Liberia : « Le surf permet aux enfants soldats d’oublier les horreurs du passé », racontent les réal' de « Water get no enemy »
INTERVIEW•Damien Castera et Arthur Bourbon sont allés à la rencontres des enfants soldats qui tentent de se reconstruire une vie grâce au surfPropos recueillis par Aymeric Le Gall
L'essentiel
- Le Liberia a connu deux guerres civiles qui ont dévasté le pays entre 1989 et 2003 et jeté des milliers d’enfants soldats dans l’horreur des conflits armés.
- Plus de quinze ans après la fin de la guerre, c’est toute une génération d’anciens enfants soldats qui essayent de reprendre goût à la vie à travers la pratique du surf.
- Les surfeurs pros Damien Castera et Arthur Bourbon sont allés à leur rencontre et ont réalisé le film « Water get no enemy » qui retrace leur périple.
Quinze ans après une guerre civile des plus sanglantes au Liberia qui aura duré de 1989 à 2003 et entrainé la mort de 250.000 personnes, les surfeurs pros et aventuriers Damien Castera et Arthur Bourbon se sont envolés pour ce pays, à la rencontre d’une génération qui tente de se reconstruire grâce au surf. Un exutoire pour une jeunesse traumatisée par les atrocités de la guerre, évoluant désormais dans un pays dévasté et en quête de devenir.
« Le surf pour panser les plaies, le surf pour tenter de retrouver l’insouciance d’une jeunesse volée mais aussi pour transmettre aux plus jeunes, l’espoir d’une vie meilleure », voilà comment ces deux amis présentent leur projet. De là est né « Water get no enemy », un film documentaire qui a glané plusieurs prix et qui est aujourd'hui disponible en VOD sur différentes plateformes (ITunes, Apple TV, Google). Pour 20 Minutes, Damien Castera et Arthur Bourbon sont revenus sur cette aventure humaine qui, de leur propres confidences, en amènera d'autres dans le futur.
Comment est né ce projet de documentaire sur les enfants soldats devenus avec le temps des enfants surfeurs ?
Damien Castera : Tout est parti de la photo d'une vague qu'on avait vue dans un magazine ou sur internet. Comme ça fait quelques années que je réalise des films documentaire aux quatre coins du monde, mais plus axés sur les sports de glisse et la nature, on s'est dit que ça pourrait être intéressant de se lancer dans un projet plus centré sur l'humain. On s'est renseigné sur l'histoire du pays et on s'est rendu compte qu'il y avait aujourd'hui au Liberia l'émergence de la première génération de surfeurs après des années de guerre et d'horreur. On a trouvé que l'idée de parler du surf comme outil de résilience pour ces anciens enfants-soldats (mais aussi pour les générations futures qui n'ont pas connu ça) après des années de guerre était très intéressante.
Arthur Bourbon : C'est notre premier projet commun. On cherchait à faire un truc ensemble et quand Damien est arrivé avec cette photo de vague parfaite et qu'on a commencé à lancer les recherches, ce projet documentaire est devenu une évidence.
Quelles ont été vos premières impressions en arrivant sur place ?
AB: C'est impressionnant - et pourtant on en a fait des pays assez pauvres, des pays marqués par la misère et l'insécurité -, mais là-bas c'est encore vraiment ravagé. Les bâtiments sont détruits et délabrés, il y a encore une immense pauvreté. C'est la première fois que j'ai été aussi impressionné par l'état d'un pays et de sa population. C'est le quatrième pays le plus pauvre au monde, il ne faut pas l'oublier. Après, une fois dehors et au contact de la population, tu sens qu'il n'y a pas d'animosité. Les gens étaient heureux de nous accueillir car ils savaient qu'on venait d'abord pour parler de surf et non pas donner une mauvaise image du Liberia. Et puis l'arrivée de George Weah au pouvoir a quand même insufflé un vent d'espoir dans le pays.
DC : La guerre est terminée depuis 15 ans et c'est vrai que du coup on n'en entend plus trop parler dans les médias. Et les seules fois où ils y vont, c'est encore pour parler de la guerre, de l'insécurité du pays, etc. Pour nous c'était important de participer à quelque chose d'un peu plus optimiste, moins larmoyant. Les gens nous ont même demandé si on faisait partie de VICE [qui a réalisé un reportage sur place peu de temps avant] et si on allait encore faire un reportage flippant sur leur pays. Le Liberia pâtit encore aujourd'hui d'une image assez catastrophique à l'international.
