Rugby féminin : « Les cinq prochaines années vont être superbes », annonce Marjorie Mayans, cadre du XV de France
INTERVIEW DU LUNDI•Malgré la défaite des Bleues samedi en Angleterre, la troisième ligne ne cache pas son optimisme, pour le XV de France comme pour son sport en généralPropos recueillis par Nicolas Stival
L'essentiel
- Malgré une incroyable débauche d’énergie, le XV de France a perdu la finale du Tournoi des VI Nations, samedi face à l’Angleterre, bête noire des Bleues.
- Au-delà d’une frustration logique, Marjorie Mayans se projette vers un avenir qu’elle croit radieux.
- La Blagnacaise de 30 ans, dont près de 10 en Bleu, témoigne de « l’évolution extraordinaire » de son sport.
Encore un peu mâchée après l’âpre combat disputé la veille avec le XV de France, Marjorie Mayans a accordé un entretien à 20 Minutes depuis Marcoussis, ce dimanche à la mi-journée. L’infatigable troisième ligne de 30 ans, cadre aux 45 sélections, semble avoir déjà digéré la déception de la finale du Tournoi des VI Nations perdue samedi face aux Anglaises (10-6). La Blagnacaise préfère se projeter vers un avenir qu’elle s’imagine radieux pour les Bleues et le rugby féminin en général.
Quel sentiment domine à froid, après cette nouvelle défaite face aux Anglaises ?
De la frustration déjà. On n’a pas réussi à mettre notre jeu en place. Les Anglaises ont su ralentir tous les ballons, tous les rucks. Il nous a aussi manqué un peu de réalisme en début de match.
C’est la huitième défaite d’affilée contre votre bête noire vêtue de blanc. L’issue était inéluctable ?
Je pense qu’on n’est vraiment pas loin. Je ne m’inquiète pas trop. Nous sommes en construction, avec un groupe qui grandit et mûrit ensemble. Nous avons des joueuses aux qualités énormes. Il nous manque un peu de cette sérénité et de cette confiance qu’ont les Anglaises. Elles se sont construites sur la victoire et ont l’ascendant psychologique sur nous.
Est-ce qu’il n’y a pas une certaine logique derrière ces résultats, par rapport à l’avance structurelle du rugby féminin anglais ?
Peut-être qu’on a du retard, oui. Mais ce n’est pas quelque chose sur lequel je m’attarde. Nous avons quand même les armes pour rivaliser.
Le championnat d’Elite 1, avec de gros écarts de niveaux et donc de scores, pose tout de même problème, même si le format va changer et passer à 12 clubs…
Depuis quelques années, on va dire qu’on se cherche un petit peu… La FFR essaie plusieurs formules, qui doivent chaque fois être adaptées aux compétitions internationales. Cette année, c’était un Top 16. C’était encore compliqué mais je pense que d’ici deux ou trois ans, on aura un championnat assez homogène, cohérent.
Sur un plan plus général, peut-on dire que le rugby féminin n’a plus rien à voir avec celui de vos débuts internationaux, voici près de dix ans ?
Bien sûr. En termes de qualité, de réservoir de joueuses, il y a eu une évolution extraordinaire en dix ans. C’est normal, le rugby masculin a connu ça aussi à ses débuts. Il y a vraiment une professionnalisation de la pratique, avec des joueuses qui arrivent à 18 ans formées techniquement et physiquement. Je me régale à jouer avec ces jeunes déjà extraordinaires.
Les mentalités ont changé, je le vois aussi à Blagnac. Les filles qui jouent en équipe élite ont vraiment le sport comme priorité. Elles s’entraînent tous les jours, contre trois fois par semaine voici 10 ans. Si ce n’est pas des séances de rugby, quatre fois par semaine, c’est de la muscu ou autre chose. On est vraiment dans une dynamique de haut niveau dans laquelle certaines étaient déjà auparavant, mais pas toutes. Maintenant, c’est très homogène. C’est pour ça qu’aujourd’hui, le groupe France est très étoffé.
Et cela se ressent au niveau du rythme des matchs…
Oui, car on s’entraîne beaucoup plus. Les internationales, nous avons des séances en plus dans la journée. Même des filles qui ne sont pas en équipe de France les font avec nous. Tout le monde fait du rab.
