PORTRAITCandidat à la FFF, l'éclectique Thiriez en campagne contre les clichés

Elections à la FFF : « J’ai senti les gens surpris… » L’éclectique Frédéric Thiriez en campagne contre les clichés

PORTRAITCandidat à la présidence de la FFF et ancien patron de la LFP, Frédéric Thiriez est un personnage connu dans le paysage du football français. Mais sans doute un peu sous-estimé
William Pereira

William Pereira

L'essentiel

  • Frédéric Thiriez est candidat à la succession de Noël Le Graët à la tête de la FFF.
  • L'ancien patron de la LFP est souvent moqué pour son apparence et critiqué à cause du dossier Luzenac.
  • Avocat à la cour de cassation, auteur d'un rapport sur la réforme de l'ENA et fort de 30 ans dans le foot français, Thiriez est pourtant un personnage qui compte.

A 68 ans, Frédéric Thiriez n’a pas trouvé le secret de l’immortalité, mais il y travaille. « La vie est extrêmement courte. Et le meilleur moyen de l’allonger, c’est d’en avoir plusieurs en même temps. » Embrasser les multiples facettes du candidat à la présidence de la FFF en trois quarts d’heure d’entretien constitue un défi presque aussi ardu que de chiper le trône de Noël Le Graët, mais le jeu en vaut la chandelle. Encore faut-il accepter de regarder outre cette moustache imposante, pilier d’une allure singulière que d’aucuns associent à une forme de snobisme envers le petit peuple. Ses soutiens jurent pourtant que c’est tout l’inverse.

« Sur le terrain, j’ai senti les gens surpris, comme tout le monde qui le rencontre pour la première fois, nous dit Sébé Coulibaly, internationale malienne et joueuse en D2 à Izeure présente sur la liste Thiriez. Il ne reflète pas l’image qu’on a de lui à la télé. Parfois, j’ai envie de le filmer pendant 24 heures pour que le monde voie à quel point il ne se prend pas la tête. »

On doit bien avouer que l’ancien patron de la LFP nous est apparu bien sympathique en arrivant seul dans nos locaux casque de moto à la main, cherchant à se faire couler un petit café. « 30 centimes ? A priori, c’est dans mes moyens », plaisante-t-il après un check du poing en guise de salut. Méfiance tout de même, rien ne nous dit que M.Thiriez ne jouait pas là un rôle : le théâtre fait partie des nombreuses cordes à son arc. Raphaël Mezrahi en sait quelque chose pour l’avoir fait jouer longtemps dans une de ses pièces, même si l’intéressé confie avoir un peu abandonné les planches récemment, faute de temps. « Mais je fais de l’opéra, c’est un peu entre le chant et le théâtre. Ma mère était chanteuse donc je dois avoir ça dans les gênes. »

Un énarque au secours du foot amateur

Le candidat à la succession de Le Graët a beau faire du football amateur son cheval de guerre, il n’en renie pas pour autant ses origines sociales. Il se considère « chanceux », ce qui arrive souvent quand on grandit dans le 7e arrondissement, est scolarisé au lycée Stanislas et qu’on accède à l’ENA. L'école des élites sur laquelle Thiriez a d’ailleurs rendu un rapport début 2020 répondant à la volonté d’Emmanuel Macron de réformer l’institution.

Celui-ci se réjouit d’ailleurs de constater que le président de la République a pris en considération une des 43 mesures dudit rapport. En l’occurrence, « démocratiser l’accès aux grandes écoles du service public, créer des classes préparatoires «égalité des chances» sur tout le territoire, formant les plus brillants de nos jeunes boursiers pour la préparation aux différents concours administratifs, l’ENA et les autres écoles. »

Un vœu pieu qui laisse entrevoir un intérêt du bonhomme pour ce qui peut se passer en bas de l’échelle, même si c’est sans doute un peu juste pour fragiliser le procès en démagogie intenté par l’opposition sur la question du foot amateur. En bon soldat, Deschamps lui-même s’en est pris au challenger numéro 1 de Le Graët, une intervention suivie d’une explication courtoise entre deux hommes « aux liens anciens » dixit Thiriez, qui profite de l’occasion pour se vanter d’avoir été le premier à suggérer DD à la tête des Bleus.