AB : Il faut dire aussi que la guerre ça fait vendre du papier, ça fait faire du clic, du coup parfois on a tendance à tomber dans le sensationnlisme sans chercher à creuser sous le vernis. D'autant que les gamins d'aujourd'hui n'ont pas connu cette période. Avec Damien, on voulait montrer que c'en était fini des enfants soldats et que désormais l'avenir c'était les enfants-surfeurs. Il y a un vrai contraste entre le passé et le présent. Quand on les voit sur l'eau, ils sont plein d'énergie, ils ont le sourire, ça fait plaisir à voir, surtout quand on sait ce que certains ont vécu quelques années auparavant.
Que leur apporte le surf ?
DC: Le surf, comme le sport en général, ça leur permet d'être dans le moment présent tout simplement et d'oublier les horreurs du passé. Et puis avec le surf il y a un truc encore plus puissant, au-delà du contact avec la nature, c'est qu'on plonge sous l'eau, avec toute la symbolique qu'il y a derrière ça : se laver l'esprit, renaître. Il y a un truc puissant quand on pénètre dans l'eau. Même nous, avec nos petits soucis du quotidien, quand il y a un truc qui ne va pas, on se sert du surf et de l'océan pour oublier les problèmes et apaiser nos esprits.
AB : On le voit dans le doc avec Augustin, l'ancien enfant soldat qui va surfer avec ses enfants. Avec tout ce qu'il a connu par le passé, c'est un vrai bonheur pour lui de pouvoir profiter du surf avec eux en toute liberté. Il y a un réel contraste entre l'enfance qu'on lui a volée quand on lui a mis une mitraillette dans les mains et celle de ses enfants, qui ont le droit de connaître une jeunesse à peu près normale et de s'amuser comme des mômes de leur âge.
Ca a été compliqué de les faire parler du passé, de rouvrir les plaies laissées par les deux guerres civiles ?
DC: Pour certains c'était dur, oui. Ca remue des souvenirs qu'ils préfèrent garder enfouis dans leur mémoire, ils ont vécu des choses tellement traumatisantes que moins ils en parlent, mieux ils se portent. C'était le cas au début avec Augustin, qui a été enrôlé par les factions et a dû faire des choses qu'il regrette aujourd'hui, et qui fait partie d'une génération d'enfants soldats qui sont très mal vus dans le pays. Beaucoup d'entre eux sont marginalisés, ils sont livrés à eux-mêmes, certains vivent sur des parkings de supermarchés et sont tombés dans la drogue. Bien qu'ils n'aient pas décidé par eux-mêmes de se lancer dans ces guerres, qu'ils y ont été forcés pour la plupart, ils sont encore rejetés par la société. Donc forcément ils essayent au maximum de cacher ce passé chargé d'horreur et de remords.
AB : Quand on a abordé le thème de la guerre avec lui, il a complètement nié au déut. C'était compliqué pour nous, on voulait à tout prix respecter sa pudeur par rapport à ça mais en même temps on se devait d'aborder le sujet. Finalement, à force d'échanger, il a fini par se livrer à nous et évoquer les difficultés qu'il a de se réinsérer dans la société.
A la fin du documentaire, on voit que vous avez aussi profité de ce voyage pour installer des filtres à eau dans des villages. C'était important pour vous d'apporter quelque chose de concret, en plus du documentaires et de leurs témoignages ?
AB : Comme on le disait, le Liberia est un pays qui manque encore de beaucoup de choses malgré la fin de la guerre. Donc on s'est dit que si on pouvait profiter de ce documentaire et de notre voyage pour aider à notre échelle, avec nos petits moyens, ça n'en serait que mieux. Comme on connaissait une association, « Waves for water », créée par des surfeurs et qui installent des filtres à eau dans les villages des pays défavorisés, on a décidé de suivre le mouvement. On a donc récolté un peu d'argent via le crowdfunding et grâce aux soutiens de la communauté de surfeurs, ce qui nous a permis d'acheter et d'installer 70 filtres à eau dans sept villages, deux écoles et un dispensaire.
Vous êtes restés en contact avec les jeunes surfeurs qu'on voit dans votre film ?
AB: La communication est un peu compiquée, même si depuis notre départ ils ont eu accès à des smartphone, et il nous arrive régulièrement de prendre de leurs nouvelles via les réseaux sociaux.
DC: Ca a été une expérience assez dingue, très forte en émotions. Et maintenant, ce genre de projet qui lie à la fois le sport mais aussi une forme d'engagement humanitaire, ça nous intéresse vraiment. On va réfléchir à l'idée de développer d'autres projets similaires à l'avenir car ça donne du sens à notre démarche.