Super Bowl : Un Français en NFL, c’est pour quand ?
FOOT US•Depuis Richard Tardits au début des années 1990, aucun Français n’a joué en match officiel dans la ligue nord américaineB.V.
L'essentiel
- Le Super Bowl a lieu dans la nuit de dimanche à lundi et opposera Tampa Bay à Kansas City.
- A cette occasion, 20 Minutes s'intéresse aux Français en NFL.
- Si aucun n'a joué en match officiel depuis 30 ans, certains se sont approchés très près, et l'avenir promet.
Ils y étaient presque, mais tout est dans le « presque ». Comme Marc-Angelo Soumah ou Philippe Gardent au cœur des années 2000, Anthony Dablé et Anthony Mahoungou ont vu la NFL de près ces dernières années : des camps d’entraînements, des matchs de présaison, mais le stop cruel au moment de la sélection des 53 qui forment l’équipe en début de saison. « Je suis passé près et j’y crois toujours, assure Mahoungou. J’étudie tellement le foot US que si j’avais jugé que c’était un niveau trop élevé pour moi, je me serais dit "non, c’est plus ça que je vise". Mais j’ai pu me comparer avec les plus grands et je sais que j’ai de quoi faire ma place dans cette ligue. »
Mahoungou, qui sera aux commentaires du Superbowl dimanche pour la Chaîne l'Equipe, est le dernier à s’ajouter à la liste des « presque » héritiers de Richard Tardits, seul joueur français à avoir évolué en match officiel de NFL, entre 1990 et 1992. Ça fait loin, surtout quand on compare à la presque quarantaine de Français draftés en NBA depuis. « Je comprends la comparaison, mais ça ne marche pas de la même façon. La NFL est une ligue extrêmement conservatrice », coupe d’emblée Pierre Trochet, directeur du développement à la Fédération française (FFFA).
La NFL Europe était un bon marchepied, mais elle a disparu
Si le basket européen a depuis longtemps prouvé sa valeur à la NBA, ce n’est pas du tout le cas en NFL, malgré la présence de quelques Allemands par-ci par-là, d’un Danois ou d’un Estonien. Il faut dire que le meilleur championnat européen, en Allemagne, n’est que semi-professionnel. « Au basket, nous avons une ligue professionnelle qui permet d’accéder au plus haut niveau puis de faire la bascule avec la NBA, poursuit Marc-Angelo Soumah, consultant beIN Sports et lui aussi aux commentaires du Super Bowl dimanche. C’est le système qui marche le mieux et qui convient à la fois au système français et au système américain. Mais au foot US, on n’est pas pro, on est même pas semi pro. Il y a ce gap. Pendant un temps, la NFL Europe était un bon marchepied, mais depuis sa disparition (2007), les joueurs vont tenter leur chance individuellement en université. »
C’est le cas d’Anthony Mahoungou. Parti de France à 20 ans, il a rejoint un Junior College avant d’être recruté par l’université de Purdue, dans l’Indiana. Il raconte :
« Les Américains sont curieux de nous en dehors du terrain, mais en ce qui concerne le terrain… Un jour, le coach d’attaque m’a expliqué comment ils m’avaient recruté. C’est son assistant qui avait vu une vidéo de moi et qui l’a présentée au coach principal en lui disant “je ne vais pas te dire son nom et d’où il vient”. Le coach a alors dit qu’il me voulait, et on lui a dit que j’étais français ensuite. On m’a jugé en tant que footballeur, mais pour certains l’Europe c’est encore flou. Tout ça va prendre du temps. » »
A l’heure actuelle, il y a trois voies pour un Européen qui souhaite tenter sa chance en NFL, explique Pierre Trochet. D’abord la voie universitaire donc, consistant à rejoindre une fac de 1re division NCAA après ses 18 ans. Ensuite la CFL, la Ligue Canadienne, sorte de deuxième division du foot US. Et enfin la « voie internationale », qui invite chaque année entre 10 et 12 athlètes européens sélectionnés à venir s’entraîner plusieurs mois aux Etats-Unis et tenter de faire le grand saut depuis un club européen.
« Peut-être qu’il faudra attendre une autre génération, mais on y arrive »
« C’est un peu mathématique, plus on remplit tous les canaux de recrutement, plus on a de chances d’y arriver, poursuit Pierre Trochet. Et c’est la première fois qu’ils nous sont accessibles, on a jamais été aussi bien représentés. » Le Français de 22 ans Yoann Miangué fait en effet partie des heureux élus de cet « international pathway » cuvée 2021. Il s’ajoutera au contingent de joueurs français aux US, aux côtés des six Français en CFL et de la demi-douzaine de joueurs en NCAA. Parmi ces derniers, Junior Aho à Dallas, Jordan Avissey à Buffalo ou Wilfried Pene (d’ici quelques saisons) auront de vraies chances de rejoindre la NFL.