« « En 2008, après l’Euro calamiteux, il fallait évidemment changer de sélectionneur. Je suis allé voir Didier qui m’a dit oui. Ça l’intéressait vraiment. Je suis allé voir le président de la Fédé de l’époque, ils n’ont pas voulu et ont reconduit Raymond [Domenech] en octobre 2008. A l’époque, Noël Le Graët était vice-président de la Fédération, déjà très influent, et il a voté pour reconduire Domenech. Et je pense, peut-être que je suis présomptueux, que si on m’avait suivi et qu’on avait mis Deschamps en 2008, on n’aurait pas eu Knysna. Je vous en fiche mon billet. » »

Mediapro ? « C’était économiquement infaisable »

Un interventionnisme ironique. Alors président de la LFP, Thiriez reprochera plus tard à Le Graët de mettre un peu trop le nez dans les affaires du football professionnel, ce qu’il promet néanmoins de ne pas reproduire si toutefois il était élu. « C’est écrit noir sur blanc dans ma profession de foi. Respect de l’autonomie de la Ligue. Le foot ne peut bien marcher que si le président de la Fédé et de la Ligue s’entendent comme larrons en foire. Coup de bol, Vincent Labrune est un ami. »

Noël Le Graët, lui, n’a pas toujours été un obstacle sur la route de l’avocat à la cour de cassation. C’est même NLG en personne qui fait le forcing pour ramener l’homme de droit à ses côtés à la Ligue en 1995 à une époque où la judiciarisation du sport est embryonnaire. La suite est connue. En 2002, dix ans après son entrée dans le monde du foot via la porte du conseil fédéral de la 3F, Frédéric Thiriez est élu président de la LFP, où il se distinguera en se faisant décoiffer par Ezequiel Lavezzi à chaque finale de Coupe de la Ligue gagnée par le PSG, mais aussi en triplant (approximativement) les droits TV de la L1 et la L2. Une prouesse qui lui octroie naturellement le droit de chambrer ses successeurs pour la bourde Mediapro.

« « Mediapro est une boîte qui avait très mauvaise réputation à l’international, l’Italie les avait virés et tout le monde le savait. C’est un actionnariat chinois, donc s’il y a le moindre litige, bonne chance pour aller faire exécuter une décision de justice française en Chine. Et ensuite, le business plan tel que le donnait le patron de Mediapro lui-même ne tenait pas la route. C’était économiquement infaisable. Et finalement, les présidents de clubs membres de la Ligue se sont fait rouler. Ils ont été trompés. » »

Capture d'écran de la cérémonie de fête du titre du PSG le 19 mai 2013 lors de laquelle Ezequiel Lavezzi décoiffe Frédéric Thiriez.
Capture d'écran de la cérémonie de fête du titre du PSG le 19 mai 2013 lors de laquelle Ezequiel Lavezzi décoiffe Frédéric Thiriez. - Capture d'écran/20minutes

« Luzenac, Luzenac, Luzenac »

Des pierres noires, il y en a aussi dans le jardin de l’ancien boss de la LFP, et certaines pourraient bien lui coûter cher dans les urnes. La première concerne ses relations tumultueuses avec Bastia qui lui ont notamment valu d’être taxé de « raciste anti-corse » par l’ancien président du Sporting, Pierre-Marie Geronimi. Une escalade en trois actes :

  • En 2012, il ne s’est pas rendu en Corse pour remettre le trophée de champion de Ligue 2 aux Bastiais.
  • En 2015, il ne descend pas sur la pelouse du Stade de France à l’occasion de la finale de Coupe de la Ligue pour saluer Parisiens et Bastiais, ce dont il s’excusera trois ans plus tard, regrettant d’avoir écouté son entourage à la LFP qui lui avait unanimement déconseillé d’aller sur le terrain.
  • Enfin, il n’a jamais reçu officiellement le collectif des victimes de la catastrophe de Furiani du temps de ses mandats, malgré les sollicitations de ce dernier.

