INTERVIEW« J’ai couru avec des papas et leurs fils », Lizeroux évoque sa retraite

Ski Alpin : « J’ai couru avec des papas et leurs fils », sourit le néoretraité Julien Lizeroux à l’heure de faire le bilan

INTERVIEWJulien Lizeroux revient pour 20 Minutes sur son départ à la retraite, l’évolution du ski alpin et Alexis Pinturault qu’il couvre d’éloges
William Pereira

Propos recueillis par William Pereira

Julien Lizeroux n’était finalement pas éternel. A 41 ans, le skieur français a raccroché après une carrière bien remplie mais minée par les blessures. On lui reconnaîtra d’ailleurs une certaine capacité à rebondir et une constance dans la gaieté malgré la pléthore de coups durs. C’est sans aucun regret et satisfait de n’avoir enfin rien à faire qu’il se livre pour 20 Minutes, dans un entretien où il est aussi question d' Alexis Pinturault.

C’est donc terminé…

Je suis très heureux d’avoir pris cette décision. Je n’ai aucun état d’âme, aucun regret, aucune nostalgie. C’était le bon moment. Et puis surtout, je suis très heureux de la manière dont ça s’est déroulé. J’ai pu en profiter, partager tout ça avec toute l’équipe. Maintenant, j’en profite pour ne rien faire. C’est bien aussi de ne pas avoir d’objectif et ne pas se dire « je dois aller me coucher » ou « je ne peux pas boire de bière ». Je suis tranquille.

Il y a eu un petit hommage collectif ?

Une petite réunion la veille, teintée d’émotions avec des petits discours et des échanges avec tout le monde. Avec la situation sanitaire on a juste bu un canon tous ensemble en rentrant de la course à l’hôtel. Le lendemain on est tous allés faire un tour de ski de fond en équipe avant que je rentre à la maison.

Avoir le luxe de choisir son heure, c’est pas mal non ?

C’est important. Au début je m’étais toujours dit que j’arrêterais un jour en franchissant la ligne en bas. Je m’imaginais déchausser les skis puis dire « voilà, c’est terminé ». Et puis j’ai lu le bouquin de Martin Fourcade​ et j’ai discuté un peu avec lui de sa retraite. Lui a été forcé de l’annoncer un peu rapidement parce que la fin de saison a été annulée l’année dernière, et il m’a dit que c’était vraiment important de pouvoir prévenir tout le monde avant la course et de dire à tous ses partenaires et au grand public que ça serait la dernière. Ça m’a fait réfléchir. C’était pas du tout ma volonté au départ, mais le fait de l’avoir annoncé avant a été une bonne option ne serait-ce que pour les proches puissent regarder la course en se disant que c’était la dernière. Je suis content de cette décision. Donc merci Martin Fourcade.

Que retenir de cette longue carrière ?

Plus que les résultats, c’est l’état d’esprit, la manière. Se dire qu’avec un peu d’huile de coude, de l’entraînement, de la passion, on peut renverser des montagnes. J’ai toujours été un grand fan de sports, aussi bien la pratique que le fait de le regarder en direct, et c’est une vraie vie de privilégié de pouvoir faire du sport de haut niveau pendant 20 ans. Alors il y a eu des hauts et des bas, et, à vrai dire, plus de bas que de hauts… Mais les hauts intenses compensent largement le reste et le jeu en vaut la chandelle. Si c’était à refaire je n’aurai rien changé car c’est mon parcours qui est comme ça. J’ai appris de toutes les épreuves, j’ai appris des bons et des mauvais moments. Ça a forgé mon caractère.

On parlait de choisir sa retraite, il y a quand même eu des grosses blessures dans votre carrière. Vous vous êtes vu raccrocher à 32, 33 ans à cause de votre genou ?

En 2011, j’ai fait deux ans sans compétition et j’en étais tombé à un point où je me disais que le simple fait de retrouver une vie normale serait cool et que refaire de la compétition ne serait qu’un bonus. Finalement, j’ai bien fait d’être entêté parce que j’ai pu renouer avec le meilleur niveau mondial, j’ai quasiment pu continuer ma carrière pendant huit ans. Depuis quatre, cinq ans, je savais qu’elle pouvait s’arrêter du jour au lendemain, sans aucun regret. J’en ai profité au maximum mais le fait de terminer sur mes deux jambes et d’avoir décidé quand le faire, c’est cool. Grâce à ça je ne suis pas aigri et n’ai aucun questionnement sur la décision que j’ai prise.

Photo collector
Photo collector - ALESSANDRO TROVATI/AP/SIPA

Vous disiez récemment que ça commençait à tirer sur la machine. Qu’est-ce qui commençait à devenir pénible ?

Dans la vie quotidienne, sur les séances d’entraînement, j’étais moins explosif et donc moins performant. A côté de ça, tu as les jeunes qui sont en super forme et le niveau est tellement serré… C’est ce qui m’a fait défaut ces trois, quatre dernières années, surtout sur les bas de manches où, jusqu’au dernier temps intermédiaire j’étais dans le jeu et sur le dernier intermédiaire je m’effondrais. C’est juste le poids des années, et c’est pas grave ! C’est juste un constat. Mais ça devenait pesant parce qu’il fallait que je sois tellement concentré, tellement à 100 % que c’était extrêmement demandant en termes d’énergie. La compétition a toujours été un plaisir et là, la fatigue mentale commençait à prendre le pas sur le reste.

Vous avez quand même repoussé l’échéance très loin.