Marc-Angelo Soumah les imagine avoir potentiellement une chance d’intégrer dans la ligue les unités spéciales, sorte de remplaçants amenés à avoir un rôle sur des phases de jeux très précises. « Aho et Avissey sont à un niveau où ils vont se développer et avoir du temps de jeu universitaire, et donc se montrer, explique-t-il. La deuxième phase c’est dominer. Oui, la NFL s’intéresse plus, mais on n’en est pas encore au moment ou on peut se dire "un Français en NFL, c’est pour demain". Peut-être eux dans deux ou trois ans, peut-être qu’il faudra attendre une autre génération, mais on y arrive. Et on y arrivera encore plus si on n’en envoie chaque année pas deux, mais 10 qui ont une chance au niveau universitaire et peut-être NFL. »
Une démocratisation grâce à beIN et l’Equipe
Pour le comment faire, le foot US français mise sur l’effet télé. Depuis dix ans, la NFL a connu une démocratisation croissante en France, grâce d’abord à beIN Sports puis la Chaîne l’Equipe, qui diffuseront tous deux le Super Bowl dimanche soir à partir de 0h. « L’Equipe a offert une diffusion en clair et beIN a trouvé un public plus technique, résume Pierre Trochet. Avant le Covid, la Fédération a battu son record de licenciés en 2019 à 23.508. »
Sans oublier l’effet Internet. La NFL est la ligue sportive la plus puissante financièrement au monde et inonde tous les réseaux. Pierre Trochet : « Pour un sport mineur comme le foot US en France, avoir une locomotive médiatique comme la NFL, c’est incroyable. C’est tellement facile pour un jeune de tomber sur des images, ou de voir le Super Bowl et de se dire j’ai envie d’essayer… »
Alors les mentalités changent. Le foot US, d’une certaine manière, s’est rapproché. Ou en tout cas, il ne semble plus aussi inaccessible qu’à une certaine époque. Pierre Trochet avoue ainsi avoir été frappé ces dernières années par l’état d’esprit des jeunes Français qui partent tenter leur chance. « Il y a un facteur générationnel hyper intéressant, précise-t-il. A l’époque des Soumah ou des Gardent, il y avait une sorte de mentalité à la française où l’on se disait qu’on n’y arrivera pas. Aujourd’hui, ils sont dans le "pourquoi pas ?". Ils se sont mis à s’entraîner plus, à se donner plus les moyens… »
Anthony Mahoungou confirme. « Je ne vais pas dire que j’étais le précurseur, mais je n’ai jamais pensé que les Etats-Unis, c’était impossible. Dans les mentalités de certains coachs ou de coéquipiers plus vieux que j’ai eus, ça l’était. Quand je me préparais pour partir, un ancien du club m’a dit "sois heureux d’être dans l’équipe". Moi j’entends ça à 19 ans, je me dis il se fout de moi ? Je ne me suis mis aucune limite. »
La recherche du « Tony Parker du foot US »
Ancien président de la Fédération de 2010 à 2014, Marc-Angelo Soumah estime, lui, que l’arrivée d’un ou de plusieurs Français viendra par un changement structurel et une professionnalisation du foot américain en France. Oui, « les meilleurs talents athlétiques européens sont chez nous », oui « un premier pas a été franchi dans la démocratisation », mais le déclic américain n’est pas encore accessible à tous. « Ce changement de mentalité, on peut le voir chez quelques-uns, mais nous n’avons pas encore la structure pour faire passer de "bon joueur intéressé par le foot US" à "joueur avec des qualités athlétiques intéressantes pour les Américains". Il faut qu’on soit capables de capitaliser sur cette démocratisation. Aujourd’hui, le chemin vers les Etats-Unis est encore trop long, il faut en enlever les obstacles et le baliser. »
Il cible, entre autres, la capacité d’entraînement, la mentalité dans la préparation, l’hygiène sportive le suivi scolaire, décisif dans une carrière universitaire lorsqu’on part aux Etats-Unis, et la valorisation des talents français outre-Atlantique. « C’est comme ça qu’on n’en aura pas deux qui partent chaque année, mais 30 ou 40, abonde l’ancien receveur. L’objectif, ce n’est pas d’avoir juste un joueur dans une équipe NFL, mais d’avoir une star. C’est là que la bascule se fera. »
Ce qu’on pourrait appeler « l’effet Tony Parker », derrière lequel le foot US français court désespérément. « Ça peut tout changer en termes de popularité, en termes d’exposition médiatique, en termes de recrutement, poursuit Pierre Trochet. On a toutes les locomotives qui sont aujourd’hui sur les rails. Mais elles sont à 50 km/h. Avec un Tony, elles seront à 1000. »
Mahoungou conclut : « Moi, ça a été l’une de mes plus grandes motivations de me dire que je peux avoir un impact sur les opportunités qu’auront les prochaines générations. Je veux avoir le même impact que Tony. »