller au bout du match contre la Finlande, après avoir contribué à sauver son ami et consoler sa femme sur le bord du terrain. Ravis d’accueillir enfin un Euro et à fond derrière leur équipe, de nombreux fans ont accroché le drapeau rouge et blanc à leur fenêtre, et une cinquantaine de chanceux ont passé un moment en FaceTime avec leurs idoles.

L’élan de soutien à la sélection danoise dépasse aujourd’hui largement le cadre de la péninsule scandinave. Tout l’inverse de la situation en 1992. Alors emmenée par le pragmatique, voire frileux Richard Moller-Nielsen, la sélection est boudée par les fans et son joueur phare, Michael Laudrup, qui refuse de venir à l’Euro. « Il n’y avait pas d’attentes, le mouvement a commencé à prendre après le bon match contre l’Angleterre (0-0, pas mal pour des vacanciers). C’était en Suède alors beaucoup de Danois pouvaient venir aux matchs. Quand l’équipe est rentrée au pays, c’était fou », explique Morten Crone Sejersbol.

La même fusion, avec l’accident d’Eriksen, entre la sélection et le public danois donne aujourd’hui « une force collective impalpable, euphorique » à l’équipe selon Patrick Guillou, qui se réjouit déjà de commenter la demi-finale. En mission pour Eriksen et leur pays, les joueurs « assument leur statut, avec une animation offensive répartie sur plusieurs épaules : Dolberg, Braithwaite, Darmsgaard, Larsen. » Un football frais, joyeux, presque insouciant, à l’opposé de ce que proposaient leurs aînés de 1992, plus restrictifs. Une manière d’offrir au public danois, en guise de communion, un vrai moment de « hygge ».

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