Elections à la FFF : « Nous sommes pris pour des imbéciles »… A Luzenac, le foot amateur entre colère et inquiétude
CRISE•Samedi, la FFF élira son président pour les quatre prochaines années. Entre compétitions gelées et visibilité nulle, le foot amateur n’a pas le moral, comme l’illustre l’emblématique exemple de LuzenacNicolas Stival
L'essentiel
- A Luzenac, on se soucie peu de l’identité du prochain président de la Fédération française de football, même si le nom de Frédéric Thiriez reste lié au mauvais feuilleton de l’été 2014.
- Voici sept ans, le petit club ariégeois se voyait refuser l’accès à la Ligue 2. Il évolue aujourd’hui en sixième division, mais n’a plus joué en championnat depuis le mois d’octobre.
- L’atmosphère au LAP, entre colère et inquiétude, reflète l’état d’esprit du football d’en bas, bousculé comme le reste de la société par l’interminable crise sanitaire liée au Covid-19.
Le sortant et favori Noël Le Graët ? L’outsider Frédéric Thiriez ? L’inattendu Michel Moulin ? Ce samedi, la Fédération française de football (FFF) connaîtra son patron pour les quatre ans à venir. À Luzenac (600 habitants environ), on ne retient pas son souffle en attendant l’identité de l’élu. Privé de la montée en Ligue 2 acquise sur le terrain au printemps 2014, le petit club ariégois est devenu — au fil d’un interminable feuilleton sportif, judiciaire et médiatique — le symbole du foot d’en bas.
Aujourd’hui, le président Christophe Rodriguez s’avoue surtout préoccupé par l’avenir de sa structure aux 300 licenciés, dont 200 à l’école de foot.
« Il y a un vrai manque de respect pour le monde amateur de la part de nos instances, peste-t-il. Quand je dis ça, je cible la FFF, pas les présidents de districts départementaux ou de Ligues régionales, qui appliquent ce qu’on leur dit depuis Paris. Maintenant, on attend que la Fédération prenne officiellement la décision d’une saison blanche. Mais ça, il fallait l’anticiper dès juillet 2020. Il fallait s’attendre à un retour de la crise sanitaire, alors qu’on a fait comme si tout allait bien ! »
« Thiriez a détruit le club »
Si les dirigeants actuels de la « 3 F » en prennent pour leur grade, Frédéric Thiriez n’est bien sûr pas épargné. Près de sept ans après, l’épopée avortée du LAP reste un chewing-gum collé aux semelles du principal opposant de Le Graët.
« Thiriez se présente comme le défenseur du monde amateur alors qu’il a détruit le club lorsqu’il était à la tête de la LFP », tonne Christophe Rodriguez, dont l’équipe première a vu sa saison en Régional 1 (sixième division) s’arrêter fin octobre, après à peine cinq rencontres.
Une partie de l’effectif à Toulouse, l’autre en Ariège
Depuis, ça bricole, comme dans tous les clubs de sport amateur de France. Le couvre-feu à 18 heures empêche les deux ou séances vespérales hebdomadaires. « On se retrouve une fois par semaine, le samedi de 10 h 30 à midi, détaille le coentraîneur Frédéric Ouvret. C’est avant tout une manière de garder une certaine cohésion, avec des séances ludiques. On propose aux joueurs de venir s’oxygéner après leur semaine de travail. »
Tout se passe à Castelmaurou, dans la banlieue de Toulouse, où réside une bonne partie de l’effectif du LAP, un club au fonctionnement unique. Ouvret se charge du ramassage dans l’agglomération au volant d’un minibus mis à disposition par le club, tandis qu’un autre véhicule, avec son associé David Gomes et une demi-douzaine de joueurs à bord, redescend la N20 puis l’A66 sur 130 km pour réaliser la jonction.
Les Ariégeois ont eu droit à une brève montée d’adrénaline fin janvier, lors d’un sixième tour de finale de Coupe de France presque incongru. Bilan : une défaite logique après seulement trois entraînements collectifs face à Colomiers, posté deux divisions au-dessus et bien plus affûté (0-4).
« Les têtes commencent à lâcher »
Aujourd’hui, ils jonglent comme tous les amateurs avec les normes sanitaires et les prescriptions pas faciles à tenir. « Faire du foot sans contact, ça veut dire quoi ? interroge l’entraîneur-chauffeur. Le foot, c’est du ballon, et jouer au ballon, c’est faire des oppositions. On essaie de tenir les gars, mais les têtes commencent à lâcher. On manque de visibilité. »
Un constat sportif, mais aussi économique, comme l’indique le président Rodriguez. « Nous sommes à -60 % de sponsoring par rapport aux années précédentes. Comment demander aux partenaires de verser de l’argent, alors qu’ils en économisent pour tenter de sauver leurs entreprises ? » Dans les mois à venir, le LAP s’attend à perdre des licenciés et des bénévoles. Après une saison 2019-2020 déjà tronquée au printemps, l’exercice 2020-21 n’a duré que deux mois. Il y a mieux pour fidéliser les joueurs.
« La FFF prélève la totalité du montant des licences. Mais la saison prochaine, je ne demanderai que 50 % du prix aux familles, si je suis toujours président. » Car devant des lendemains incertains, la flamme vacille même chez les plus dévoués.
« Je ne trouve plus aucun plaisir, je me demande si ça vaut le coup de continuer, confesse le patron du club, ancien directeur sportif lors de l’épopée qui a conduit le village du talc aux portes du professionnalisme. J’ai l’impression que nous sommes pris pour des imbéciles. Et il existe des clubs en plus grande difficulté encore que le nôtre ! »
Les interrogations du coach
Du côté de Toulouse, Frédéric Ouvret attend et s’interroge. « Quand on nous a imposé de jouer le tour de Coupe de France, on a subi des tests de dépistage du Covid, on a bien respecté le protocole et tout s’est bien passé. Pourquoi en N2, mais même en N3 ou en R1, on ne serait pas en mesure de reproduire cela pour jouer en championnat ? »
Quel que soit le verdict des urnes, le prochain président de la FFF va hériter d’une base en plein doute. Au fait : s’il s’agit de Frédéric Thiriez et qu’il décide d’entamer une tournée victorieuse, il peut déjà oublier une éventuelle étape à Luzenac.