Le match Angleterre-France a rassemblé plus d’un million de téléspectateurs samedi après-midi sur France 2. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
C’est hyper plaisant. Depuis 2014 et la Coupe du monde en France, on a constaté une explosion en termes de médiatisation. On espérait que ce ne soit pas juste un coup d’éclat. Finalement, ça continue. On se sent soutenues. Les gens sont contents de nous voir. Le rugby féminin évolue, le jeu aussi, et cela va continuer. Les cinq prochaines années vont être superbes, en France comme ailleurs.
Il existe pourtant encore des détracteurs, qui critiquent notamment une faiblesse dans le jeu au pied…
Ça n’a rien à voir avec une affaire d’hommes ou de femmes. Le rugby féminin est plus récent que le masculin et la professionnalisation chez les filles n’en est pas encore au stade des garçons. Quand on s’entraîne tous les jours, on progresse. Quand ce n’est que trois fois par semaine, c’est compliqué de produire du grand rugby. Les filles commencent de plus en plus jeunes. Quand je vois des gamines en école de rugby, je trouve ça génial. Les parents ont de moins en moins peur d’amener leur petite fille avec les garçons.
Bien sûr, il reste toujours quelques exceptions (l’arrière des Bleues Emilie Boulard, 21 ans, n’a commencé le rugby qu’en 2017). Ce sont des surdouées, avec d’énormes qualités physiques et techniques qu’elles ont sûrement développées dans d’autres sports, qui arrivent sur le tard et parviennent à se faire une place rapidement.
Avez-vous senti le regard sur le rugby féminin changer au fil du temps ?
Oui. Quand j’ai commencé à neuf ans, en 1999, on me disait « ah bon, tu es une fille et tu fais du rugby ? C’est bizarre… » Maintenant, plus personne n’est étonné, ou presque. Comme tous les sports, le rugby est mixte. Il est temps de dire que n’importe qui, homme ou femme, peut pratiquer le sport dont il ou elle a envie, sans être jugé sur sa virilité, sa féminité ou quoi que ce soit d’autre.
Quel est votre statut ?
Avec la FFR, on est semi-pros. Il y a une cinquantaine de filles sous contrat, entre les équipes de France à XV et à VII. Certaines pratiquent les deux disciplines.
Vous êtes l’une des têtes d’affiche du rugby féminin en France et bénéficiez aussi de sponsors.
Nous ne sommes malheureusement que quelques-unes dans ce cas. Ce serait bien que ça se généralise à toutes les filles, car c’est un vrai plus, que ce soit pour les équipements de sport ou les matériaux de récupération. Ça facilite la vie. Ceci dit, il est indispensable pour nous aujourd’hui d’avoir un double projet. On peut vivre du rugby mais ça peut s’arrêter du jour au lendemain et on ne gagne pas assez pour pouvoir se reposer sur ça. Pour la stabilité psychologique, c’est toujours bien aussi d’avoir autre chose dans sa vie.
Que faites-vous en dehors de votre sport ?
Je passe cette année mon diplôme d’entraîneur et l’an prochain, j’espère reprendre un Master 2 de Droit. Je ne veux pas qu’entraîner soit mon projet professionnel principal. J’ai surtout envie de devenir juriste d’entreprise, en côtoyant encore des sportifs.
Vous alterniez entre XV et VII jusqu’à l’an dernier. Pourquoi avoir arrêté ?
A cause du report des Jeux olympiques de Tokyo (de 2020 à 2021), annoncé lors du premier confinement. Je me suis posé la question de repartir un an de plus. Je voulais postuler pour les JO puis basculer à XV dans l’optique de la Coupe du monde (initialement prévue en septembre-octobre prochain en Nouvelle-Zélande, avant d’être repoussée en 2022). Je ne me voyais pas continuer un an de plus. J’ai tout donné avec le VII, je me suis régalée, j’ai passé des moments extraordinaires mais un an plus tard, je n’aurais peut-être plus été au niveau. L’équipe est actuellement en pleine forme, avec des jeunes extraordinaires arrivées ces trois ou quatre dernières années.
Revenons au XV de France pour terminer. La Coupe du monde initialement prévue en 2021 a donc été repoussée d’un an sur fond de crise sanitaire. C’est une bonne nouvelle ?
Oui, c’est plutôt une opportunité pour l’équipe de France (actuellement quatrième au classement mondial, derrière l’Angleterre, première, la Nouvelle-Zélande et le Canada) . Evidemment, lorsque nous avons appris la nouvelle, nous avons été super déçues. Quand tu te prépares pour un objectif et qu’on t’annonce que c’est reporté d’un an, c’est toujours compliqué mentalement. Mais ça laisse le temps de se préparer, de construire quelque chose de solide pour faire un bon résultat.