(Il rit) Oui, et puis c’est le cours naturel des choses. J’ai déjà eu la chance de pouvoir terminer ma carrière à un âge pas canonique mais disons pas très jeune. Et ce qui est cool c’est d’avoir pu skier avec tellement de générations différentes. J’ai attaqué avec celle de Luc Alphand, né en 1965, et je termine avec la génération des Clément Noël et des plus jeunes presque nés en 2000. J’ai couru avec des papas et des fils, c’est le petit clin d’œil marrant.

Le profil des vainqueurs de gros globes a évolué sur ce laps de temps. Sont-ils plus virtuoses qu’avant ?

Je ne pense pas. Auparavant, les athlètes qui gagnaient le général gagnaient dans toutes les disciplines. Ils avaient pas le choix. Maintenant il existe deux formats différents : celui du descendeur et celui du technicien. On en a de moins en moins si ce n’est plus aucun qui fait toutes les disciplines. Alexis [Pinturault] fait encore un peu de super G mais il ne fait pas les descentes. De toute façon, le calendrier imposé par la FIS est tel qu’il est impossible de pouvoir courir toutes les disciplines.

« Pendant dix ans on avait Marcel Hirscher qui gagnait tous les géants et slaloms et qui donc fatalement gagnait le général. Depuis qu’il a arrêté il y a deux ans, c’est plus la même chose. On l’a vu l’année dernière avec la victoire de Kilde et cette année, je l’espère, avec celle d’Alexis même si la saison n’est pas terminée. Donc des virtuoses non, au contraire. On en vient à des spécialistes et c’est le sport moderne qui veut ça. »

Il y a un côté calculs d’apothicaires pour gagner le gros globe aussi maintenant…

Exactement. Je pense que ce côté calcul, si on regarde bien, n’y sera pas pour rien si c’est ni Henrik (Kristoffersen) ni Alexis qui gagne le globe du général alors que c’étaient les prétendants tout désignés à la succession de Marcel. Mais à force de trop calculer, on en oublie de skier et il faut pas oublier que le ski reste un sport de sensations.

Pour rester sur Alexis. Qu’est-ce qui fait qu’il est le meilleur technicien ?

Ce qui m’a toujours convaincu depuis son arrivée, c’est son tempérament, sa personnalité. C’est un guerrier, un gagnant qui déteste perdre. Il n’aime même pas être deuxième. Ensuite, il y a son physique. Je l’appelle la bête parce que physiquement c’est vraiment une machine. Il est explosif, endurant, véloce. Il a vraiment su mettre ce physique au service de son ski. Et avec les années et l’expérience, il s’est assagi. Je le trouve vraiment serein. C’était le cas la saison dernière mais encore plus cette année. Ça se voit sur son visage et dans sa manière de skier. Il a déjà deux médailles dans ces championnats du monde et il a encore deux épreuves à disputer avant de replonger dans une belle saison à venir. Ça a toujours été et ça reste un coureur d’exception.

Quel regard portez-vous sur son évolution tout au long de sa carrière ?

D’abord, il a voulu individualiser sa préparation. Il a pu le mettre en place. Ensuite, il est un peu moins foufou mais ça c’est un truc qui vient l’expérience sur les skis. Il s’est moins imposé de vouloir skier vite sur toutes les portes à tout prix et de vouloir gagner la course avec deux secondes d’avance. Il a accepté que finir 2e, c’est pas une contre-performance, que 4e c’est pas non plus mauvais, que ça fait partie des étapes nécessaires pour avancer.

« Il suffit de voir la saison d’Alexis en slalom pour le vérifier : il n’est pas sorti une seule fois, il est monté deux fois sur le podium. Il y a toujours des mauvaises langues pour dire qu’il n’a pas gagné mais bon, aujourd’hui il est présent dans toutes les disciplines. Certes, il en gagne un peu moins, par contre il est vachement plus régulier et pour son objectif de ramener des Globes de cristal, c’est ce qui paye. »

Qu’est-ce qui, à son âge et son niveau, peut encore le conduire à évoluer dans sa manière de s’entraîner ?

Maintenant, je pense que 80 % de son entraînement porte sur le développement de son matériel. Je pense qu’il passe énormément de temps à ça. Quand on voit sa qualité technique, sa qualité d’appuis et son physique… Il suffit qu’il conserve tout ce qu’il a. Les autres essayent de le rattraper donc il doit trouver des innovations.

A-t-il vraiment besoin d’un gros globe pour avoir la reconnaissance de son talent, celle du meilleur de sa génération derrière Hirscher ?

Il est exceptionnel quoi qu’il se passe. Tout ce qu’il réalise depuis le début de sa carrière en termes de médailles, de podiums, de victoire et de polyvalence. On a très rarement vu ça dans le ski français et même de tout temps surtout quand on voit l’hyperspécialisation du ski moderne. Lui, il a gagné en Super-G, en combiné, en slalom, en géant, en parallèle… C’est un palmarès exceptionnel ! Il a 33 victoires en coupe du monde, il est dans le top 10 des meilleurs skieurs de tous les temps. C’est dire la trace qu’il est en train de laisser. Et il est champion du monde. Il lui manque le titre olympique mais il a déjà trois médailles malgré tout. C’est une carrière exceptionnelle. Je pense que beaucoup aimeraient avoir la même.

Et c’est pas fini.

Et c’est pas fini ! Il faut pas oublier qu’Alexis est de 1991, il a 30 ans. Moi, j’ai gagné ma première victoire en coupe du monde à 30 ans (rires). Ça pose un contexte.