FOOTBALLQue cache la dispute russo-ukrainienne autour du maillot jaune et bleu?

Euro 2021 : Soft power et point Godwin... Que cache la dispute russo-ukrainienne autour du maillot jaune et bleu?

FOOTBALLLe maillot ukrainien cristallise les tensions diplomatiques entre la Russie et l'Ukraine, en conflit depuis 2014
William Pereira

William Pereira

L'essentiel

  • Le maillot de l'Ukraine est à l'origine d'une polémique avant l'entrée en lice des hommes de Shevchenko contre les pays-Bas
  • Celui-ci arbore une carte du pays où figure la Crimée, annexée par Moscou en 2014 et un slogan qui ne plait guère à la Russie
  • L'UEFA essaye de contenter les deux camps, mais les négociations sont compliquées

Rappelez-vous, c’était au printemps dernier. Un maillot de foot ukrainien – celui du modeste Metal Kharkiv (3e division) – connaissait une hype improbable à Lyon sous l’effet de la signature de l’ancien espoir de l’OL, Farès Bahlouli. Un joli conte, comme savent nous en produire les réseaux sociaux qui s’était soldé par des messages privés sur Instagram et une ou deux commandes groupées pour assouvir la frénésie des supporters gones.

Trois mois plus tard, un autre maillot ukrainien, celui de la sélection, est au centre de l’attention. Cette fois, l’histoire est un peu plus sérieuse : c’est que le maillot frappé de la carte du pays présenté par l’Ukraine pour l’Euro 2021 offense le voisin russe, à qui deux détails n’ont pas échappé. D’une, la fameuse carte inclut la Crimée – annexée par Moscou en 2014 – et de deux, une formule à forte connotation politique (« gloire à l’Ukraine, gloire aux héros ») se cache dans les détails de l'habit.

« Du Sport power »

Une double allusion au soulèvement populaire pro-occidental de Maïdan, en 2014, qui avait évincé le président soutenu par le Kremlin, Viktor Ianoukovitch, dont ne se cache pas le président actuel, Volodymyr Zelensky. Ce dernier arborait mardi la nouvelle tunique sur Instagram après les critiques russes : « Le nouveau maillot de la sélection de football ukrainienne n’est en effet pas comme les autres. Il peut choquer. Il comporte plusieurs symboles importants qui unissent les Ukrainiens. » Ajoutez à cela les applaudissements de l’ambassade britannique à Kiev dont le personnel a fièrement posé avec l’habit de la discorde et vous obtenez un climat glacial en plein mois de juin.

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« C’est clairement une stratégie de soft power ou de sport power, analyse Lukas Aubin​, chercheur spécialiste de la Russie et auteur de La Sportokratura sous Vladimir Poutine : une géopolitique du sport. L’idée, c’est d’utiliser l’événement sportif pour exister sur la scène internationale et faire passer un message qui est assez clair à travers les deux slogans et surtout, plus important encore en intégrant la Crimée et le Donbass. Il s’agit ici de remettre au goût du jour le conflit qui existe toujours entre la Russie et l’Ukraine et la guerre qui continue au Dombass », région en partie gérée par des séparatistes soutenus par Moscou et dont Kiev cherche à reprendre le contrôle depuis 2014, bien que le conflit soit pour l’heure relativement gelé. « Mais on sait très bien que l’étincelle pourrait relancer la machine pour le pire », prévient Aubin.

Pour le moment, le feu ne prend pas, mais les deux camps se livrent une bataille diplomatique par coups de fil interposés à l’UEFA qui tantôt valide le maillot ukrainien, dont les frontières sont conformes aux traités internationaux, tantôt explique « après une analyse plus approfondie », que la mention « Gloire à nos héros » est « clairement de nature politique » et « doit donc être retirée […] en vue des matchs de l’Euro 2021. »

T’es pas content ? Point Godwin

Une décision venue récompenser le travail de sape de Moscou, dont certains membres du gouvernement se sont évertués à rappeler avec un peu de mauvaise foi que ce chant était jadis aussi entonné par des nationalistes qui marchaient au côté de nazis. « Pendant la guerre, ce cri de guerre nazi a été utilisé par les unités armées ukrainiennes nationalistes régulières et irrégulières », a ainsi assuré dimanche Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, sur l’application Telegram, qui de fait réécrit un peu l’histoire par omission. Précisions de notre chercheur :

« « Il faut distinguer plusieurs choses : d’une part le slogan existait avant l’apparition du fascisme et des nazis en Allemagne. Ces deux slogans étaient des slogans nationalistes destinés à libérer l’Ukraine, lui accorder l’indépendance, et ça datait du début du XXe siècle. Ensuite, il est vrai que des nationalistes ukrainiens ont collaboré avant et pendant la Seconde Guerre mondiale avec les nazis. Ils utilisaient ce slogan comme vecteur de fierté. Mais le slogan ne se limite pas à ça. Par ailleurs, il est intéressant de constater que cet argument du fascisme et du nazisme est régulièrement dirigé contre des pays de l’ex-URSS qui déplaisent à Moscou, car ils ne respectent pas le «pacte» post-soviétique qui veut que la Russie soit dépositaire de l’héritage soviétique et que les anciens pays soviétiques doivent lui prêter allégeance de façon naturelle. Dès lors que ces pays ne le respectent pas on leur ressort cet argument, qui est littéralement un point Godwin. » »

Si la réaction peut sembler excessive, il faut comprendre que l’agacement de la Russie n’est pas seulement géopolitique. Car celle-ci avait d’autres plans pour l’Euro 2021, dont elle entendait se servir pour améliorer son image dans la lignée du Mondial 2018, d’autant plus que le forfait de Dublin en tant que ville hôte fait de Saint-Pétersbourg l’égale de Londres à un match près (7 rencontres contre 8).

« C’est un coup supplémentaire pour le sport russe, si l’on compte en plus les six ou sept années d’affaires de dopage et les suspensions qui en ont découlé, conclut Lukas Aubin. La Russie pensait pouvoir profiter tranquillement de l’Euro pour donner une belle image de son pays mais ça ne sera pas le cas. Avant ça, on continuera de parler des tensions entre les deux pays. »

L’UEFA ne satisfait personne

L'affaire semble néanmoins toucher à sa fin. La mention « Gloire à l’Ukraine » est jugée valide par l’UEFA car seule, elle correspond à un chant de supporters dépolitisé. Ce qui n’était pas l’avis de la Fifa lors du Mondial 2018. A l’époque, Zurich avait tapé sur les doigts du Croate Domagoj Vida – alors joueur du Dynamo de Kiev - pour avoir crié les trois mots après la victoire de son équipe aux tirs au but contre la Russie.

En revanche, la mention gloire aux héros fera partie d'un nouvel élément ajouté à l'intérieur du maillot, a affirmé sur Facebook le président de la fédération ukrainienne de football (AUF) Andriï Pavelko. Selon l'UEFA, la sélection ukrainienne masquera cette phrase brodée à l'intérieur du col de la tunique jaune et bleue par un tissu représentant « la carte de l'Ukraine », entourant « le logo de la fédération ». « Donc on ne le verra ni de l'intérieur, ni de l'extérieur », assure l'instance. Une petite victoire pour l'Ukraine, qui assure en revanche que le maillot disponible à la vente restera lui inchangé.