Un terrain hostile que Basile Boli, ami de longue date et membre de la liste Thiriez, s’évertue à débroussailler pendant la campagne, lui dont le déplacement et le discours sont légitimés par son statut de témoin du drame de 1992.

« « C’est quelque chose qui m’a touché dans ma carrière, je n’ai pas honte de le dire, confie le buteur de Munich. Jamais je n’avais vécu des morts sur un terrain de football. Ça m’a fait du mal. Je suis à 100 % d’accord pour qu’on fasse du 5 mai un jour de commémoration mais c’est à l’État et pas à Frédéric d’en décider. » »

L’autre tache d’encre dans le dossier du candidat s’appelle Luzenac, dont la montée en Ligue 2 avait été unanimement invalidée par le CA de la LFP, faute d’infrastructures adéquates pour accéder au monde professionnel. Une décision considérée comme légale et justifiée par le Conseil d’État mais dont Thiriez continue d’entendre parler. « On a fait des vidéos pour l'expliquer. Mais c'est normal qu'on m'interroge là-dessus. Je me mets à la place des supporters et des joueurs de Luzenac, je serais écoeuré. Mais il ne faut pas être écoeuré contre la Ligue qui a fait son boulot, mais contre les dirigeants de l'époque. » Même dans son camp, la question divise. « Luzenac, je suis à fond derrière eux, j’ai écrit un bouquin sur eux où j’ai écrit des passages entiers sur ce que je pensais sur la Ligue et la gouvernance du foot, commente Emmanuel Petit, soutien actif de l’ex-président de la LFP. Frédéric sait ce que j’en pense. Mais le seul argument qu’on lui oppose c’est ça. 'Luzenac, Luzenac, Luzenac". Ok, mais il a fait plein de bonnes choses derrière ! »

Frédéric Thiriez maillot à pois

Comme l’expédition Fraternité, dont le consultant de RMC Sport a été le parrain. L’idée ? Envoyer une cordée de 11 licencié(e) s de foot de banlieue escalader le Kala Patthar dans l’Himalaya et, à terme, favoriser leur insertion professionnelle. L’opération est un double succès. Huit sur onze arriveront au sommet et dix sur onze obtiendront un CDI en moins d’un an. Le choix du terrain n’est pas anodin. Alpiniste est un autre des mille visages de l’homme à moustache, qui a même écrit un dictionnaire amoureux de la montagne ainsi qu’un livre sur son ami et détenteur depuis 1988 du record de l’ascension en solitaire de l’Everest sans oxygène, Marc Batard. Thiriez : « Avec Philippe Deslandes, qui est mon guide et mon ‘’frère’’, on a fait un bon paquet des 4.000 d’Europe, une bonne dizaine. Après quoi je suis parti en Himalaya avec Pierre Maezau sur un 8.000. »

Il y est donc retourné avec les jeunes de Fraternité, dont Sébé Coulibaly faisait partie. Elle se souvient. « On le voyait galérer, il était fatigué, mais c’était lui qui nous disait de ne pas lâcher. Pendant l’ascension on avait aussi de longs discours sur le football féminin et comment l’améliorer. » C’est aujourd’hui l’un des axes de campagne de l’avocat qui souhaite atteindre le million de licenciées en dix ans, contre environ 200.000 actuellement. Celui-ci reproche en outre à la gouvernance actuelle de ne pas bien appréhender l’évolution de la pratique du football en France et de sous-estimer la fuite des adhérents vers d’autres formats attractifs.

« Je vois les 16-25 ans, j’ai deux fils de cet âge-là, leurs goûts ont changé. Parfois ça les embête d’avoir entraînement mercredi, match le week-end, prendre la licence, l’examen médical, etc. Et ils préfèrent jouer au foot à 5 avec leurs potes. Il faut que la Fédé arrête de considérer le foot à 5 comme un concurrent du foot à 11, c’est la même famille. Faisons venir les gens du foot à 5 dans nos clubs et faisons-le intelligemment. Vous avez déjà joué au foot à 5 ? Moi j’adore, c’est génial. » Frédéric Thiriez en joueur de Five, encore une facette qu’on n’avait pas vu venir. A ce rythme-là, il finira vraiment immortel.